Entreprendre en France et investir en Afrique : le double défi des entrepreneurs de la diversité


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Dogad Dogoui (à gauche) et Hervé Novelli

Le 8e forum économique des diasporas africaines, organisé par Africagora, s’est tenu jeudi et vendredi à Paris. L’occasion pour les autorités françaises de reconnaître la nécessité d’encourager le fait entrepreunarial chez les Français issus de l’immigration. Des diasporas dont elles sont également conscientes de l’apport dans les stratégies de co-développement en Afrique.

Les autorités françaises entendent s’appuyer sur la diaspora africaine dans leur stratégie de co-développement et favoriser l’entreprenariat au sein des Français issus de l’immigration. Plusieurs membres du gouvernement français se sont succédé jeudi à la tribune du 8e forum économique des diasporas africaines, qui s’est achevé vendredi, pour rappeler leur rôle prépondérant, aussi bien dans leur pays d’accueil que dans leur pays d’origine.

Dynamiques chez elles, actives dans leur pays d’origine

Dogad Dogoui (à gauche) et Hervé Novelli
A l’initiative du club Africagora, les entrepreneurs et représentants de la diaspora africaine se sont donné rendez-vous à Paris pour débattre des enjeux liés à l’investissement des diasporas africaines sur leur continent et de l’entreprenariat des Français issus de l’immigration dans leur pays. « La réalité économique a conduit à nouer un partenariat très important (avec l’Afrique) qui se doit de se nourrir des compétences, des talents qui sont ici en France, qui sont liés à cette communauté française issue de l’Afrique », a déclaré Hervé Novelli, secrétaire d’Etat chargé des Entreprises et du Commerce Extérieur et hôte de cette rencontre qui s’est déroulée dans les murs du ministère de l’Economie et des Finances. « Il y a un fait entrepreneurial qu’il nous faut valoriser en France (…), faire en sorte que ces talents puissent développer, y compris dans des relations entre la France et l’Afrique. Hervé Novelli souhaite que « les talents s’expriment », notamment dans les banlieues qui font l’objet d’un plan dévoilé vendredi par le président Nicolas Sarkozy. Pour y parvenir, il compte sur une mesure phare qui devrait être présentée aux parlementaires au printemps : la création du statut d’auto-entrepreneur.

Un dispositif simple pour inciter à la création d’entreprise. « Il permettra de développer son activité facilement et de contourner les barrières qui empêchent les jeunes dans les quartiers ou les banlieues de pouvoir démontrer leurs talents », explique le secrétaire d’Etat. L’auto-entrepreneur se déclare sur papier libre et a la garantie que l’administration fiscale ne viendra pas exiger des impôts sur une activité qui n’a pas encore démarré. « C’est un projet, selon Hervé Novelli, éminemment démocratique, un projet qui rétablit l’égalité des chances dans les quartiers ». Il espère ainsi voir les créations d’entreprises passer de 100 à 20 000 dans les quatre années à venir.

L’aide au développement « doit sortir de son paradigme compassionnel »

Jean-Marie Bockel
L’attention portée aux initiatives économiques de la diaspora africaine s’inscrit aussi dans une nouvelle stratégie de la France envers leurs pays d’origine. L’aide au développement, selon le secrétaire d’Etat chargé de la Coopération et de la Francophonie Jean-Marie Bockel, « doit sortir de son paradigme compassionnel » car les instruments de coopération avec l’Afrique doivent changer parce que l’Afrique change. L’Agence française de développement (AFD) mène une réflexion dont l’objectif est d’orienter également l’aide au développement vers le secteur privé. Le secrétaire d’Etat chargé de la Coopération et de la Francophonie s’est dit convaincu que les projets portés par la diaspora peuvent aider à résoudre des problèmes locaux. « Ils ont ce métissage, dans tous les sens du terme, qui leur permet de comprendre leurs deux sociétés, ils ont une crédibilité vis à vis des uns et des autres pour parfois dire les quatre vérités. […] Ils sont écoutés comme des gens qui agissent et qui font remonter de manière très pragmatique leurs expériences : ce qui marche, ce qui ne marche pas, ce qui doit changer, souligne Jean-Marie Bockel. Dans la relation entre la France et l’Afrique, c’est une chance. Il faut savoir davantage les écouter et les soutenir. Ils ne demandent pas l’assistance, ce sont des chefs d’entreprises. »

