Détention provisoire au Bénin : des milliers de détenus en attente de leur procès


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Prison au Bénin
Prison au Bénin Cotonou, september 2003 -@Jean-Michel Clajot / Cosmos

…Dix (10) ans, quinze (15) ans, seize (16) ans, voire plus en prison sans être jugé ni faire l’objet de condamnation à l’issue d’un procès. Des milliers de détenus se retrouvent dans cette situation dans les maisons d’arrêt ou prisons du Bénin. Ceci, en violation des dispositions du Code de procédures pénales en vigueur en République du Bénin. Alors que la Cour constitutionnelle ne se lasse pas de condamner le non-respect des délais de détention provisoire, ils restent nombreux à croupir en prison, ignorant s’ils seront un jour entendus ou jugés.

Meurtris, découragés et surtout désespérés de ne savoir quand est-ce que leur cause sera
entendue. Ainsi, peut-on décrire l’état d’esprit de ces personnes en détention provisoire depuis de longues années dans les prisons et maisons d’arrêt du Bénin. Alors que leur culpabilité n’est pas encore établie, des détenus se retrouvent derrière les barreaux durant de longues années parfois plus de quinze ans sans comparaître devant un juge. Se considérant souvent « oubliés » par la justice, beaucoup doivent également faire face à la torture de l’abandon des proches, lassés de toujours venir leur rendre visite en prison, admet Gbaguidi Babylas, Coordinateur pays et président de l’Ong « Prisonniers sans frontières », une organisation intervenant auprès des détenus.

Lassés d’espérer prouver leur innocence ou écoper d’une peine à purger, il ne leur reste plus qu’une seule chose à faire : « Ils s’en remettent à Dieu, c’est le seul espoir. C’est difficile », confie Prince Agbodjan, juriste et rapporteur de la Commission béninoise des droits de l’homme (Cbdh). Et pour Me Sadikou Ayo Alao, avocat au barreau du Bénin, « il y en a qui se suicident ». Chose curieuse, dans les établissements pénitentiaires, « les décès ne sont pas documentés ; les causes ne sont pas établies ; aucune enquête n’est faite sur les causes », selon le rapport 2021 de la Cbdh. Plus inquiétant, les prisons ne disposent pas de psychiatre affecté pour accompagner ces détenus souvent rongés par la détresse.

S’il y en a qui y sont depuis cinq ans, six ans, il y en a plusieurs qui croupissent dans les liens de la détention provisoire depuis plus de dix ans, quinze ans, sans être jugés conformément aux dispositions légales en vigueur en République du Bénin. Si ces derniers ne savent plus à quel saint se vouer, n’espérant plus qu’un miracle de Dieu pour être jugé ou libéré, l’hypothèse selon laquelle des détenus seraient oubliés en prison n’est pas à exclure.

Ancien président de la Cour constitutionnelle, Me Robert Dossou ne rejette pas l’hypothèse et atteste avoir connu de ces cas. « J’en ai eu un, il est tellement resté en prison qu’on l’appelait, ils l’avaient surnommé « Akowé ». Mais quand j’ai vu son dossier, il n’y avait pas beaucoup de preuves suffisantes et il a été condamné finalement après avoir fait 12 ou 14 ans de détention préventive à 3 ans », a confié l’ancien Bâtonnier.

Et il n’est pas rare que la justice déclare non coupable un détenu après avoir passé de  longues années en prison sans être jugé. A titre illustratif, au cours de la première session criminelle du Tribunal de première instance de Cotonou au titre de l’année 2022, le nommé Armel Z a été libéré le 11 juillet 2022 au bénéfice du doute après huit ans de détention provisoire. Quelques jours après, c’est au tour de deux jeunes d’être relaxés au bénéfice de doute après cinq ans de détention. Et la liste n’est pas exhaustive.

Prison civile d'Abomey Calavi
Prison civile d’Abomey Calavi

Selon le rapport 2021 de la Commission béninoise des droits de l’homme (Cbdh), la Commission a été saisie de quarante-six (46) requêtes “dont les cas préoccupants recensés sont relatifs aux arrestations injustifiées, des maintiens en détention abusive malgré les décisions de justice, des délais de procédure excessivement longs“. Selon le rapport, des prisonniers sont maintenus dans les liens carcéraux depuis plus de 15 ans sans aucune procédure, tandis que d’autres procédures entamées depuis de longues années n’ont pas abouti. Plusieurs cas ont été alors renseignés par la Commission.

