Décolonisation sous mandat onusien : les trajectoires croisées du Cameroun et du Togo


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Décolonisation en Afrique sous la supervision de l'ONU @afrik.com
Décolonisation en Afrique sous la supervision de l'ONU @afrik.com

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation s’amorce dans un monde dominé par deux superpuissances et une opinion publique favorable à l’autodétermination des peuples. Dans ce contexte, le Cameroun et le Togo, anciens territoires sous mandat de la Société des Nations (SDN), deviennent les premiers laboratoires africains de la décolonisation supervisée par l’Organisation des Nations Unies (ONU).

À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne perd ses colonies. Le Togo et le Cameroun, jusque-là territoires allemands, sont confiés sous mandat de la SDN à la France et au Royaume-Uni. Le Togo est divisé entre une zone britannique à l’est (Togoland britannique) et une zone française à l’ouest, tandis que le Cameroun est partagé selon une logique similaire.

Après la dissolution de la SDN, ces mandats sont placés en 1946 sous la tutelle de l’ONU, dans le cadre de son système de territoires sous tutelle. L’objectif affiché : conduire ces peuples vers l’indépendance ou l’autonomie selon leur volonté, sous supervision internationale.

L’ONU, arbitre d’un processus complexe

Contrairement aux colonies classiques, les territoires sous tutelle font l’objet de rapports réguliers à l’ONU. Des missions de visite sont organisées à partir de 1948, des pétitions de citoyens sont examinées, et le Comité de tutelle veille au respect des droits politiques des populations locales.

Mais le processus est loin d’être apaisé. Au Cameroun, l’Union des populations du Cameroun (UPC), mouvement indépendantiste fondé en 1948 par Ruben Um Nyobé, conteste la tutelle française et réclame l’unification et l’indépendance immédiate du territoire. Accusé de radicalisme, l’UPC est interdit en 1955, déclenchant une violente guerre de répression menée par la France qui fera des milliers de victimes, dont Ruben Um Nyobé en 1958 et Félix Moumié en 1960.

Au Togo, le Comité de l’unité togolaise (CUT) dirigé par Sylvanus Olympio réclame également l’indépendance et l’unification des deux Togo. Le processus, bien que moins violent qu’au Cameroun, est néanmoins ponctué de tensions significatives avec l’administration coloniale française, notamment autour de la question de l’unification territoriale.

L’ONU, malgré son rôle de superviseur, fait parfois preuve de passivité face aux violations des droits, particulièrement concernant la répression de l’UPC au Cameroun.

Deux trajectoires vers l’indépendance

Les consultations onusiennes de 1956 pour le Togo et de 1959 pour le Cameroun aboutissent à des calendriers distincts. Le Togo obtient l’indépendance dès le 27 avril 1960, avec Sylvanus Olympio élu président. C’est l’un des premiers États africains à sortir du système de tutelle onusien par un vote de l’Assemblée générale de l’ONU. Le Togoland britannique, quant à lui, avait été rattaché au Ghana dès 1957.

Le Cameroun, lui, est fragmenté entre un Cameroun français et un Cameroun britannique. Le 1er janvier 1960, le Cameroun oriental (français) accède à l’indépendance avec Ahmadou Ahidjo à sa tête. En février 1961, un référendum sous supervision de l’ONU permet à la partie nord du Cameroun britannique de rejoindre le Nigeria, et à la partie sud de s’unir au Cameroun francophone, scellant l’unification du pays.

Dans ce processus, les élites locales formées dans le système colonial français et britannique jouent un rôle déterminant, souvent en tant qu’intermédiaires entre les puissances tutélaires et les aspirations populaires.

Un héritage contrasté

Ces indépendances, bien que saluées sur la scène internationale, laissent un héritage complexe. Le Togo entre rapidement dans une période d’instabilité politique, marquée par le coup d’État de 1963 et l’assassinat de Sylvanus Olympio.

Au Cameroun, le long règne d’Ahmadou Ahidjo puis de Paul Biya perpétue une forte centralisation du pouvoir. L’histoire de l’UPC, longtemps réprimée, ne sera pleinement réhabilitée que bien plus tard.

Enfin, l’ancienne division entre le Cameroun anglophone et francophone continue d’alimenter un conflit interne grave au XXIe siècle, soulignant que les lignes de fracture coloniales restent vivaces malgré l’indépendance.

Les cas du Cameroun et du Togo montrent que la décolonisation des territoires sous tutelle de l’ONU fut à la fois encadrée et contrainte, progressiste dans les principes, mais souvent traversée par les résistances des puissances coloniales. Si l’ONU a joué un rôle inédit de garant de l’autodétermination, elle n’a pu éviter les tensions locales ni empêcher les dérives autoritaires post-indépendance.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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