
Alors que le Mali vient de perdre son deuxième drone Akinci en trois mois, dans un contexte de tensions croissantes avec l’Algérie, les limites de la guerre technologique « à distance » apparaissent au grand jour. Entre défaut de formation, bavures meurtrières et défaillances systémiques, l’illusion d’une supériorité technique se heurte à la réalité du terrain sahélien.
Dans la nuit du 31 mars au 1er avril, un drone militaire malien de type Baykar Akinci s’écrase près de la frontière algérienne. Alors qu’Alger affirme l’avoir abattu pour violation de son espace aérien, Bamako évoque un crash lors d’une mission de reconnaissance « de routine ». Difficile de départager les versions. Mais un détail sème le doute : selon le chef d’état-major des armées maliennes, le général Oumar Diarra, l’engin opérait dans la région de Kidal, à près de 300 kilomètres du point d’impact, localisé à Tin Zaouatine.
Le Mali perd sa flotte de drones en quelques mois
Il faut noter que les autorités maliennes reviendront plus tard affirmer que l’appareil opérait plutôt près de la frontière avec l’Algérie. Quelques heures plus tard, des membres du Mouvement de libération de l’Azawad posent fièrement devant la carcasse encore fumante du drone. La séquence est lourde de symboles.
Au-delà des mots, le résultat est le même : l’appareil est hors d’usage. Et ce n’est pas une première. C’est même le deuxième drone Akinci perdu par les Forces armées maliennes (FAMA) en moins de trois mois — le premier s’était écrasé en janvier 2025. Le tout à peine quatre mois après leur livraison officielle par la Turquie, en décembre 2024. Bilan : en six mois, le Mali a perdu l’intégralité de sa flotte de drones lourds, soit un investissement d’environ 60 millions d’euros. Une hécatombe technologique.
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Les causes sous-jacentes : défaillances techniques ou humaines ?
Comment expliquer une telle série noire ? S’agit-il de défaillances techniques des appareils turcs ? De failles humaines, liées à la formation des opérateurs ou à une mauvaise coordination dans l’usage de ces outils sophistiqués ? Le silence des autorités n’aide pas à clarifier. Mais le faisceau d’indices converge : les problèmes ne viennent pas seulement des drones eux-mêmes, mais du système dans lequel ils sont insérés. Car ce n’est pas un incident isolé.
En août 2024 déjà, un drone TB2 turc avait été intercepté et repoussé par la chasse algérienne. Peu après, un hélicoptère Mi-35 malien avait été brièvement accroché au radar dans la même zone frontalière. Les tensions aériennes s’accumulent. Et elles révèlent une faille structurelle : le fossé entre la fascination pour les outils de guerre high-tech, drones, missiles, blindés dernier cri, et la réalité opérationnelle, bien plus ingrate.
C’est un biais partagé par de nombreux pays africains. Les autorités politiques, les armées et parfois même les populations nourrissent une véritable fascination pour les matériels de pointe, vus comme des raccourcis vers la puissance militaire. Mais posséder un drone n’est pas l’utiliser efficacement. Encore faut-il maîtriser les protocoles d’engagement, disposer de personnels formés, d’une logistique robuste, et d’une doctrine d’emploi cohérente. Ce sont là des investissements invisibles, lents, coûteux, peu spectaculaires, et donc souvent négligés.
Les drones : des instruments redoutables, mais à quel prix ?
Autre point aveugle : les usages tactiques. Les drones armés sont redoutables dans certaines configurations. Mais au Sahel, théâtre d’une guerre asymétrique où les groupes terroristes s’imbriquent dans les populations civiles, leur emploi pose de redoutables dilemmes. Le 26 août 2024, une frappe de drone a tué 21 civils à Douna, dont 11 enfants. Le 23 mars, une école coranique a été touchée. Dix enfants au moins y ont perdu la vie. Certes, des djihadistes figuraient peut-être parmi les victimes. Mais ces bavures renforcent le rejet local, sapent les efforts d’ancrage de l’État et alimentent les récits de recrutement terroriste. Le drone, outil de précision sur le papier, devient parfois un instrument de terreur.
Les performances impressionnantes des drones turcs sur d’autres terrains, comme en Libye ou en Azerbaïdjan, avaient suscité l’enthousiasme. Mais au Mali, le contexte est tout autre. Terrain désertique, faible couverture radar, guerre irrégulière, chaînes de commandement désorganisées, partenaires russes peu enclins à respecter les conventions : la magie technologique ne fonctionne pas. Et sans un écosystème militaire structuré, la guerre à distance se transforme en fiasco.
Alors, faut-il remettre en cause les équipements turcs eux-mêmes ? Peut-être. Mais il est plus probable que la défaillance soit systémique. Ce n’est pas tant l’outil qui pose problème que la manière dont on prétend l’utiliser sans en assumer les exigences. L’erreur n’est pas d’acheter des drones. Elle est de croire qu’ils suffiront à gagner une guerre.