C’est le cas, par exemple, du « maintien en détention à la prison civile de Porto-Novo d’une personne dont le mandat d’arrêt porte le numéro 1680/RP-06 du 17-08-2006 et dont le dossier est en instruction au premier cabinet du Tribunal de 1ère Instance de deuxième classe de Porto-Novo depuis le 17 août 2006, soit plus de quinze ans de procédure ». Par ailleurs, la Commission est intervenue pour faire libérer un détenu à la maison d’arrêt de Natitingou le 9 juillet 2021 après neuf (09) ans passés en prison « sans aucune procédure ». De janvier 2022 au 31 mars 2022, la Cour Constitutionnelle a rendu une trentaine de décisions (trente-neuf au total) sur le non-respect des délais de détention provisoire. De la plupart de ces décisions rendues, il ressort que des détenus sont en prison depuis plus de 5 ans, 9 ans et plus sans être jugé ni condamné. Dans ces décisions, la Cour constitutionnelle a déclaré arbitraire, abusive et contraire à la Constitution, la détention de plusieurs personnes. Cependant, la plupart de ces décisions sont loin d’être exécutées, bien que les décisions de la Cour soient sans recours et s’imposent à tous.

A titre illustratif, dans sa décision Dcc 22-085 du 22 mars 2022, la Cour constitutionnelle a dû rendre une nouvelle décision suite à un recours sur l’inexécution d’une décision rendue par la Cour en février 2020 et qui porte sur un cas de détention provisoire arbitraire. Toutefois, certains ont pu retrouver leur liberté sur décision de la Cour constitutionnelle, selon Me Sadikou Alao.

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Des statistiques sur la situation carcérale au Bénin, la population carcérale est de 13.009 détenus dont 459 femmes et 177 mineurs à la date du 12 juillet 2021 alors qu’elle était de 9.687 à la date du 27 novembre 2019, selon le rapport 2021 de la Cbdh. Chose curieuse, elle est passée à 14 425 détenus à la date du 20 juillet 2022, selon Prince Agbodjan, Rapporteur de la Commission béninoise des droits de l’Homme.

Si selon Me Robert Dossou, ils sont nombreux, ces détenus en attente de procès depuis de longues années, Serge Prince Agbodjan estime qu’ils constituent plus de la moitié de l’effectif de la population carcérale. Et selon une dizaine de rapports de l’Ong Changement social sur dix prisons du Bénin, aucun établissement pénitentiaire du Bénin n’échappe à la surpopulation carcérale.

Saisie par une correspondance officielle, l’Agence pénitentiaire du Bénin (Apb) n’a pas daigné répondre à nos préoccupations. Contactée, sa cellule de communication a souhaité au préalable le quitus du Garde des sceaux, ministre de la Justice.

Des détenus sans dossiers…

L’autre réalité de ces personnes en détention provisoire, c’est que beaucoup se retrouve en détention sans dossier. Comment peut-on mettre un individu sous mandat de dépôt sans  qu’il y a un dossier qui retrace les faits et renseigne sur la situation du détenu ?

« Dans le rapport 2021, nous avons eu des cas. Il y a un cas que nous avons vu à Natitingou …, il était tout simplement oublié. Chaque fois que nous faisons des visites au niveau de la Commission, nous rencontrons systématiquement le Président du tribunal et le Procureur de la zone de couverture de la maison d’arrêt ou des prisons. On a discuté avec eux… Il a été libéré parce qu’il n’y avait plus de dossier… Des gens nous disent, ils ont déjà fait dix ans et ils nous annoncent que c’est le jour de l’arrestation qu’ils ont été écoutés donc la première année des dix ans… Et pour la plupart du temps, c’est des gens qui n’ont plus de dossiers, c’est des gens dont les instructions sont finies, quelquefois sont clôturés et d’autres, il y a plus un suivi dans leur dossier », confie Serge Prince Agbodjan.

Me Sadikou Alao reconnaît que les dossiers peuvent être égarés ou que des dossiers soient
perdus de vue, mais refuse de croire qu’il y ait des détenus sans dossier. Mais l’avocat confie être contacté par une détenue en prison à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle, pour retrouver sa requête après que la Cour a déclaré sa détention contraire aux dispositions constitutionnelles et abusive ; ceci, afin de demander sa libération. Selon l’avocat, bien qu’il ait les références, le dossier n’a toujours pas été retrouvé.

