Esclavage : découvrir les « Noms de l’abolition »


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Yamina Benguigui
Yamina Benguigui

Découvrir la liste des patronymes de celles et ceux qui ont reçu un nom à l’abolition de l’esclavage, en 1848, dans les colonies françaises de la Guadeloupe et de la Martinique. C’est ce que propose l’association CM98, au salon des Prévôts de la Mairie de Paris, jusqu’au 25 avril, avec son exposition, les « Noms de l’abolition ».

Dans l’immense salon des Prévôts de la Mairie de Paris, des dizaines de panneaux sur lesquels apparaissent, témoins du passé, des dizaines de milliers de matricules et de noms. Ceux reçus par les esclaves libérés en 1848, dans les Antilles françaises. Ceux des hommes et des femmes qui, autrefois considérés comme des biens meubles, du bétail, n’avaient qu’un prénom.

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De 1848 à 1862, dans toutes les communes de Guadeloupe et de Martinique, 160 000 anciens esclaves ont été « nommés » par des officiers d’état civil, selon les instructions de la commission d’abolition de l’esclavage présidée par le député abolitionniste français Victor Schœlcher. Certains reçurent les noms de leurs maîtres, d’autres ceux de dieux grecs ou de personnages bibliques, d’autres encore des patronymes nés de l’imagination fertile des fonctionnaires assignés à cette tâche. La commission d’abolition avait, d’ailleurs, recommandé à ses employés d’attribuer des noms « variés à l’infini par interversion des lettres de certains mots pris au hasard ». Ces noms ont été consignés, pour la Guadeloupe, dans les registres des « nouveaux libres », et, pour la Martinique, dans les registres « d’individualité ».

« C’est l’histoire commune de l’Outre-mer et de la France »

Emmanuel Gordien

Lucette Lesueur, une guadeloupéenne, déambule parmi les immenses panneaux couverts de patronymes. « C’est très bien conçu, nous confie-t-elle. Ca fixe tout de suite l’émotion. Dès qu’on les voit, on sent tout de suite leur importance. » A l’origine du mémorial, l’association Comité Marche du 23 mai 1998 (CM98) et son vice-président, le Dr. Emmanuel Gordien, qui nous éclaire sur sa démarche. « Et si les descendants d’esclaves retrouvaient leurs parents ? Qu’est-ce que ça déclencherait en eux ? », s’interroge-t-il. Cette expérience, il l’a vécue lui-même. Il a, après une longue et laborieuse recherche généalogique, réussi à retrouver ceux de ses aïeux qui sont arrivés d’Afrique, puis ceux qui ont reçu un nom à l’abolition, sur des habitations de Port-Louis et de l’Anse-Bertrand, en Guadeloupe.

Ce travail lui a permis de se sentir plus fort, « rempli », moins tourmenté par son douloureux passé. Le 23 mai 2006, à Sarcelles, le CM98 a proposé aux originaires de la commune du Moule vivant en région parisienne de découvrir les patronymes de leurs arrière-grands-parents nommés en 1848. Le succès de l’initiative est fulgurant. Les demandes d’hommes et de femmes originaires d’autres localités antillaises affluent. Alors Emmanuel Gordien monte un atelier généalogie dans son association, qui après un travail de fourmi au sein des archives nationales et départementales crée le mémorial des « Noms de l’abolition ». Une exposition itinérante, qui a déjà traversé plusieurs fois l’Atlantique.

« C’est très important de montrer, ici, à la Mairie de Paris, comment furent nommés les esclaves à leur libération. C’est important pour tous les Parisiens de le savoir, car c’est l’histoire commune de l’Outre-mer et de la France », juge Jean-Claude Cadenet, délégué Général à l’Outre-Mer de la Mairie de Paris. En effet, le mémorial des « Noms de l’abolition » s’inscrit dans le présent et participe au travail de mémoire indispensable dans la société française d’aujourd’hui.

« C’est grâce à des associations comme le CM98 et Au nom de la mémoire (L’association Au nom de la mémoire, présidée par Mehdi Allaoui, présente dans le même lieu une exposition intitulée Antillais d’Ici), qui choisissent le partage et le dialogue, que nous arriverons à décoloniser les imaginaires et à lutter contre le racisme et les discriminations », explique Yamina Benguigui, adjointe au maire de Paris chargée des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations, lors de l’inauguration de l’exposition, le 31 mars. L’esclavage, qui a laissé de profondes traces dans les esprits et détermine encore bien des comportements, habite toujours nos quotidiens et ne se laisse pas si facilement ranger au fond des tiroirs du passé.

Mémorial les « Noms de l’abolition ». Salle des Prévôts, Mairie de Paris. 3 rue de Lobau. 7500. Accès à l’exposition du 1er au 17 avril 2009 : par le Parvis de l’Hôtel de Ville – du 18 au 25 avril 2009 : par le 3 rue de Lobau. (Sauf les lundi 6, mardi 7 et lundi 13 avril 2009 et les dimanches)

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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