Elections présidentielles en RDC : un double enjeu


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À moins d’un revirement inattendu, les Congolais seront appelés aux
urnes en novembre prochain. Quelle qu’en soit l’issue, l’enjeu de ce
scrutin est à la mesure des attentes d’une population forte de 68
millions d’habitants dont 51 millions sont quotidiennement confrontés
aux affres de la faim et de la misère. En faisant l’hypothèse que
l’équipe élue soit profondément motivée par l’intérêt collectif et non
privé (enrichissement personnel) et dans la conjecture la plus
heureuse et souhaitable de la non « ivoirisation » du climat
postélectoral, quels seront les choix économiques et institutionnels à
faire pour mieux combler les besoins de la population ?

En observant la scène politique préélectorale en RDC et l’agitation
manifeste de la « communauté internationale » entourant l’échéance
électorale, on peut penser que l’après élection sera encore beaucoup
plus déterminant que le scrutin lui-même, tant les questions
socioéconomiques semblent reléguées loin derrière les enchères
purement politiciennes.

Et pourtant, ce ne sont pas les arguments qui manquent, tant du côté
de l’équipe sortante tenue par le tandem Kabila-Mozito que dans celui
de l’opposition, qui cherche à se cristalliser autour de la figure
emblématique de Tshisekedi.
Par exemple, l’équipe sortante pourrait soutenir qu’au chapitre
économique, elle a réussi là où tous les gouvernements précédents ont
échoué : la stabilisation du cadre macroéconomique. Un exploit qui a
remis le Congo sur le chemin de la croissance. En effet, entre 2004 et
2008, l’économie congolaise aurait enregistré un taux de croissance du
PIB réel de l’ordre de 5,7% en moyenne, une performance remarquable si
on compare ce chiffre aux taux négatifs et à l’état piteux de
l’économie durant les décennies précédentes. De plus, après un repli
de 3,9% en 2009, les projectionnistes du FMI entrevoient une poussée
de la production réelle de 6,1 – 6,9% pour 2010 – 2011, et même de
10,6 – 8,7% si l’on inclut la rente pétrolière. Avec un taux
d’inflation révisé à 9,8% en 2010, il faut remonter bien loin dans le
temps pour retrouver pareille prouesse.

En revanche, l’opposition pourrait objecter qu’il ne s’agit là que
d’une série de « bons » chiffres au contenu quasi nul : une
performance économique se mesure à l’aune de l’amélioration des
conditions de vie des populations. Entre 2004 et 2008, l’accroissement
moyen du revenu réel par habitant n’a été que de 1,4%, un chiffre qui
est loin de soustraire les 3/4 des congolais de la sous-alimentation,
de la sous-scolarisation et de la sous-médication. De plus, au
chapitre de la gouvernance économique, contrairement au satisfecit
affiché par les experts du FMI, le classement 2011 de Heritage
Fondation et du Wall Street Journal place la RDC à la 174ème position
sur 179 pays avec un score de 40.7 à l’indice de liberté économique,
qui englobe la gestion des dépenses publiques, la facilité
d’entreprendre ou la flexibilité du marché du travail.

Mais dans un pays où les gens élisent leurs représentants non pas sur
base d’un projet de société et encore moins de l’idéologie économique
(libérale ou social-démocrate) du parti, il n’en demeure pas moins que
les enjeux liés aux choix économiques et institutionnels
postélectoraux couvent des risques élevés que seule une élite probe et
nantie d’un sens profond de l’État peut arriver à évaluer afin de
mieux préparer les conditions de décollage économique.

Au plan macroéconomique, il sera impératif, à court terme, d’opter
pour une politique visant à préserver le juste équilibre entre, d’une
part, la nécessité de soutenir et d’étirer dans le temps le rythme de
croissance appréhendé et, d’autre part, celle de restaurer l’équilibre
budgétaire qui, probablement, aurait été fragilisé par le relâchement
de la politique monétaire à des fins purement pré- et post
électoralistes comme on l’a observé lors des élections de 2006. En
plus de cette menace, la hausse historique des cours mondiaux des
produits alimentaires de consommation courante et ceux des produits
énergétiques ouvre une brèche d’où pourrait se profiler une
hyperinflation aux effets dévastateurs, au risque d’effacer les gains
de stabilisation des équilibres intérieurs et extérieurs obtenus au
prix d’énormes sacrifices.

Restaurer un cadre institutionnel favorable au développement

À court terme, la stabilisation du cadre budgétaire et financier est
sans doute un des facteurs facilitateurs de la croissance, mais face à
l’amplitude de la paupérisation de la population congolaise, il faut
réunir et raviver les conditions d’une croissance soutenue à long
terme. Or une telle croissance n’est possible que grâce aux effets
combinés de l’investissement et de la productivité du travail dans les
petites et moyennes entreprises manufacturières et agricoles, aptes à
donner un emploi rémunéré à des millions des chômeurs urbains et de
garantir aux paysans des revenus réguliers.
Au Congo, ces unités productives ont été, comme dans un tsunami,
rasées du paysage économique dans les années 70 suite aux mesures de «
zaïrianisation-radicalisation » initiées par Mobutu. Confrontés à
l’insécurité et à l’absence de confiance, les « entrepreneurs » locaux
et étrangers orienteront désormais leurs ressources plutôt vers les
activités spéculatives (extraction et commerce des minerais) que
productives. Le processus de désindustrialisation du pays et la chute
du taux d’accumulation trouvent leur origine dans cette bévue.

La restauration du cadre institutionnel, c’est-à-dire les règles et
normes sociales formelles et informelles censées assurer la confiance,
la coordination dans les mécanismes d’allocation des ressources, de
production et d’échange entre les acteurs économiques devrait inverser
cette tendance. Elle devrait également inciter le gouvernement à
investir dans l’infrastructure, la santé et l’éducation les revenus
tirés de l’exploitation et de l’exportation des ressources
énergétiques et minières ainsi que les économies réalisées dans le
cadre de l’I-PPTE.

L’enjeu est donc double : économique et institutionnel. L’amélioration
des conditions de vie des Congolais passe par une croissance soutenue
minimale de 7%, susceptible de venir à bout d’une pression
démographique annuelle de 3%; mais aussi par des institutions
pro-développement pour vaincre la dynamique corruption-prédation qui
empêche les mécanismes de création de richesses et de redistribution
d’agir équitablement.

Par Remy K. Katshingu

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