Des cas de décès et de dépression…

Dans son rapport 2019 sur les droits de l’homme au Bénin, la Cbdh a renseigné un cas de décès d’une personne en détention provisoire à la prison civile de Porto-Novo. Des précisions données par la Commission, le défunt était maintenu en détention alors que l’ordonnance de clôture de son dossier date du 5 décembre 2005. « Nous avons lutté, nous avons fait des plaidoyers pour le sauver et heureusement, avec la collaboration avec la chancellerie, ils nous ont aidés à pouvoir obtenir sa liberté provisoire et nous devons aller le chercher le lundi pour lui notifier sa liberté provisoire et il est décédé le dimanche », déplore Serge Agbodjan.

Ce dernier avait fait plus de douze ans en détention et n’avait plus de dossier, a-t-il précisé. Le détenu est décédé le dimanche 17 novembre 2019 aux environs de 15 heures, selon le rapport 2019 de la Cbdh.

Des cas de dépression sont également évoqués dans le rang de ces détenus en attente de jugement depuis de longues années. Selon Gbaguidi Babylas de l’Ong « Prisonniers sans frontières », ceux-ci ayant perdu tout espoir de pouvoir comparaître devant la justice, finissent par se laisser à la dépression. Me Sadikou Alao témoigne d’ailleurs avoir pris récemment le dossier d’une détenue qui, face à sa situation, a dû perdre la mémoire. Celle-ci accompagnerait son fiancé à la police pour répondre à une convocation lorsqu’elle a été interpellée puis déposée en prison depuis des années. « Elle ne sait même pas aujourd’hui, où se trouve le fiancé ou le mari qu’elle accompagnait. De la prison de Cotonou, elle s’est retrouvée à Ouidah. Ça lui a même fait perdre la mémoire et les gens de Ouidah n’ont pas son dossier », a-t-il confié.

Non-respect des délais de détention provisoire : quid des raisons…

Si pour beaucoup, ces détenus font les frais des faiblesses du fonctionnement de l’appareil judiciaire, plusieurs raisons sont évoquées pour justifier la réalité que vivent ceux-ci. Alors que l’Ong “Prisonniers sans frontière“ déplore un défaut de textes qui organise la prise en charge des dossiers de détenus par ordre d’arrivée, Gbaguidi Babylas pointe également du doigt l’insuffisance de personnel dans l’administration judiciaire.

Ce qu’a confirmé d’ailleurs Justin Gbènamèto, président de la Cour d’appel de Cotonou lors de l’audience solennelle de rentrée judiciaire 2021-2022. Selon ce dernier, la célérité tant recherchée à travers les réformes engagées dans le secteur de la Justice, ne saurait se réaliser sans un juste renforcement en capital humain. Et d’estimer que l’effectif de sa juridiction est réduit à 12 magistrats parmi lesquels deux cumulent leurs fonctions avec celles à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme. « Un effectif insuffisant pour faire fonctionner la chambre criminelle et celle des mineurs, à un moment où il faut démultiplier certaines chambres…» souligne le président Justin Gbènamèto.

Pour Pierre Dassoundo Ahiffon, Procureur général près la Cour d’appel de Cotonou, évoquant des difficultés de l’année judiciaire, «…le personnel administratif est encore en nombre insuffisant et beaucoup d’équipements et matériels sont vétustes, insuffisants, voire inexistants… Les magistrats ne doivent pas travailler dans des conditions de précarité, d’insalubrité qui ne peuvent qu’engendrer l’inefficacité ».

Quant à Montesquieu Hounhoui, Chargé du programme Justice Pénale au sein de l’Ong Changement social Bénin, il évoque le défaut de suivi des dossiers des détenus et le fait que ceux-ci ignorent les délais prévus par la loi en matière de détention provisoire. « Des interactions avec les acteurs de la chaîne pénale, il a été observé qu’il est prévu que les présidents des chambres d’accusation puissent faire des tours dans les prisons, mais ces tours nécessitent des moyens… », a-t-il confié.