Les diasporas se doivent de convaincre leurs Etats de l’importance du secteur privé dans l’avènement du développement. « Celles d’Asie ont fait pression sur leurs gouvernements pour qu’ils changent de comportement, explique Anthony Bouthelier, le président-délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), qui participait à l’une des tables-rondes de cette journée. Les membres de cette structure représentent deux tiers du courant d’affaires français sur le continent. «C’est le rôle des diasporas africaines et personne d’autre ne peut jouer ce rôle, pousuit l’homme d’affaires français. Ce n’est pas à la République française d’expliquer à un gouvernement africain comme il doit changer sa législation et organiser les investissements de sa diaspora. Par ailleurs, elles ne doivent pas attendre d’être aidées pour investir dans leurs économies d’origine. J’ai passé 12 ans en Asie, la diaspora vietnamienne, la diaspora chinoise ne m’a jamais rien demandé. Elle s’est organisée toute seule. Il y a énormément d’argent dans la dispora africaine, mais il y a très peu d’Africains qui sont prêts à investir chez eux. »

Dogad Dogoui et Brice HortefeuxMais la France souhaite investir en eux alors qu’elle inaugure, selon Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement, une nouvelle ère dans sa vision du développement dans un contexte où les autorités françaises reconnaissent désormais l’existence d’une diaspora issue de l’Afrique au Sud du Sahara. Un concept qui n’était pas associé à cette région, contrairement au Maghreb ou à l’Asie. Le co-développement, estime le ministre de l’Immigration, est l’expression d’une « vraie nouveauté » où « le pays d’accueil se préoccupe des pays d’origines et où les pays d’origine comprennent les difficultés du pays d’accueil ».

Les diasporas, au coeur des stratégies d’Etat

« C’est un message particulier que les représentants du gouvernement français nous ont adressé en prenant part à ce 8e forum économique d’Africagora », note Dogad Dogoui, le président-fondateur du club. Cependant, insiste-t-il, « n’attendons pas que les gens fassent pour nous, faisons nous-mêmes. Certes, on peut collaborer avec ceux qui souhaitent participer à notre action, mais à condition qu’ils le fassent selon notre vision. Il y a énormément d’argent transféré en Afrique. Vingt-cinq milliards d’euros sont transférés chaque année, cela veut dire que la communauté africaine en France est riche. Aidons-la à mieux investir là-bas, mais aussi ici. Car l’intégration passe aussi par l’économie. »

SEM Mahamat Saleh AnnadifL’Union africaine, pour sa part, entend pleinement faire jouer aux diasporas africaines leur rôle d’actrices du développement. Le dernier sommet de l’organisation panafricaine a décidé de les associer, « dans un premier temps, comme observateurs des sommets africains, puis dans une seconde étape, de faire en sorte qu’elles soient partie prenante des décisions de l’organisation », précise Mahamat Saleh Annadif, ambassadeur de l’Union africaine auprès de l’Union européenne et des pays Afrique Caraïbes Pacifique.

Double identité. Double ambition. L’aventure ambiguë des diasporas africaines, du moins en France, semble se clarifier sur la question économique. Investir pour exister dans son pays tout en contribuant au développement de son continent d’origine est un défi qui prend corps. A l’instar de la suggestion faite par Dogad Dogoui, à l’ouverture de la rencontre, à Hervé Novelli, celle de voir le commerce extérieur français s’appuyer sur « ceux qui ont une double culture ». Une proposition à laquelle le secrétaire d’Etat chargé des Entreprises et du Commerce Extérieur a répondu favorablement. Il s’est dit prêt à inviter les entrepreneurs de l’association lors de ses prochains déplacements sur le continent africain.

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