« En Afrique, ils sont vrais, ils sont sincères, ils sont profonds », dixit Jérôme Lebouc


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Jérôme Lebouc, responsable de la tapisserie au Musée national de Paris
Jérôme Lebouc, responsable de l'atelier tapisserie au Musée national de Paris

Au Sénégal pour un atelier de formation dans le cadre des Master Class des métiers d’art et du design, Jérôme Lebouc, Responsable de l’atelier tapisserie au Musée national du Château de Versailles, est revenu pour AFRIK.COM sur sa première expérience en Afrique. Au cours de cet atelier en ébénisterie et tapisserie initié par le ministère en charge de l’Emploi (MEFPAI) à travers le Fonds de Financement de la Formation Professionnelle et Technique (3FPT), quinze jeunes artisans ont reçu une formation diplômante. La clôture a eu lieu samedi 9 avril, aux Manufactures sénégalaises des arts décoratifs de Thiès.

Tapissier depuis l’âge de 15 ans avec le début d’un apprentissage au centre de formation de Paris, à la Chambre des métiers, Jérôme Lebouc a ensuite enchaîné avec une autre formation, dans le même domaine, à la chambre de Commerce de Paris, à l’Ecole Grégoire Ferrandi. « J’ai entamé ma carrière professionnelle en commençant par la réussite à un concours, par une expérience au sein du mobilier national qu’est le garde-meuble de la République française. Ancien garde-meuble royal, puis impérial, puis garde-meuble de la République. J’y ai travaillé pendant 10 ans », confie-t-il. Jérôme a eu la « chance d’être détaché au Palais de l’Elysée, pendant un temps », où il était au service de l’ameublement des Résidences présidentielles, auprès du chef de l’Etat. Pendant ce temps, il travaillait également pour d’autres ministères, des Ambassades.

« Au terme de ces 10 ans passés au Mobilier national, j’ai choisi de revenir aux origines du métier. Aux sources du métier, en retrouvant les modes opératoires traditionnels du métier, en retrouvant aussi les matières : remplacer le coton par du chanvre, remplacer le lin par d’autres matériaux ». Progressivement, Jérôme parvient à « exhumer des ouvrages anciens et d’iconographies de manières de travailler que j’ai pu utiliser couramment au sein de mon atelier ». Au Château de Versailles depuis 2007 où il est en poste au service de la conservation, il enseigne, depuis le mois de septembre 2021, à l’Ecole Boulle au sein de GRETA, qui assure les formations pour adultes. Et c’est dans ce contexte qu’une formation lui a été proposée dans le cadre de ces Master Class ébénisterie et tapisserie initiées par le Ministère en charge de l’Emploi (MEFPAI) à travers le Fonds de Financement de la Formation Professionnelle et Technique (3FPT) « pour accompagner des artisans dans l’exercice de leur métier, afin qu’ils gagnent en finition, en qualité de travail, mais aussi qu’ils découvrent une autre approche du métier plus traditionnelle ».

Remise de diplômes aux Master ClassLe contexte africain étant différent, Jérôme Lebouc se retrouve face à des difficultés de retrouver les mêmes matériaux au Sénégal que ceux couramment utilisés en France. Il décide alors d’axer son travail en utilisant des ressources propres au Sénégal. Des ressources que les artisans peuvent trouver assez facilement à leurs portes. Pour cela, avec un soutien financier des 3FPT, ils ont pu trouver sur le marché local les matériaux nécessaires. Un tour a été effectué au marché où des sacs à pomme de terre ont été trouvés et « utilisés pour remplacer les traditionnelles toiles d’embourrure, généralement en jute ou en chanvre. Dans un premier temps, nous avons utilisé des fibres de noix de coco, qui entourent la noix, afin de remplacer le crin de cheval que j’utilise dans mon atelier ».

« L’occasion pour des personnes qui ont été sélectionnées d’en rencontrer une autre qui maitrise un art : il peut s’agir ici de la tapisserie d’ameublement, mais en d’autres lieux, ça pourra être, comme ce sera, prochainement d’ailleurs, une Master Class dédiée aux métiers du bois, aux métiers de menuisier en siège et à l’avenir aux métiers du métal »

A défaut de trouver ces fibres de noix de coco en qualité et en quantité, il jette son dévolu sur la paille de riz, destinée à nourrir les animaux. Les essais ont été concluants sur la chauffeuse anglaise. « La combinaison paille de riz – sac à pomme de terre fonctionnait parfaitement bien et les élèves ont pu réaliser des garnitures à la fois confortables, pérennes et au link qui correspond parfaitement à la structure du siège. On a pu constater une première réussite ». Un premier exercice auquel il a pensé et qui a été une réussite avec ces stagiaires. « Une rencontre avec des personnes qui sont douées d’une faculté d’adaptation remarquable. Et je crois que c’est la force de ces artisans sénégalais, peut-être du Sénégal tout entier. C’est cette faculté d’observation et de retranscription de gestes, de méthodes vues, sans passer forcément par l’écrit. L’oralité est incroyablement de mise dans l’apprentissage et sans avoir recours à des cours écrits, comme je peux le faire au sein du GRETA ou dans d’autres lieux ».

