Esclavage contemporain : Santo-Domingo tente de trouver l’appui de l’OEA


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Esclavage (illustration)
Esclavage (illustration)

Ce mardi 5 juin, le ministre des Affaires étrangères dominicain Carlos Morales Troncoso entend déposer au 37e sommet de l’Organisation des Etats d’Amérique (OEA) au Panama une résolution condamnant ce qu’il définit comme une campagne de « diffamation » à l’encontre de son pays, l’événement Esclaves au paradis qui se tient à Paris depuis le 15 juin. Une exposition photo, un colloque et la projection de documentaires dénoncent en effet et encore une fois l’exploitation inhumaine des coupeurs de canne haïtiens depuis près d’un siècle en République dominicaine.

Le thème majeur du sommet de l’OEA aborde les énergies pour un développement durable. Alors que l’éthanol, tiré du sucre de canne représente une source nouvelle de revenus pour la République dominicaine, la question des droits de l’homme dont sont privés les « braceros » haïtiens qui coupent la canne dans ce pays ne peut plus être ignorée. L’attention des pays membres de l’OEA avait déjà été sollicitée l’an passé sur la situation des migrants haïtiens par le séminaire régional annuel des personnes de descendance africaine.

La demande de résolution de condamnation par l’OEA que Manuel MoralesTroncoso souhaite faire adopter suivra la plainte déposée auprès de l’Ambassade de France à Santo Domingo le 17 mai dernier par la chambre des députés. Mais que peuvent bien faire les autorités françaises contre une initiative de la société civile qui aura su mobiliser medias et partenaires autour d’une dénonciation sous plusieurs formes et reprenant des faits connus de longue date ? Nous ne sommes plus en 1938 lorsque Jacques Roumain fut arrêté à Paris à la demande des autorités dominicaines pour avoir dénoncé les responsabilités et complicités des chefs d’Etats dominicains et haïtiens dans le massacre de 15 000 haïtiens dans les campagnes dominicaines (Mi-avril. À la demande du Quai d’Orsay, sur plainte de la légation de la République dominicaine, Jacques Roumain et Pierre Saint-Dizier, gérant de la revue Regards, sont arrêtés et inculpés d’outrages à un chef d’état étranger. Était mis en cause l’article de Roumain «La Tragédie haïtienne», paru dans le numéro du 18 novembre 1937 de la revue (c’est-à-dire cinq mois plus tôt), qui accuse de génocide le dictateur dominicain et de complicité le président Sténio Vincent. C’est la première fois qu’un journal français est poursuivi pour «outrage à chef d’état étranger». Extrait de la biographie de J. Roumain par L F Hoffmann mis en ligne sur le site Ile en Ile).

Mais que peuvent bien faire les autorités françaises contre une initiative de la société civile qui aura su mobiliser medias et partenaires autour d’une dénonciation sous plusieurs formes et reprenant des faits connus de longue date? Nous ne sommes plus en 1938 lorsque Jacques Roumain fut arrêté à Paris à la demande des autorités dominicaines pour avoir dénoncé les responsabilités et complicités des chefs d’Etats dominicains et haïtiens dans le massacre de 15 000 haïtiens dans les campagnes dominicaines (1)… Nous sommes en 2007 et le 09 mai de cette année, le président français Jacques Chirac rappelait encore que la France devait « se mobiliser contre cette (la traite d’êtres humains, ndlr) infamie ». Une traite qui implique aussi bien les services de migration et des personnalités dominicains, des propriétaires de sucreries, des diplomates haïtiens et auteurs passeurs « buscones », dans un trafic de travailleurs transportés clandestinement dans des bus pour touristes aux vitres fumées, selon Espacinsular du 26 mai 2006.