Avocat au Barreau du Bénin, Me Jeffrey Rosland Gouhizoun estime que l’une des principales raisons était le fait que le juge d’instruction cumulait, à la fois, les pouvoirs de se prononcer sur la liberté et la détention et en même temps d’instruire, c’est-à-dire d’investiguer et de rechercher les preuves, les auteurs, de constater les éléments de l’infraction. Ce qui faisait que dans les cabinets d’instruction, les dossiers en raison de leur nombre, donnaient plus de travail au juge, de sorte que certains détenus étaient oubliés. Entre autres raisons évoquées, le manque de personnel judiciaire avec le risque d’oubli des dossiers à la suite des affectations, le manque d’assistance judiciaire des détenus qui devraient se faire accompagner des avocats.

Serge Prince Agbodjan, juriste et rapporteur de la Cbdh évoque une ignorance de la loi par les citoyens, le fonctionnement des juridictions avec un problème au niveau des nominations des magistrats. Des juges d’instruction, affectés ailleurs, ne seraient pas remplacés dans certains cabinets pour garantir la célérité dans le traitement des dossiers. Une autre raison soulignée concerne la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) qui, bien qu’elle soit une juridiction nationale, n’est basée qu’à Porto-Novo. Ce qui pourrait bien justifier un retard dans le traitement des dossiers.

Contacté dans le cadre de l’enquête, un magistrat a confié ne pas pouvoir répondre à nos préoccupations tout en nous invitant à nous référer à d’autres magistrats, plus âgés ou déjà à la retraite.

Les infractions souvent commises par ce lot de détenus sont généralement de nature criminelle, selon nos investigations. Il y a entre autres le viol, association de malfaiteurs, vol à mains armées, coups mortels et blessures volontaires ayant entrainé une infirmité permanente…

Des dispositions légales sur la détention provisoire…

Pourtant considérée comme une mesure exceptionnelle, car ne devant intervenir qu’en ultime recours, la détention provisoire d’un prévenu n’est envisageable que lorsqu’elle est nécessaire et utile à la conduite de l’information et à la manifestation de la vérité (Art 146 du Code de procédures pénales). L’information, c’est le fait de saisir le juge d’instruction, tandis que la manifestation de la vérité n’est autre que l’enquête qui permet de découvrir, de faire révéler les faits, de comprendre comment l’infraction a été commise et de retrouver les auteurs de l’infraction, clarifie Me Jeffrey Rosland Gouhizoun.

Cependant, ces dispositions ne sont toujours pas prises en compte avant tout recours à la détention provisoire, selon nos investigations. Ce que confirment d’ailleurs les propos de Me Robert Dossou qui atteste que « toutes les détentions provisoires ou préventives ne  remplissent pas toujours les conditions ». Selon lui, le juge ne devrait recourir à la détention provisoire que lorsqu’il y a des éléments prouvant que le prévenu n’a pas de garantie de représentation ou de disponibilité pour la conduite de l’enquête et qui attestent également qu’une fois libéré, le prévenu pourrait pervertir les preuves. Il n’est donc pas rare qu’un prévenu soit placé en détention provisoire en raison de la gravité de l’infraction commise, fit-il observer.

Et de préciser que la validité de la détention provisoire est de six mois. Les délais en matière de détention provisoire sont prévus par le Code des procédures pénales en son article 147. Selon Montesquieu Hounhoui de l’Ong Changement social, lesdits délais sont fixés en fonction de l’infraction, de sa nature et de sa gravité. Le délai maximum pour une infraction délictuelle (délits) est de 3 ans et 5 ans pour une infraction criminelle, a-t-il confié.

Le Code de procédures pénales, en son article 147, précise que la détention provisoire ne peut excéder six (06) mois « en tout autre cas, aussi longtemps que le juge d’instruction  demeure saisi de l’affaire ». Cependant, elle ne peut excéder quarante-cinq (45) jours après la première comparution devant le juge d’instruction ou devant le procureur de la République en cas de procédure de flagrant délit, s’il n’a pas déjà été condamné pour crime ou délit de droit commun. Ceci, le maximum de la peine prévue par la loi pour l’infraction est inférieur à deux (02) ans d’emprisonnement. Toutefois, il est prévu des conditions pour prolonger la détention provisoire d’un prévenu si le maintien en détention apparaît toujours nécessaire.

