Crise malienne: quel sort pour les réfugiés ?


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Toujours plus de réfugiés maliens en Mauritanie : ils étaient 16 000 au début du conflit au Nord du pays, en janvier dernier, ils sont aujourd’hui environ 107 000! Et l’afflux continue.

L’exil : des blessures profondes, non cicatrisées!

Déjà dans les années 1990, poussées par le conflit entre la rébellion Touareg et l’état malien, environ 150 000 personnes avaient fui le Mali. Elles trouveront refuges en Mauritanie.

Abdourahmane Ag Mohamed El Moctar est réfugié depuis vingt ans, en Mauritanie. Il est président de « l’Association des Réfugiés Victimes de la Répression de l’Azawad » (l’Arvra), désolé en évoquant sa situation, il confie : « Je fais partie des réfugiés arrivés en Mauritanie au début des années 90, au retour des gens en 1995, au Mali, j’étais très sceptique… malheureusement le temps et la situation actuelle me donnent raison! ».

Le regard de notre interlocuteur se fige, et la désolation traverse ses yeux, en poursuivant le récit de son exil en 90 : « Je ne voulais pas partir! Mais des militaires que je connaissais m’ont dit de quitter l’endroit où j’étais à Diabaly (région de Ségou). J’étais directeur de Collège, j’ai formé leurs enfants pour le brevet, depuis plus de vingt ans. »

En posant la question, « Que risquiez-vous en ne partant pas, selon vos amis ? » Abdourahmane poursuit d’une voix tremblante et ses mots se coincent au travers de la gorge : « On avait donné l’ordre d’attaquer le Nord, pour pouvoir employer le terme de « Kokadjié », qu’ils (les autorités de l’époque) utilisaient, qui signifiait « le nettoyage ». C’est-à-dire que tous les teints clairs étaient tués, massacrés! C’est là qu’on m’avait dit de quitter, lorsqu’un bataillon était arrivé. On m’a réveillé nuitamment pour me dire : « On ne peut pas te sécuriser, on te connaît, tu es notre directeur d’école, tu es notre secrétaire général politique, on a confiance en toi, mais ces gens-là, on ne les maîtrise pas, ils sont nos patrons! Ils ont un mot d’ordre: il faut tuer. J’ai alors envoyé la famille… ».

En fin de conversation, Abdourahmane confie pudiquement que son frère avait été tué, avant d’être lynché devant sa mère, puis il conclu ainsi : « c’est le sort de beaucoup d’autres, dont on n’a jamais parlés! »
C’était en 1990! Beaucoup de ceux qui sont repartis au Mali en 1995, suite aux accords de paix entre l’Etat malien et les différents mouvements armés, rebroussent chemin en 2012. Ces « perpétuels exilés » craignant des représailles identiques à ceux des années 90, de l’armée malienne suite à l’offensive du MNLA, en janvier 2012.

Mohamed Ag Malha est réfugié, il est un acteur incontournable de la société civile. Il raconte les premières heures de la dispersion, fin janvier 2012, des populations de Léré, une ville située à l’ouest de Tombouctou : « Par crainte de la situation qui s’était passée à Aguelhoc où suite à l’attaque de la rébellion, il y a eu des représailles de l’Armée malienne, en l’occurrence les bombardements aériens sur les populations et sur leurs biens, par crainte de cela, les populations ont profité juste du moment où l’attaque se déroule pour carrément vider la ville, et aller se réfugier. La plupart des gens ont pris la direction de la République Islamique de Mauritanie : Fassala, d’autres sont partis rester dans les brousses, dans les proximités immédiates de Léré ».

En 2012, la peur s’est intensifiée en raison d’implication sur le terrain Nord-Mali de Salafistes. Alors les habitants avaient une double crainte. Dans l’esprit de beaucoup, les rebelles du MNLA et les Jihadistes d’Aqmi et d’Ançar Dine pouvaient utiliser des populations comme bouclier. Or celles-ci ont tenu à écarter tout amalgame pouvant « justifier » une attaque quelconque. Et le message affiché des représentants et portes paroles de ces sociétés est clair : « Nous n’avons rien à voir avec aucun de ces groupes armés ». Les belligérants de deux – voire de trois – bords, n’hésitent parfois pas, à faire une récupération des voix civiles, trop souvent utilisées comme fond de commerce par ces groupes non mandatés par les populations.

Le pillage des maisons des Touaregs et Maures résidant à Bamako, a été un indicateur déclenchant le départ en janvier 2012, comme l’illustre le cas d’Amano Ag Issa, le célèbre artiste-griot Touareg, qui faisait le tour du monde avec le groupe Tartit, il a été, selon lui, contraint de partir de Bamako avec sa famille, comme beaucoup d’autres : « Je vivais tranquillement dans mon Pays, jusqu’au jour où, survient un bouleversement dans nos vies. Tout avait changé! Alors, je me suis interrogé: pourquoi ce changement inattendu ? Je me suis vu avec mon peuple attaqué, tué sans raison, sans fondement! C’est ce qui m’a fait sortir du Mali! Nous étions tous forcés de partir de chez nous ».

