Élection en Afrique : « Le culte de la personnalité travaille pour imposer un candidat » (Régis Hounkpè)


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Régis Hounkpè, analyste en géopolitique et relations internationales
Régis Hounkpè, analyste en géopolitique et relations internationales

2023 est une « année électorale » en Afrique. Après les élections présidentielles au Nigeria (février), la Sierra Leone (juin), quatre autres pays du continent devraient organiser le scrutin présidentiel, au cours de cette année. Il s’agit du Gabon en août, du Liberia en octobre, de Madagascar en novembre et de la République Démocratique du Congo en décembre. Cependant, l’on remarque la montée en puissance du culte de la personnalité dans la majorité de ces pays, à l’approche de ces exercices démocratiques.

C’est l’exemple de la République Démocratique du Congo, de Madagascar et du Gabon. Des affiches avec l’effigie du Président ou de son parti politique inondent les grandes villes de ces pays. On peut y lire : « Fatshi Beton de la République pour Félix Tshisekedi en RDC, etc », « Ali Bongo, jamais 2 sans 3, notre champion, au Gabon », « Le Grand bâtisseur à Madagascar pour Andry Rajoelina, etc ». Au sein de l’opinion, dans les médias et sur les réseaux sociaux, le culte de la personnalité a atteint un autre niveau. Qu’est-ce qui peut bien expliquer ce phénomène ? Pourquoi généralement « élections » rime avec culte de personnalité dans plusieurs pays d’Afrique ? Éléments de réponse dans cet entretien avec Régis Hounkpè, analyste en géopolitique et relations internationales, directeur exécutif d’InterGlobe Conseils, un cabinet-conseil international spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique.

Entretien

AFRIK.COM : Qu’est-ce qui explique la montée du culte de la personnalité à l’approche des élections présidentielles dans plusieurs pays d’Afrique Subsaharienne ?

Régis Hounkpè : Toute l’Afrique, à la veille des élections présidentielles, offre son lot de démonstrations irrationnelles et d’affichage politique et médiatique de personnalités, à la limite de la vénération. Mais je tiens à vous rappeler que la glorification des personnalités politiques n’est pas un phénomène contemporain, encore moins exclusivement africain. La conquête du pouvoir, d’une part, et la préservation du pouvoir absolu, que cela soit au Moyen-âge, sous la Rome antique, sous la Chine de Mao ou encore avec Hitler dans l’Allemagne nazie apportent suffisamment d’éclairages sur la personnalisation et la divinisation des personnalités politiques. Ainsi, sous toutes les latitudes, en Asie, en Europe, comme en Afrique, le culte de la personnalité définit un trait de caractère saillant attaché à un pouvoir suprême, voire « oint des Dieux ».

Sur la spécificité que vous évoquez en République Démocratique du Congo, à Madagascar et au Gabon, la communication autour des Présidents en exercice est conçue comme s’ils étaient des personnalités providentielles, nouvelles et uniques, seules capables de promettre et de permettre le paradis sur terre. Ces trois dirigeants nourrissent le désir sain de continuer leurs politiques, mais le vrai questionnement est de savoir si celles-ci ont été bénéfiques pour leurs peuples. Le culte de la personnalité est un instrument d’inspiration totalitaire, en Afrique et ailleurs, pour des finalités de perpétuation des pouvoirs souvent déliquescents et généralement, sans ambitions et vision.

Sur le plan culturel, quel est le sens de ce phénomène multidimensionnel ?

Par facilité, on remet excessivement sur les pratiques de propagande l’idée qu’en Afrique, le Chef est un envoyé des dieux et qu’il est crédité de vertus exceptionnelles pour changer les destins. Je pense que c’est un peu plus complexe et que généralement, l’attribution de pouvoirs surnaturels doit être modéré par l’instrumentalisation de bilans politiques ou présentés comme tels pour apparaître comme « leaders providentiels ».

Pour le Président Félix Tshisekedi en RDC, il apparait comme l’unique rempart contre ce que les Congolais qualifient « d’agression du Rwanda à l’Est de leur pays ». Le Président est présenté comme un homme vaillant et puissant qui défendra chaque centimètre carré du territoire congolais. Et cela vaut toutes les élections. Au Gabon, Ali Bongo donne le change, présenté comme un miraculé après ses graves ennuis de santé. La propagande recherche dans ce cas davantage de légitimité et de popularité, voire de compassion et d’affection pour renforcer l’image et la réputation du candidat dont le précédent bilan politique, économique et sécuritaire est savamment réduit au silence.

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 Sur le plan politique, quel serait l’impact du culte de la personnalité sur le choix d’un candidat ?

Pour celles et ceux qui usent de cette corde pour imposer le choix de leur candidat, tout est dans la forme, l’image, l’apparence et parfois cela est grossier et vulgaire quand on découvre les artifices à l’œuvre. En communication politique, la forme renseigne sur le fond et à l’analyse des projets, il n’est pas difficile de remarquer le vide des propositions. A trop miser sur la forme, les projets sont insuffisamment préparés et ne projettent aucune perspective. Au final, le culte de la personnalité travaille, de façon circonstancielle, pour imposer un candidat, créant autour de lui un halo de séduction, mais cela reste limité dans le temps. Des statues érigées à la gloire de dictateur ont été aussi vite déboulonnées par les mêmes qui, l’avant-veille, psalmodiaient leur amour éternel pour le « Grand Leader ».

Les politiciens sont-ils à la base de la montée de ce phénomène ? Et le peuple joue aussi à ce jeu, en dépit de la précarité socio-économique ?

Les politiques en sont les premiers bénéficiaires. Avec les standards de la communication constamment renouvelés, le phénomène s’est accéléré avec les réseaux socio-numériques. En effet, ces derniers disposent de cette capacité à démultiplier les effets médiatiques voulus et espérés d’une campagne, en fonction des contextes politico-électoraux et des cibles de consommateurs qu’est le peuple. N’accablons pas tout le peuple, même si j’en conviens que la facilité déconcertante avec laquelle une partie peut être manipulée interpelle sur les ressorts psychologiques de la faim et de la précarité. Certains ne cèdent pas aux effets glorificateurs de ces nouveaux héros, en leur déniant toute crédibilité et légitimité à se prévaloir d’une forme d’indispensabilité au pouvoir. C’est l’avantage d’une meilleure éducation citoyenne et à la démocratie où la préservation et la stabilité d’un pouvoir ne résident pas dans la personnification d’un individu qui doit présider, ad vitam æternam, mais dans l’incarnation des idéaux du plus grand nombre.

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