Du même article, il ressort que le juge des libertés et de la détention, saisi par le juge d’instruction, et sur réquisitions motivées du procureur de la République et après avoir requis les observations de l’inculpé ou de son conseil, peut prolonger la détention. Mais ceci, toujours conformément aux délais prévus et cités ci-dessus.

Toujours selon l’article 147 du Code des procédures pénales, la prolongation du délai de détention provisoire ne peut être ordonnée « pour une durée de plus de six (06) mois, renouvelable une seule fois en matière correctionnelle et six (06) mois renouvelable trois  (03) fois en matière criminelle, hormis les cas de crimes de sang, d’agression sexuelle et de crimes économiques ».

Notons que le prolongement de la détention est prononcé par ordonnance et en l’absence de ladite ordonnance, « l’inculpé est immédiatement mis en liberté par le président de la chambre des libertés et de la détention sans qu’il ne puisse être placé à nouveau sous mandat de dépôt sous la même inculpation », précise le Code de procédures pénales.« Les autorités judiciaires sont tenues de présenter l’inculpé aux juridictions de jugement dans un délai de cinq (05) ans en matière criminelle ; trois (03) ans en matière correctionnelle » précise le même article. Ce qui signifie qu’aucune détention provisoire, prolongement compris, ne peut excéder cinq ans peu importe la nature de l’infraction. Et surtout lorsqu’il s’agit d’une infraction délictuelle, elle ne peut excéder trois ans.

Comment peut-on alors expliquer que des individus soient en détention provisoire dans nos prisons pendant plus de dix, quinze ans sans être jugés ni condamnés ? La justice, censée appliquer les dispositions légales, peut-elle se permettre de ne pas les respecter ? Pour Me Sadikou Alao, il importe que des détenus soient accompagnés par des avocats afin qu’ils soient jugés conformément aux délais prévus par la loi. Cependant, tous les détenus n’ont  pas les moyens de payer les honoraires d’un avocat alors que le détenu n’a droit d’office à un avocat que lorsque l’infraction commise est de nature criminelle.

Si l’Ong « Prisonniers sans frontières » estime avoir renseigné plusieurs cas qu’elle a transmis au Barreau du Bénin qui n’a pas manqué de désigner des avocats pour faire le constat, les lignes sont encore loin de bouger véritablement. D’ailleurs, les sessions criminelles prévues pour se tenir chaque semestre ne s’étaient pas tenues à échéance régulière à un moment donné, faute de paiement des frais revenant aux avocats. Une situation désormais résolue, selon Prince Agbodjan qui se réjouit de la reprise desdites sessions criminelles.

Un cas de bonne pratique a été, par ailleurs, souligné par Serge Prince Agbodjan. Selon ce dernier, tous les lundis matin à 10 heures, le Procureur du Tribunal d’Abomey se rendait à la prison pour écouter les détenus qui le veulent. « Cela fait qu’à Abomey, c’est rare de trouver des cas que nous observons dans les autres prisons », a-t-il fait savoir tout en plaidant pour la généralisation d’une telle pratique.

Face à la surpopulation carcérale dans toutes les prisons du Bénin, le respect des délais de détention provisoire ou le recours aux mesures et peines alternatives contribuerait énormément à désengorger les prisons. En effet, selon le Code de procédures pénales et la réforme du Juge des libertés et de la  détention, la liberté devient le principe et la détention, l’exception. Et cette responsabilité incombe au Juge des libertés et de la détention qui ordonne ou prolonge la détention provisoire.

Perçue comme l’une des réformes majeures du Code des procédures pénales, l’institutionnalisation du Juge des libertés et de la détention est encore loin de combler les attentes. Selon Montesquieu Hounhoui, avec cette réforme, la détention ne peut intervenir qu’en ultime recours. « Mais depuis l’installation du juge des libertés, nous n’avons pas réellement ressenti l’effet parce que le recours aux mesures alternatives reste problématique », a-t-il déploré.

Même son de cloche du côté du Rapporteur de la Commission béninoise des droits de l’homme, Serge Prince Agbodjan. « Ils devraient apparaitre comme des gens regardant des libertés parce que la loi leur donne la possibilité de proposer à la place de la détention, beaucoup de mesures alternatives, le contrôle judiciaire, la mise sous convocation, les peines alternatives. Malheureusement les chiffres au niveau de la détention… montrent que ces juges semblent ne pas percevoir l’importance de leur mission et ne sont que dans la détention. Cela voudra dire que la réforme n’a pas pu véritablement trouver son ancrage comme on l’aurait voulu », a-t-il déploré également.

