Daniel Bellegarde fait revivre les musiques de Haïti au Canada


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Pochette du disque
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Le percussionniste haïtien Daniel Bellegarde vient de voir son premier album, « Anba Tonèl », inspiré des musiques et danses traditionnelles de Haïti et des Antilles, nominé pour les Canadian Folk Music Awards 2018.

Le percussionniste haïtien Daniel Bellegarde vient de voir son premier album, « Anba Tonèl », nominé pour les « Canadian Folk Music Awards », dans la catégorie « Musiques du monde-Artiste solo ». Et c’est en effet un album délicieux, qu’Afrik.com a adoré ! Daniel Bellegarde, qui est installé au Canada, doit aimer danser, ou faire danser les gens, car son album est un hommage très réussi aux danses antillaises – Haïti, Martinique, Guadeloupe et Dominique. « Anba Tonèl » signifie « Sous la tonnelle » en créole haïtien, car c’est « sous la tonnelle » que l’on dansait autrefois…

Ce que nous avons aimé dans ce disque, c’est, d’une composition à une autre, ce mélange d’anciennes danses venues d’Europe, telles la contredanse, le quadrille ou le menuet, avec des rythmes caribéens comme le « son » cubain, et des rythmes venus d’Afrique. Ces mariages donneront par exemple un style de danse baptisé « menuet-Congo », appellation qui dit mieux que tout ce métissage des genres.

L’album s’ouvre par des chants collectifs seulement rythmés de percussions, qui évoquent immédiatement une musique destinée à être jouée et entendue en groupe : c’est un chant vaudou traditionnel de Haïti. Puis suit un quadrille dont l’introduction ne laisse en rien soupçonner qu’il est antillais, et qui pouvait aussi bien être joué à Paris, Londres, Madrid ou la Nouvelle-Orléans, au XIX° siècle.

Le troisième titre évoque immanquablement les rythmes cubains, et ce style typique de l’île baptisé « son » ; sur ce rythme cubain viennent se greffer les paroles d’un long poème récité : technique empruntée au rap pensons-nous d’abord, avant d’apprendre par le livret qu’il s’agit d’un genre traditionnel appelé « twoubadou de Haïti » : preuve à nouveau que le rap et la pose d’un texte parlé sur de la musique n’ont rien inventé, héritiers directs de nos troubadours d’Europe… Et ainsi de suite…

L’ensemble du disque est donc délicieux, inventif, varié, et vous donne des fourmis dans les jambes : à l’écoute, vous n’avez qu’une envie : filer dans un festival de danses antillaises pour vous mêler à la foule et danser à votre tour ! Le titre « Anba Tonèl », mots créoles que votre humble servante ne parle pas et ne peut donc traduire, composition inspirée des contredanses de Haïti, est d’ailleurs explicite : les paroles sont celles qui guident les danseurs et danseuses pour l’exécution des figures parfois complexes, et obligatoirement synchronisées entre tout le groupe de danseurs/danseuses, de ces danses d’autrefois, qui se dansent à deux mais surtout en groupe, chacun changeant de cavalier/cavalière au fil des figures …: « Attention cavaliers cavalières, formez les rangs ! Présentez… cavaliers ! Saluez ! Formez le 8 !… » etc.

Et nous saisissons cette occasion pour saluer la mémoire de ces millions d’esclaves noirs, déportés d’Afrique ou nés en captivité, pendant des siècles, qui eurent l’intelligence de ne prendre et garder de la culture européenne, dans laquelle ils étaient plongés, que le meilleur : et notamment la sophistication de la musique, et le goût des bals et amusements, si vivaces avant la Révolution Industrielle.

Voilà pourquoi les joyeux carnavals et le goût de la danse survivent encore aux Caraïbes et en Amérique du Sud (« bailar »! Carnaval de Rio! etc.), alors qu’ils ont quasiment disparu d’une Europe où depuis le XVIII° siècle et l’invention de la machine, l’on pousse les gens à ne plus penser qu’à travailler, faire carrière, gagner de l’argent, une Europe (et une Amérique du Nord, sa fille) où les danses collectives et l’amusement populaire et collectif ont quasiment et tristement disparu… Et où il faut une Coupe du Monde gagnée pour que la foule s’autorise à exprimer sa joie dans les rues, collectivement… Mais où sont les danses et carnavals d’antan, dans cette vieille Europe ?…

Saluons aussi la mémoire de feu la journaliste Chantal Jolis, qui avait encouragé Daniel Bellegarde à réaliser cet album, journaliste française qui avait choisi de s’installer au Canada, faisant carrière à Radio-Canada et y devenant très populaire, et créant le département « musiques du monde » de cette radio nationale… Comme quoi, nous plumitifs qui écrivons sur ces « musiques du monde » pouvons parfois servir à quelque chose…! Un grand bravo donc à Daniel Bellegarde pour ce premier album superbe, qui en augure bien d’autres à venir !

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