D’innombrables articles et reportages de presse internationale (Libération, Alternatives économiques, Courrier international, Marie Claire, Cosmopolitan, Mademoiselle Figaro, Elle Magazine, Nova, La Croix, VSD, Marianne, Le Pélerin magazine, RFO radio et télé …), des documentaires (les plus récents ont été produits par France 2, et RFO relaye l’événement. dénoncent les conditions exécrables et inhumaines dans laquelle vivent des milliers de travailleurs. Et ces jours-ci la photo d’un coupeur de canne haïtien fraîchement arrivé en République dominicaine, buste nu, fait partie d’une campagne d’affichage dans les couloirs du métro parisien.

Pressions et tentatives d’intimidation

Au niveau local, la presse dominicaine (Listin diario, El Diario, Clave Digital, Diario Dominicano, El Viajero Digital, Dominicanos Hoy… ) n’est pas en reste et produit une quantité d’articles qui dénoncent une « tentative de dégradation de l’image touristique » de cette moitié d’île. Ce n’était pourtant pas le propos ni l’objectif des organisateurs mais cela en sera peut-être la conséquence. Les nombreux rapports d’organisations internationales dont le plus récent est celui d’Amnesty International (mars 2007), précédés par ceux du PNUD, de Human Rights Watch ou encore de Christian Aid, du Catholic Institute for International Relations et du US Department for Human Rights alimentent les actions des sociétés civiles haïtienne et dominicaine.

Des Dominicains résidants à Paris, d’autres ayant fait spécialement le déplacement de République dominicaine sont venus « défendre » leur pays qu’ils pensent être victime de « calomnie » et objectent lors du débat organisé après la projection de documentaires que « les Dominicains vivent également dans la pauvreté ». A la différence que « les Dominicains sont au chômage et que ces coupeurs de canne travaillent près de 12 heures par jour, pour un salaire de misère, la faim au ventre » précise Amy Serrano, la réalisatrice de The Sugar Babies. Les organisateurs d’Esclaves au paradis ont reçu des lettres du cabinet d’avocats Patton Boggs les informant des poursuites judiciaires qui seraient engagées à l’encontre des producteurs de The Price of sugar en cas de projection du film. Le responsable des cinémas MK2 a lui même reçu un appel d’un avocat français téléguidé par le gouvernement de Leonel Fernandez et s’annonçant comme porte parole d’une fédération d’associations (non identifiées à ce jour) le menaçant d’un procès.

Qu’importe, l’événement Esclaves au paradis s’est entouré de partenaires insensibles aux intimidations. Parmi eux la Ville de Paris, Amnesty International, le Collectif 2004 Images, Libération, la chaîne de cinémas MK2 dont on connaît l’engagement pour des sujets sensibles.

Au sommet de l’OEA, face à ces rapports, documentaires, photos, témoignages, engagements d’organismes internationaux, quels sont les contre arguments de Carlos Morales Troncoso, ministre des affaires étrangères et par ailleurs depuis longtemps actionnaire des sucreries incriminées de la Central Romana dans l’est dominicain ?

La position de la République dominicaine est radicalement différente de celle du Brésil qui connaît les mêmes problèmes d’esclavage dans ces champs de canne. Cependant, au lieu de nier cette situation, le Brésil prend la tête du combat contre le travail forcé et a condamné dans l’état de Ramanhao en mars 2006 des propriétaires de ranch à verser des dédommagement aux salariés et à l’Etat. Le gouvernement a établi une Commission nationale pour l’éradication du travail d’esclave (CONATRAE) en 2003 et a lancé un plan d’action national contre le travail forcé. « En suivant le modèle brésilien, précise Roger Plant, expert du Bureau International du Travail, nous constatons maintenant des avancées dans d’autres pays d’Amérique latine qui intensifient leur action contre le travail forcé. » Pérou, Paraguay et Brésil s’engagent contre le travail forcé. Pas la République dominicaine. Ou du moins pas encore. Le sommet de l’OEA devrait permettre à ces quatre pays de se rencontrer et d’en parler franchement.

Par Karole Gizolme et Anne Lescot, un article publié avec l’aimable autorisation de Gens de la Caraibe

Consulter le site Internet Espacinsular spécialisé sur les relations dominico haïtiennes et les articles les plus documentés sur le trafic illégal de travailleurs haïtiens.

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