De la dette des États africains envers la Chine 


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Les échanges entre l’Afrique et la Chine étaient estimés à 180 milliards de $ en 2015 contre 400 milliards en 2020, alors que depuis 2000, les banques et les entreprises chinoises ont prêté plus de 132 milliards de $ aux États africains, soit plus de 40% de la dette de l’Afrique subsaharienne. A Djibouti, la dette chinoise représente 82% de la dette totale, 70% au Kenya, 66 % au Congo et 70% de la dette bilatérale au Cameroun.

Selon la Compagnie Française d’Assurance pour le Commerce Extérieur (COFACE 2017), 25,5% des pays africains ont un faible indice d’exposition relative de leur économie face à l’évolution de la demande chinoise contre 74,50% qui ont un fort indice d’exposition. L’association d’économie financière (Futurible 2016), estime l’empreinte économique de la Chine à 21% du PIB en Afrique centrale, 13% en Afrique de l’Est et australe, 6% en Afrique de l’Ouest et 2 % en Afrique du Nord.

L’empreinte financière est de 2 % en Afrique de l’Ouest contre 5,1 % en Afrique centrale liée aux trois stratégies d’enracinement chinois, notamment:

1) le financement offshore des infrastructures par des crédits hors des systèmes financiers classiques: 30 000 km de routes, 85 millions de tonnes par an de capacités de manutention portuaire, plus de 9 millions de tonnes par jour de capacités de traitement de l’eau propre, près de 20 000 mégawatts de capacités de production d’électricité et plus de 30 000 km de lignes de transmission et de transformation d’énergie, créant plus de 900 000 emplois. Les infrastructures de base représentent 30% des prêts chinois et la production électrique et les transmissions 40%. Les livraisons en nature des biens d’équipements, des stocks de charbon et des services d’ingénierie pour 30% des prêts. En septembre 2018, la Chine a accordé 60 milliards de $ supplémentaires d’aide aux pays africains dont 15 milliards de $ d’aide gratuite et de prêts sans intérêts;

2) les emprunts garantis par les ressources naturelles, qui sont défavorables aux
États africains, surtout quand les prix de leurs matières premières baissent,
augmentant mécaniquement le coût de leur dette chinoise. Les pays insolvables
perdent le contrôle des infrastructures financées par la Chine au profit de leur
créancier. En 2004, Exim Bank of China, exigea de l’Angola une caution de 25
milliards de $ en équivalent pétrole pour garantir un emprunt de 4 milliards de $ qui ont permis par la suite, au groupe chinois Sinopec, de prendre le contrôle de plusieurs concessions pétrolières angolaises, à cause de l’incapacité du pays à rembourser 20 milliards de $ à la Chine.

En 2008, la Chine a concédé un prêt de 6 milliards de $ à la République Démocratique
du Congo, garantie par des concessions des mines de cuivre et de cobalt. En Guinée, la Chine a accordé un prêt de 20 milliards de $ au Gouvernement, garantie par des concessions d’aluminium. Le Congo a obtenu environ 1,6 milliard $ en 2006 et 1 milliard entre 2013 et 2016, assortis d’un différé d’amortissement de 5 ans, d’une échéance de 20 ans, d’un taux d’intérêt de 0,25% et d’une garantie représentant le solde minimum de dépôt de 20% du total de l’encours des prêts sur un compte séquestre à l’EXIM Bank of Chine, à partir des transactions pétrolières avec la Chine.

Le niveau plus élevé de rémunération des dépôts de plus de 1% de cette banque, a
incité le Congo à effectuer plus de dépôts en Chine qu’à la BEAC;

3) Les marchés offshores: la Chine internationalise le Renminbi (RMB), sa
monnaie réelle par la création de marchés offshores. Elle incite les entreprises à
l’utiliser pour la facturation de leurs exportations au lieu du Yuan, son unité de
compte. Cette facturation représentait 2 % en 2012, 4 % en 2013 et 9 % en 2014 pour
atteindre 40% en 2020 selon RMB SWIFT Tracker (2016). En cinq ans, les investissements directs cumulés de la Chine en Afrique ont dépassé 60 milliards de $ pour une valeur des projets de plus de 500 milliards $, réalisée par 10 000 entreprises chinoises pour un chiffre d’affaires de plus de 180 milliards de $ par an. Elles comptent 44 % des travailleurs africains et bénéficient des exonérations fiscales, douanières et sociales pour atteindre en 2016, plus de 50 millions de travailleurs détachés chinois contre 114 000 en 2007, donnant  ainsi un mauvais signal aux investisseurs historiques de l’Afrique.

Ainsi, à travers une économie offshore, la Chine s’enracine en Afrique tout en étouffant les possibilités d’émergence économique et technologique de plusieurs pays africains. La principale vertu de cette économie est de pousser les gouvernements africains à trouver les  synergies entre les différentes sources de financements des investissements, de telle manière que la dette exerce réellement un effet de levier sur les capitaux propres de ces pays.

Par Emmanuel Okamba, Maître de conférence HDR en Sciences de Gestion

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