« J’ai trouvé une faculté de compréhension et de retranscription incroyable que je n’ai vu nulle part ailleurs ». Au cours de ce séjour, « de nombreux clichés sont tombés et c’est un pays fabuleux. Je ne sais pas ce que vaut l’Afrique dans son entièreté et je ne me permettrais pas de me prononcer parce que je n’ai pas assez de connaissance dessus, mais j’ai découvert un pays incroyable », reconnaît Jérôme. « Le pays de la Téranga. Je n’avais pas compris ce terme de Téranga, avant de venir ici, l’hospitalité. Et je peux dire qu’elle était de mise au sein de cette presque famille que j’ai rencontrée ici, avec ces différents artisans qui m’ont porté, autant je les ai portés au sein de cette aventure ».

« J’étais venu avec l’assurance de pouvoir leur transmettre humblement les connaissances acquises depuis l’âge de mes 15 ans, j’en ai 47. Mais finalement, sur l’art de vie, la manière de voir le monde et la vie en général, j’ai trouvé de grandes proximités, il y a énormément de parallèles. J’en titre un grand enseignement. Nous sommes tous finalement des habitants du monde et nous avons énormément de points en commun. Il y a plus de choses qui unissent les êtres que ce qui les sépare. Master Class des métiers art et design a été « l’occasion pour des personnes qui ont été sélectionnées d’en rencontrer une autre qui maitrise un art : il peut s’agir ici de la tapisserie d’ameublement, mais en d’autres lieux, ça pourra être, comme ce sera, prochainement d’ailleurs, une Master Class dédiée aux métiers du bois, aux métiers de menuisier en siège et à l’avenir aux métiers du métal ».

« C’est l’occasion pour des artisans de rencontrer une personne d’un autre lieu, ayant d’autres connaissances, afin de compléter les leurs. Ça a été le cas à l’occasion de cette Master Class et je pense que l’échange a été, pour ces artisans, riche, et qu’ils quitteront ces Manufactures, au terme de ces trois semaines, enrichis de compétences qu’ils n’avaient pas encore en arrivant ». Il y avait beaucoup d’émotion lors de la remise des diplômes, en présence de la Directrice générale de 3FPT, Mme Sophie Diallo. Un des apprenants ayant sangloté d’émotion dans les bras de Jérôme Lebouc. Lui aussi embarqué dans les pleurs. « Parce que cela, je ne l‘avais pas prévu. Et au terme de ces trois semaines, je crois que c’est propre à l’Afrique et au Sénégal, il se sont créés des liens presqu’intimes ».

« Parce que les liens sont ici vrais. En Afrique, ils sont vrais. Ils sont sincères, ils sont profonds. Ils se sont livrés à moi comme j’ai pu me livrer à eux, de manière authentique. Et c’est ce qui a fait la richesse de cette relation qui s’est instauré naturellement entre eux et moi »

« Nous nous voyions du petit-déjeuner jusqu’à la rupture du jeûne, en cette période de ramadan. Le soir, nous partagions des moments de faiblesse aussi, où parfois, des élèves, face à des difficultés, se remettaient parfois en question, et avaient besoin d’un second souffle que je leur donnais. Il fallait les motiver, les accompagner. Et finalement, ils m’ont accompagné aussi, à leur manière, au quotidien. Et ça a créé des liens très, très forts. On a vu tout à l’heure notre imam complètement troublé, comme j’ai pu l’être, à l’occasion de cette remise de diplômes. Ils ont tous excellé. Ils sont tous remarquables. Ils sont issus d’une sélection qui n’est pas le fruit du hasard. Et l’émotion a été très forte. Parce que les liens sont ici vrais. En Afrique, ils sont vrais. Ils sont sincères, ils sont profonds. Ils se sont livrés à moi comme j’ai pu me livrer à eux, de manière authentique. Et c’est ce qui a fait la richesse de cette relation qui s’est instaurée naturellement entre eux et moi ».

Jérôme Lebouc et les acteurs« Je vais partir de ce pays le cœur très lourd de les quitter. Je ne les abandonne pas, on restera en lien, grâce aux médias qui nous sont offerts aujourd’hui. WhatsApp sera pratique, nous avons déjà formé un groupe et l’aventure continue, malgré la distance. C’est fort probable qu’il y en ait probablement d’autres Master Class. Il se peut qu’un Campus, un Centre réunissant plusieurs métiers voie le jour, probablement à Dakar. Une sorte d’Institut. Mme Aissa Dione y travaille énormément, comme d’autres acteurs. Il est possible qu’au sein de cet Institut qu’on fasse à nouveau appel à mes compétences pour accompagner, former à nouveau d’autres jeunes, dans un autre cadre. Je le ferai bien volontiers ». Revenant sur son séjour, Jérôme Lebouc avoue qu’il a été « formidable. A ce point vrai, à ce point profond qu’au-delà des religions, les instants de prière ont pu être communs ».

« Lors qu’en cette période de ramadan, plus encore qu’au début de ce séjour, lorsque les stagiaires allaient prier, j’ai pu me joindre à eux en priant selon ma propre confession, un même Dieu, créateur de toute chose, du ciel et de la terre, du visible et de l’invisible. Et ce temps de prière a pu se prolonger à l’occasion de la grande prière du vendredi, puisque j’ai pu être accueilli, chaque vendredi, à la mosquée de Thiès, encadré par ces différents stagiaires que j’ai pu former pendant ces trois semaines. Et c’était un autre moment fort, de véritable communion d’esprit. Et je pense que cela s’est traduit tout à l’heure par la vive émotion à la remise des diplômes. Il y a le visible et l’invisible. Et s’agissant de l’invisible, les échanges ont aussi été très forts, pendant ces trois semaines ».

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Journaliste pluridisciplinaire, je suis passionné de l’information en lien avec l’Afrique. D’où mon attachement à Afrik.com, premier site panafricain d’information en ligne
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