Crise alimentaire : les Africains changent de régime


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La hausse du prix des denrées de base pousse les Africains à changer leur régime alimentaire en termes de qualité et de quantité. C’est la principale stratégie de survie qu’ils appliquent pour se nourrir sans se ruiner. Précisions de Félicité Tchibindat, conseillère nutrition à l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

La crise alimentaire pousse les ménages précaires africains à redoubler d’efforts pour joindre les deux bouts. Pour nourrir toute la famille, certains sacrifient la quantité ou la qualité des produits qu’ils achètent. D’autres mettent à contribution les enfants, qu’ils lancent sur le marché du travail. Félicité Tchibindat est conseillère nutrition pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à l’Unicef, qui a publié jeudi son rapport sur « La situation des enfants en Afrique 2008 ». Elle revient sur les bouleversements alimentaires causés par l’augmentation du prix des denrées de base.

Afrik.com : Quelles sont les conséquences de la crise alimentaire en Afrique de l’Ouest et du Centre ?

Félicité Tchibindat :
Si on analyse la situation en repartant en arrière, on s’aperçoit que la plupart des pays du Sahel ont une prévalence de sous-nutrition qui excède les 10%. Il y a par ailleurs de nombreux ménages qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Pour ces ménages, l’alimentation représente déjà 60% ou 70% des revenus. La crise alimentaire actuelle représente donc pour eux un choc supplémentaire qui accroît leur vulnérabilité. A l’échelle des Etats, il faut noter que certains pays s’adaptent à la situation. La Côte d’Ivoire produit beaucoup plus d’attiéké (semoule de manioc, ndlr) afin de l’exporter au Mali et le Sénégal consomme de plus ne plus de couscous de fonio et de mil, au détriment du couscous de blé.

Afrik.com : Comment les ménages s’adaptent-ils à la hausse des prix ?

Félicité Tchibindat :
Certains ménages vont choisir une alimentation de moins bonne qualité, moins riche en protéines et en minéraux, par exemple. D’autres réduisent la quantité de leurs achats. Ainsi, au lieu de préparer un thiébou dien (plat national sénégalais, ndlr) riche, on en prépare un avec moins d’huile, de poisson ou de viande. On voit aussi que des ménages urbains pauvres ne font plus qu’un repas par jour. On avait déjà constaté ces tendances lorsqu’il y a eu une flambée des prix il y a quelques années. Par ailleurs, on observe que population qui consomme en général du riz va se tourner vers des céréales comme le mil, le sorgo et le maïs. Mais le prix de ces céréales commence lui aussi à augmenter, même si elles ne sont pas importées, parce que la demande devient plus forte.

Afrik.com : La crise alimentaire a-t-elle des conséquences sur les enfants ?

Félicité Tchibindat :
Nous envisageons de faire une étude au Sénégal et en Mauritanie pour vérifier l’impact de la crise sur les enfants mais, globalement, tout dépend des stratégies de protection de l’enfant et de la culture dans laquelle il évolue. Prenons l’exemple du Niger, qui a connu une grave crise alimentaire que nous avons bien monitorée. Les Touaregs ont une grande culture de protection de l’enfant et de la femme, alors les parents se sont se sacrifiés pour les enfants. Leur malnutrition était donc bien moins importante que celle des enfants haoussas, où les hommes mangent en premier. Plus généralement, certains décident que seul l’enfant prendra son petit déjeuner, et non plus toute la famille, pour réduire la consommation de lait, dont le prix a lui aussi beaucoup augmenté.

Afrik.com : Certains enfants sont-ils mis sur le marché du travail ?

Félicité Tchibindat :
Il y a une hausse du nombre d’enfants qui cherchent à avoir des activités génératrices de revenus. On a constaté dans le Nord du Nigeria, mais la pratique se fait aussi peut-être ailleurs, que des parents retirent leurs enfants de l’école pour qu’ils aillent mendier.

Afrik.com : La production massive de céréales, que certains prônent, est-elle la solution ?

Félicité Tchibindat :
C’est un ensemble de facteurs qui a conduit à la situation que nous vivons aujourd’hui. Si on ne fait qu’augmenter la production de céréales, j’ai peur que l’an prochain on se retrouve avec une offre trop importante qui va déstabiliser le marché dans l’autre sens. Il faut apporter une solution à court, moyen et long terme aux problèmes concernant la politique agricole dans les pays du Nord et du Sud, le transport, l’énergie, la pression démographique, l’offre et la demande. Il ne faut pas juste s’attaquer à une donnée du problème.

Afrik.com : Quel est le message de l’Unicef ?

Félicité Tchibindat :
Il ne faut pas attendre un choc pour agir. Il faut parvenir à atténuer les chocs en investissant sur la femme enceinte et la petite enfance pour que femmes et enfants soient plus résistants en cas de choc. Si les mamans pratiquaient l’allaitement maternel exclusif jusqu’à six mois, les enfants seraient protégés pendant toute cette durée. Choc ou pas choc. Si après on peut donner aux enfants des micro-nutriments (comme la vitamine A), les déparasiter tous les six mois et les faire dormir sous des moustiquaires imprégnées, cela participera à les rendre plus forts. Et parce qu’il y aura toujours des chocs, autant s’y préparer pour mieux les vivre.

Afrik.com : Quelles sont les actions de l’Unicef pour atténuer les effets de la crise alimentaire ?

Félicité Tchibindat :
Nous avons mis en place des stratégies spécifiques avec nos partenaires, le Programme alimentaire mondial (Pam, ndlr) et la FAO (Fonds des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr), pour éviter que les foyers à l’extrême limite de la pauvreté ne basculent. Mais nous avons un système pour rattraper ceux qui tombent. L’un de nos dispositifs comprend que le Pam s’occupe des malnutris modérés, que l’Unicef prenne en charge des malnutris sévères et que la FAO offre un appui à la production par le biais de semences et d’outils. Et tous les trois faisons ensemble de l’éducation nutritionnelle. Nous avons tout un paquet d’interventions appuyées par plusieurs bailleurs et un dispositif régional, qui existe aussi dans les pays de la région, pour coordonner et harmoniser nos réponses avec nos partenaires. Comme nous risquons d’avoir prochainement un nombre important de personnes confrontées à des problèmes de nutrition, nous avons d’ailleurs renforcé notre système et lancé un appel pour recevoir des fonds.

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