Etats-Unis : faut-il blanchir son nom ?


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Changement de nom et effacement des références communautaires sur leur CV, omission volontaire de diplômes obtenus dans des universités réservées historiquement aux Noirs, autant de pratiques qui se répandent chez des Afro-Américains en quête d’un emploi.

Tahani Tompkins avait du mal a être rappelé après des entretiens d’embauche cette année à Chicago quand un ami lui a suggéré de changer son nom. Au lieu de Tahani, un nom commun dans la communauté afro-américaine, il commença à mettre T.S. Tompkins dans ses candidatures.

En quête également de travail, Yvonne Orr , qui vit aussi à Chicago, a supprimé de con CV une licence obtenue à l’Université de Hampton, un établissement réservé par le passé exclusivement aux étudiants Noirs. Elle a aussi faire disparaître une expérience dans une ONG noire-américaine où elle s’occupait de récolter des fonds depuis 15 ans auprès des éventuels donateurs. Yvonne a réorganisé son CV de telle sorte que les références mentionnées occultent tout passage dans une entreprise ou une association noire.

Grand écart entre assimilation et diversité

Les Afro-Américains ont toujours oscillé entre assimilation et diversité. Si l’assimilation n’a jamais pris le dessus, la décision deTahani et Yvonne, « blanchir leur cv », n’est pas isolée. Des cas similaires se multiplient au sein de la communauté noire-américaine. La moitié d’un panel d’Afro-Américains interrogés fin novembre sur les disparités raciales à l’embauche par le quotidien New York Times déclare avoir déjà dissimulé sa couleur de peau, ou avoir minimisé au maximum leur « blackitude » sur leur CV.

Tahani et Yvonne expliquent que « blanchir leur cv » est une stratégie destinée à écarter un obstacle potentiel, qui pourrait au minimum les empêcher de dégoter un entretien et démontrer aux recruteurs qu’ils sont faits pour le poste. Selon des experts, cette méthode peut être payante. Des études ont montré que les candidats avec des noms à consonnance noire reçoivent moins d’appels de recruteurs que ceux avec des noms à consonnance blanche, même à diplôme et compétences équivalents. De plus, la discrimination positive a beaucoup reculé depuis les années 80, remplacée par une variété de programmes sur la diversité, qui tardent à prouver leur efficacité sur la représentation des minorités.

La fin de la discrimination positive

« Même les entreprises à taille moyenne n’ont soit pas de programmes sur la diversité ou alors ont des programmes peu efficaces pouvant produire l’effet contraire », selon Alexandra Kalev, sociologue à l’universite d’Arizona, et qui a travaillé sur la question. « Donc pour ces entreprises, être Noir n’aide pas », conclut-elle.

Les chômeurs Afro-américains disent que l’effacement de leurs marqueurs noirs va au-delà du premier contact, qui permet d’ouvrir la porte d’une entreprise pour un entretien d’embauche. Ils en usent aussi pour s’assurer qu’ils vont paraître « acceptables » aux recruteurs une fois que ceux-ci les auront rencontrés. Ils cachent donc sur leur militantisme dans une association communautaire. « L’activisme dans la communauté noire est souvent mal vu par les employeurs, donc il faut éviter de le mentionner ou d’en parler lors de l’entretien », souligne David Verner, architecte au chômage, vivant à New York. « Il faut alléger sa couleur »; confirme Yvonne.

« Ma notion de dissimulation veut dire que des gens peuvent avoir des idees stigmatisantes qu’ils ne peuvent contrer ou ne cacheront pas. Il y a néanmoins une grosse dose de pression, d’expériences pour qu’ils minimisent ces identités », explique Kenji Yoshino, professeur de droit a l’Universite de New York (NYU), auteur du livre  » Covering: The Hidden Assault on Our Civil Rights ». Selon M. Yoshino, « avant, la ligne de séparation était entre les Blancs et les non Blancs, et se terminait en faveur des Blancs. Désormais cette ligne est entre les Blancs et les non Blancs qui veulent se comporter en Blancs ».

Cacher sa couleur : un crève-coeur !

Dissimuler sa couleur de peau ou changer de nom restent toutefois un crève-coeur pour les Afro-Américains. « J’ai longtemps lutté contre cette idée », raconte Yvonne.  » Je me suis demandé quel message j’envoyais à mes enfants ? Comment leur apprendre à être fiers d’eux-mêmes et à s’accepter tels qu’ils sont », poursuit-elle. « Quelque part, ils (Yvonne et Tahani) nient qui et ce qu’ils sont. Ils devront toujours prétendre être quelqu’un de différent », explique John L. Jackson, professeur d’anthropologie et de communications à l’Université de Pennsylvanie et auteur de « Racial Paranoia ». Une schizophrénie entre derme et personnalité !

Ces réalités ont toujours été tues en raison de l’idée reçue que la discrimination positive ( affirmative action) a permis aux candidats Afro-Américains d’obtenir des emplois, qu’ils auraient du mal à saisir en l’absence de politique volontariste en faveur de la promotion sociale des minorités. Et aussi parce qu’il y a des hauts et des bas dans la façon dont les Afro-Américains célèbrent leur couleur de peau. Les parents d’Yvonne étaient membres du mouvement des droits civiques Black Panthers, formé aux États-Unis en 1966 pour défendre les intérêts de la communauté noire. Mais devant les difficultés d’Yvonne à décrocher un emploi, sa propre mère l’a aidée à modifier son CV.  » Tu n’as pas besoin de crier que tu es Noire », lui a-t-elle conseillé, raconte Yvonne…

Par Marcel Bekolo

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