Choisir une vie, entassés par milliers dans des camps de réfugiés, ou vivre avec la peur de l’arbitraire et de la répression extrémiste ? Le choix est vite fait! Mais quel implacable destin pour ces hommes pour lesquels la recherche de la paix est la principale quête.

Malgré la situation de famine qui est à son plus haut niveau au Sahel avec 18 millions de personnes en état d’insécurité alimentaire, la Mauritanie a prit les devants, pour accueillir les nouveaux-venus, comme en témoignent les propos de Mohamed Ag Malha : « Les Autorités mauritaniennes et les populations, de Fassala, ont pris les devants. Malgré l’insuffisance d’infrastructures sur place. Les Mauritaniens ont partagé, et je peux même dire que beaucoup de gens ont cédé leurs puits, pour recevoir ces réfugiés, qui ont étés accueillis vraiment dans la plus grande dignité! Cela déjà a diminué les frustrations des gens qui étaient psychologiquement affectés par ce qui se passe ».

Un premier camp saturé, le deuxième en projet

Le premier camp est à M’béra, dans le Sud-Est Mauritanien. Le nombre des réfugiés qui arrivent est passé de 16 000 en février, à environ 107 000 personnes, en septembre. Les familles vivent sous des tentes, en bâche pouvant contenir 5 personnes. La proximité des logements et leur matière, non adaptée, rendent parfois dures les conditions de vie, sous ces abris.

Selon l’Unhcr, l’état nutritionnel des réfugiés, est « satisfaisant » et se trouve à un niveau comparable à celui des populations du pays d’accueil. Il existe pour les locaux et pour les réfugiés, un risque de malnutrition très aiguë qui pourrait empirer au cours des prochains mois. En effet, 18 000 000 de personnes sont directement exposées à la famine et aux crises que traversent le Sahel.

« L’aide humanitaire s’améliore peu à peu », selon Mohamed Ag Malha.
Pour Abdourahmane Ag Mohamed El Moctar, le déploiement de l’aide humanitaire devrait davantage tenir compte des réalités spécifiques de ces populations. « La capitalisation des savoirs et ressources locales est une chance, dont devront profiter les acteurs internationaux, comme le Hcr, qui interviennent sur le camp », dit-il.

Un avis partagé par Mohamed Mahmoud Sidi, responsable de l’Organisation pour l’Assistance aux Enfants Malades et en Situation Difficile (Oaemsd), l’ONG mauritanienne, qui avait apporté les premiers secours, en février sur le camp. « Nous sommes allés tout de suite, parce qu’il fallait le faire. Nous avions apporté les besoins de première nécessité. C’était aussi une mission d’évaluation! Nous recherchons des bailleurs de fonds pour un programme avec les enfants », déclare Mohamed Mahmoud Sidi.

Le projet d’implantation d’un deuxième camp est prévu à Aghor, un site qui avait, par le passé, abrité ces mêmes réfugiés en 1990. Selon le Hcr, l’ouverture d’Aghor est prévue une fois l’enregistrement en cours terminé. L’autre préalable, tant important, au lancement des activités du nouveau camp est le déploiement, prévu, par les autorités mauritaniennes de forces de sécurités à Aghor.

Mohamed Abdallah Ould Zeidane, cité par l’IRIN, est président de la Commission Nationale Chargée des Réfugiés Maliens en Mauritanie, il précise: « Avec autant de nouveaux arrivants et autant de travailleurs humanitaires près de la frontière, la sécurité est notre principale source de préoccupation ».

Et le Nord-Mali, sous le contrôle des extrémistes, voit partir ses habitants. Ihet El Kheir Walet Erzagh, est une femme d’environ cinquante ans, elle a ses jumeaux entre les mains, le regard perdu, elle raconte pourquoi elle est arrivée au camp de M’béra, il y a quelques jours: « Comme beaucoup d’autres familles, nous avons décidé de partir, avec mon mari, nos neuf enfants, et d’autres membres de notre fraction… Nous sommes arrivés ici il y a sept jours. Nous vivions non loin de Tombouctou. Et la région est devenue un enfer pour nous, les barbus qui sont présent nous imposaient durement leur loi ».

Dans la semaine suivant l’arrivée de ce témoin, un cas de lapidation est signalé à Aguelhoc. C’était dimanche 29 juillet : un couple meurt sous le coup de jet de pierres lancées par les Islamistes qui avaient fait venir deux cent personnes pour assister à la scène.

Qu’en sera-t-il ?

La porte-parole du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies, Sybella Wilkes déclare à IRIN n’avoir reçu que vingt pour cent des 153,7 millions de dollars demandés pour venir en aide aux plus de 436 000 réfugiés maliens. Beaucoup ont perdu leur territoire, désormais aux mains d’extrémistes, certains ont perdu des proches, tous ont perdu leurs biens…

La communauté internationale impliquée politiquement, est avertie : pour une sortie de crise juste, équitable et durable, la résolution de ce conflit ne devrait pas – comme ce fût le cas par le passé – s’envisager qu’avec les groupes armés, et devrait impliquer surtout les acteurs des Sociétés Civiles qui sont les seuls et légitimes représentants des populations. Lassées, ces dernières entendent rester maîtresses de leur destinée!

Leur appel propagé par l’écho désertique sera-t-il entendu ?

Par Intagrist El Ansari

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