De son côté, Me Jeffrey Rosland Gouhizoun, estime que les réformes sur le juge des libertés et de la détention ne sont pas encore actées. « Ce sont des réformes en projet », a-t-il fait  avoir. Quant à Me Robert Dossou, il estime n’avoir jamais été enthousiaste pour cette  innovation car « parfois le juge des libertés et de la détention n’a pas le temps de bien pénétrer le dossier et le juge d’instruction est plus à même d’apprécier ». Mais il admet que le recours aux mesures alternatives s’impose pour permettre à la société d’améliorer le délinquant.

Faut-il le préciser, avec la réforme du Juge des libertés et de la détention, il est prévu un recours aux mesures alternatives à la détention (prévues par le Code de procédures pénales) et des peines alternatives à l’emprisonnement (prévues par le Code pénal en son article 38).

Si, de nos investigations, il ressort qu’il est fait recours quelques fois à des peines alternatives comme les dispenses de peines, les sursis, la liberté conditionnelle ainsi qu’aux mesures alternatives comme le contrôle judiciaire, la poursuite sans mandat de dépôt, la résidence surveillée, le chemin semble encore loin. Mais une préoccupation se dégage. La société béninoise est-elle réellement prête à accepter lesdites mesures alternatives. « Est-ce que notre société est prête à accepter par exemple que quelqu’un qui a volé un portable soit condamné à balayer la mairie tous les matins avant d’aller au cours au lieu d’être en détention ? », s’interroge Gbaguidi Babylas de l’Ong « Prisonniers sans frontières ».

L’autre interrogation que suscite la réforme du Juge des libertés et de la détention est relative à sa nomination et les conditions d’exécution de sa mission. En effet, selon l’article 148 du Code de procédures pénales, le Juge des libertés et de la détention est désigné pour une année judiciaire par le président de la Cour d’appel sur proposition du président du tribunal, parmi les juges les plus anciens ayant une pratique avérée de la procédure pénale. « Il peut à tout moment, dans les mêmes formes, être remplacé dans ses fonctions », précise le même article. Toutefois, les conditions semblent encore loin d’être réunies pour permettre l’ancrage de la réforme.

Dommages et réparations : inutile d’y penser

Les détenus victimes d’une garde à vue ou détention provisoire abusive ou encore anormalement longue peuvent réclamer réparation du préjudice subi, selon la législation en vigueur, notamment le Code de procédures pénales. Selon l’article 206 du Code, lorsque la procédure aboutit à une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, la victime peut obtenir une indemnisation. L’indemnité est payée par l’Etat et allouée par décision d’une commission qui statue en premier ressort (art 209).

Seulement cette commission n’a jamais été installée, selon Prince Agbodjan. Et il est difficile de retrouver les traces d’un détenu qui ait engagé un tel processus et qui ait eu gain de  cause. « Je crois que pour condamner l’Etat aujourd’hui à réparer ces injustices, il faut se lever le matin de bonheur », confie Me Sadikou Alao, estimant n’en avoir jamais eu connaissance de cas de victimes ayant engagé un tel processus. De nos investigations, aucune réparation de préjudice liée à une détention abusive n’a été faite à ce jour.

Sur plus d’une dizaine d’avocats et acteurs de la société civile contactés afin de recueillir des témoignages de quelques détenus concernés, ce fut vain. De même, la mesure d’interdiction de visite dans les prisons, prise dans le cadre de la riposte contre la Covid-19, n’est toujours pas levée.

Par ailleurs, il est prévu des voies de recours aux personnes en détention provisoire et dont les délais de détention excéderaient ceux prévus par le Code de procédures pénales. Outre la Cour constitutionnelle, les détenus peuvent également saisir la Commission béninoise des droits de l’homme ou encore le service de greffe au niveau des établissements pénitentiaires, selon Montesquieu Hounhoui. Les détenus peuvent également saisir le Président de la République, garant des décisions de justice selon l’article 59 de la Constitution béninoise, pour faire respecter une décision de la Cour constitutionnelle en leur faveur.

Aziz Badarou

Cet article a été rédigé dans le cadre d’un programme de formation de l’association Ekôlab.

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