Dieudonné Kabongo démasque la colonisation


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Rire du cinquantenaire des indépendances africaines, c’est possible. L’humoriste congolais Dieudonné Kabongo le montre avec sa fable Bas les masques, l’histoire d’un village oublié du colonialisme, pas encore découvert, qui rêve d’exister. Mais à quel prix ?

Sans colonisation, pas d’existence officielle. Un village oublié du colonialisme veut à tout prix être « découvert », pour avoir enfin sa place dans l’atlas. Telle est la fable que raconte l’humoriste congolais Dieudonné Kabongo, résidant en Belgique, qui se produit au Tarmac de la Villette [jusqu’au 24 juillet et du 24 au 28 août, à 20h, au [Tarmac de la Villette à Paris]] à Paris. Bas les masques revisite l’histoire africaine en soulevant les paradoxes. « Exister » nécessite tout un processus d’ « esclavagisation, évangélisation, colonisation, indépendantisation , etc ». Armé d’un likembe, instrument formé de lamelles de métal qui résonnent sur une caissette en bois, l’humoriste dialogue avec des personnages virtuels projetés sur écran, des villageois voisins aux anthropologues en passant par Dieu ou les colons, et se demande si le « processus » vaut la peine d’être enclenché. Blancs, Noirs, colons, colonisés, tout le monde est servi. Dieu lui-même n’échappe pas aux piques de Dieudonné Kabongo. « La colonisation, c’est un peu comme quand on créé un passage piéton. Le noir n’existe que quand on met les bandes blanches, mais pourtant, le noir, il était là avant ! ». Oui, mais sans drapeau. Et sans drapeau, pas de patrie. Et sans patrie, pas de frontières. Et sans frontières, pas de guerre. Et sans guerre, pas de médiatisation. Et sans médiatisation, pas d’aide humanitaire. Rentrer dans la spirale du progrès a ses avantages, mais surtout beaucoup d’inconvénients. Sans rancœur, Dieudonné Kabongo les liste avec le sourire.

Afrik.com : Pourquoi ce titre, Bas les masques ?

Dieudonné Kabongo :
L’idée est de se dire les choses sans détourner le regard. Partir de la vérité historique et construire l’avenir. Le spectacle met en scène la Belgique, le Congo, la France, l’Angleterre… qui se reconnaissent facilement. Ce n’est pas un espace où il faut condamner les uns et ménager les autres, il faut aller au-delà des masques du mépris, de l’indifférence, de la complaisance, de la fausse amitié. Il existe encore énormément de tabous à faire tomber.

Afrik.com : Quel message voulez-vous faire passer ?

Dieudonné Kabongo :
Je voulais m’amuser. Je trouvais drôle l’idée d’un village non découvert au 21e siècle, de repasser par le « processus normal » d’esclavagisation, d’évangélisation, de colonisation, d’indépendantisation… Est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? Chris Borry a créé la fable dont s’inspire le spectacle, que nous avons co-écrit. Au début, nous avions pensé à faire une bande-dessinée, puis un film. Après, nous avons souhaité donner à ce village la possibilité d’interroger le cinquantenaire des indépendances.

Afrik.com : Avez-vous eu du mal à produire votre spectacle ?

Dieudonné Kabongo :
Oui, ça fait 10 ans que l’on est sur le projet ! Nous n’avons eu la possibilité de le monter qu’à partir du moment où la ville de Mons en Belgique et le Tarmac de la Villette ont co-produit la pièce. Tout le monde trouvait la fable intéressante mais il fallait l’écrire. Lorent Wanson, qui a mis le spectacle en scène, l’a structuré. Entre temps, j’ai fait d’autres choses. Mais aujourd’hui, cela fait plaisir que le projet ait abouti, c’est un peu comme porter un enfant. Il y a des souffrances, mais à l’arrivée, une certaine jouissance. Maintenant, j’ai le souci de faire grandir le spectacle. Je compte le faire tourner, notamment en Afrique. L’Algérie, le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal sont intéressés. Et même le Congo parce que je suis Congolais mais j’ai l’impression qu’ils ne connaissent pas encore le sujet. J’aimerais aussi le mettre à la portée de tous les publics, notamment les enfants.

Afrik.com : Comment est-il perçu?

Dieudonné Kabongo :
Il a eu un bel écho en Belgique. J’ai été content d’entendre des personnes qui vivaient au Congo à l’époque coloniale me suggérer de jouer lors de leurs réunions d’anciens. Selon eux, ce serait une belle occasion d’ouvrir les albums et surtout de se dire : on a vécu une belle époque, mais elle aurait pu être meilleure si on s’était dispensé de certaines choses.

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