Drôles de Guignols camerounais


Lecture 6 min.
arton23102

Une satire mordante sur les antennes du pays de Paul Biya? Certes non. Politique, corruption, népotisme… autant de thèmes que n’aborde pas Guignols Actu. La nouvelle émission humoristique de la Cameroun Radio Télévision (CRTV), inspirée des Guignols de l’Info de la chaîne française Canal +, ne touche pas aux sujets sensibles. La chaîne publique camerounaise veut, pour l’heure, faire rire sans heurter certaines susceptibilités, mais promet de bientôt muscler le propos de son programme.

Attention, nouveau programme sur la télévision publique camerounaise. Depuis le 7 mai, la Cameroun Radio Télévision (CRTV) diffuse Guignols Actu, une émission inspirée des Guignols de l’Info de Canal +. Tous les mercredis et vendredis après-midi, la marionnette de Charles Ndongo présente sur un ton humoristique les informations en recevant ses invités, des pantins articulés comme lui. Patient et sûr du potentiel de son concept, Gabriel Nkoudou Amougou, marionnettiste et producteur du programme, a su convaincre la direction générale de la télévision publique. « La démo a été faite à la hâte et les thématiques ne correspondaient pas. Après plusieurs séances de travail, nous avons été satisfaits. Pour le moment, l’émission n’est pas parfaite mais les débuts ne sont pas mauvais », confie Robert Ekukole, directeur de la programmation et de la production de la CRTV. C’est en 2007 que la première version du programme intitulé Guignols d’Afrique a vu le jour au Cameroun, sur New TV, une chaîne de télévision privée. Mais Gabriel Nkoudou Amougou, ayant rencontré « quelques difficultés, notamment juridique» avec elle, s’est finalement tourné vers la CRTV.

Interview de Robert Ekukole, directeur de la programmation et de la diffusion de la CRTV Afrik.com : Guignols Actu est-il purement ludique ou satirique ?

Robert Ekukole : Tout juste un programme ludique. Il s’agit de faire preuve d’humour pour détendre l’atmosphère, distraire. Nous avons étudié l’environnement. Un contenu nouveau est toujours un peu susceptible. On veut être prudent. On ne sait pas comment le public va l’accueillir, notamment les cadres hauts placés. Cette année, l’ambition est de tâter le terrain. De plus, le budget est très modeste. Plus tard l’émission sera plus osée. Nous comptons nous jeter à l’eau pour faire de l’émission une vraie caricature.

Afrik.com : En n’attaquant pas l’actualité politique, ne pensez-vous pas dénaturer le principe des Guignols ?

Robert Ekukole : Nous ne voulons pas suivre de leçons de qui que ce soit. Nous avons voulu domestiquer notre émission, nous distinguer des autres. Il faut trouver d’autres approches, d’autres angles d’attaque. Par exemple, les Guignols de l’info (en France) traitent plus de l’actualité. Nous explorons d’autres champs sociaux. Nous ne sommes pas limités à l’actualité du jour.

Afrik.com : Quels sont les champs abordés ?

Robert Ekukole : Nous voulons rester dans le comportement des Camerounais de tous les jours, le monde du sport ou encore le monde de la musique. Nous restons dans les champs humains et sociétaux, comme le rire légendaire de Manu Dibango. Progressivement nous irons dans le champ de l’actu. La prudence impose que l’on aille doucement.

Afrik.com : N’avez-vous pas l’impression de pratiquer l’autocensure ?

Robert Ekukole : Non, nous n’avons pas l’impression de nous censurer. Nous avons bâti un plan autour de ce programme totalement inédit pour une télévision publique. Comme toute nouvelle arrivée, il faut être prudent. Au bout du compte, nous allons pousser l’ambition plus loin. Pour le moment, oui, l’émission restera ludique. Plus tard, ce sera plus osé et plus complet.

M. Amougou se félicite qu’une banque lui ait accordé un crédit. Sans celà, il n’aurait jamais produit Guignols Actu. Une fois l’émission prête, il vend « ses droits de diffusion à la CRTV », explique le producteur. Une position qui peut impliquer quelques compromis. « Je n’ai pas de contrainte en tant que tel. Je ne fais que suivre la ligne éditoriale de la CRTV, qui a la position du client. Je ne donne que ce qu’elle peut accepter », ajoute le caricaturiste.

Des téléspectateurs critiques

Les téléspectateurs apprécient diversement le nouveau programme. Ralph, un commercial de 21 ans, estime que les Guignols Actu sont « beaucoup mieux sur la forme que sur le fond ». Selon lui, les personnages ainsi que leurs accents sont plutôt réussis, en revanche les textes « ne sont pas assez bien construits ». Steeve, étudiant de 21 ans, regrette que les Guignols Actu ne soient « pas aussi cyniques que les Guignols de l’info (en France) ». Justine, 45 ans, déclare qu’elle « ne comprends pas tout » ce qui est dit. « Et puis je n’aime pas qu’on se moque des gens comme ça », ajoute la vendeuse qui reconnaît que « les images sont quand même bien faites ».

Pour le directeur de programmation et de la production, Guignols Actu n’est pour l’instant qu’une émission « ludique », mais qui a pour vocation à terme de devenir une véritable satire sociale. « Il s’agit de faire preuve d’humour pour détendre l’atmosphère, distraire… Cette année, l’ambition est de tâter le terrain. Plus tard l’émission sera plus osée », déclare Robert Ekukole (Cf. encadré). Un avis que partage Gabriel Nkoudou Amougou. « Pour évoluer au Cameroun, il faut être plus social que politique. Pour que le concept puisse naître, il faut prendre un aspect qui puisse être accepté par tout le monde. On va étape par étape », affirme-t-il. « Il y a un aspect humoristique dans les Guignols Actu. Si on trouve un sujet politique qui peut faire rire tout le monde, alors je le fais. Ensuite j’attends la réponse de la CRTV », explique le caricaturiste.

Pour Gabriel Nkoudou Amougou, « caricaturer les gens n’est pas encore tellement ancré dans les mœurs des Camerounais ». Malgré des moyens financiers et matériels modestes, le producteur des Guignols Actu reste confiant quant à l’avenir du programme. « Au Cameroun, nous sommes dans un système D. Ce n’est pas encore ce qu’il faut, mais nous voulons à la fin des images attractives », déclare le marionnettiste. Toute son équipe, composée d’une trentaine de personnes dont sa femme, travaille avec 2 ordinateurs. Lui-même cumule les métiers de caricaturiste, sculpteur, marionnettiste et producteur.

Bien qu’il y ait fort à dire sur leurs pratiques, les hommes politiques camerounais peuvent encore dormir sur leurs deux oreilles. Et nombre de téléspectateurs restent impatients de voir la télévision chahuter, un jour, les puissants.

Suivez Afrik.com sur Google News Newsletter