CPI : une justice pour l’Afrique ?


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Toutes les affaires traitées actuellement par la Cour pénale internationale concernent l’Afrique. Il ne serait pourtant pas le seul continent où sont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Puissance rimerait-il alors avec clémence ? En matière de justice internationale, de nombreux dirigeants africains ou issus de pays émergents semblent le penser à cause du récent mandat d’arrêt lancé contre le président soudanais Omar el-Béchir. Réalité ou vue de l’esprit ?

La justice internationale est-elle plus sévère avec les criminels en Afrique ? La polémique provoquée par la liberté de mouvement dont peut se prévaloir le président soudanais Omar el-Béchir, inculpé depuis le 4 mars pour crimes de guerre et contre l’humanité au Darfour, interroge. Son attitude relève-t-elle de la provocation où ne fait-il qu’exercer l’impunité dont d’autres chefs d’Etat ou responsables politiques jouiraient en dépit de crimes que pourraient leur reprocher la Cour pénale internationale (CPI). « Pourquoi n’ordonneraient-ils pas l’arrestation de Bush (notamment pour Guantanamo et les massacres en Irak, ndlr) ? Pourquoi n’ordonneraient-ils pas l’arrestation du président israélien (Shimon Peres) », s’est insurgé le président vénézuélien Hugo Chavez, ce mardi, avant de participer à un sommet réunissant la Ligue arabe et des Etats sud-américains. « Ils le font parce que c’est un pays africain et du tiers monde, a poursuivi le chef d’Etat vénézuélien. C’est une horreur judiciaire et un manque de respect aux peuples du tiers-monde ». Plus tôt, en janvier dernier, le président de la Commission de l’Union africaine (UA) Jean Ping, fustigeant une « justice sélective », avait déclaré : « la CPI a été créée pour juger les Africains ». L’ensemble des « situations » qui sont aujourd’hui examinées par la Cour concernent le continent africain où sont concentrés la plupart des conflits dans le monde.

La CPI peut-elle faire la loi partout ?

Au nom de la justice internationale, la CPI aurait-elle le pouvoir d’inquiéter George Bush, ancien président de la première puissance économique et militaire à propos notamment de Guantanamo, qualifié par Amnesty International de « symbole d’un gouvernement ne respectant pas ses obligations juridiques internationales » ? Non. « La CPI n’est pas compétente pour juger des mauvais traitements infligés à des personnes arbitrairement détenues », explique Patrice Despretz, directeur de la revue Actualité et Droit International. Elle juge [La Cour pénale internationale (CPI), régie par le Statut de Rome, est la première cour pénale internationale permanente devant laquelle sont jugées les personnes accusées des crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale, à savoir les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. La CPI a été fondée en vertu d’un traité signé par 108 pays. Les procès de Nuremberg et Tokyo ont jugé des auteurs de crimes de guerre, de crimes contre la paix et de crimes contre l’humanité commis pendant la seconde guerre mondiale. Dans les années 90, après la fin de la guerre froide, des tribunaux tels que les tribunaux pénaux internationaux (TPIR) pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda sont nés d’un consensus sur le refus de l’impunité. Toutefois, ces tribunaux ayant été créés uniquement pour connaître de crimes commis pendant une période et un conflit spécifiques, la nécessité d’une cour pénale indépendante et permanente a fini par s’imposer. Le 17 juillet 1998, la communauté internationale a franchi une étape historique lorsque 120 États ont adopté le Statut de Rome, fondement juridique de la création de la Cour pénale internationale permanente. Le Statut de Rome est entré en vigueur le 1er juillet 2002, après sa ratification par 60 pays. Source : [CPI ]] les auteurs de crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
De plus, les Etats-Unis, comme le Soudan, ne sont pas partie prenante à la Convention de Rome, texte fondateur de la CPI.

Trois situations exceptionnelles sont néanmoins prévues pour soumettre les criminels à la justice internationale. Patrice Despretz les énonce : « soit la situation est déférée au procureur par un Etat partie à la Convention, soit elle est déférée au procureur par le conseil de sécurité, ou encore le procureur se saisit lui-même de la situation ». L’inculpation du président Omar el-Béchir correspond au deuxième cas : la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies par la CPI. Cette procédure, motivée par le chapitre 7 de la Charte des Nations qui permet de qualifier la situation au Darfour de menace pour la paix et la sécurité, lui octroie une compétence universelle.

Justice internationale et politique : l’équilibre de la terreur

« La CPI a lancé plusieurs enquêtes qui n’ont pas abouti, elle ne s’attaque pas à n’importe qui pour n’importe quoi. Au Soudan, plus de deux millions de personnes ont été déplacées, des gens sont morts et continuent de mourir… Quelles que soient les errements de George Bush, il y a une différence entre ce qui se passe en Irak ou en Afghanistan, et la situation au Soudan. Il faut remettre les choses à leur place », plaide Patrice Despretz. Même si, reconnaît-il, « il est juridiquement plus facile de s’en prendre à un président soudanais qu’à un président américain, à moins qu’Obama ne change d’avis (signer le Traité de Rome, ndlr) ». Pour l’avocat français, Maître Antoine Alexiev, il ne s’agit pas d’une justice à double vitesse, mais d’« un jeu de pouvoir dans l’élaboration du système international de poursuites judiciaires. » « Les Etats, comme les Etats-Unis, la Russie, la Chine où Israël, qui commettent des crimes susceptibles de tomber sur le coup de la CPI, sont puissants ou ont des alliés qui le sont, c’est le cas d’Israël. Non seulement ils n’ont pas ratifié la Convention de Rome, mais en plus ils siègent au Conseil de sécurité où ils disposent d’un droit de véto. » Conclusion d’Antoine Alexiev : la CPI « n’a pas les moyens de s’en prendre à eux. Les Etats-Unis, pour ne prendre que cet exemple-là, savent comment procéder pour que la CPI n’ait pas les moyens d’œuvrer ». Patrice Despretz admet, lui aussi, qu’« il y a deux poids, deux mesures », qu’il est question « de compétence et de rapports de force », mais en aucun cas de « croisade » contre les pays africains ou arabes, « le tiers-monde ». Il rappelle que la CPI tente de rendre justice là où les Etats sont défaillants. « Même si l’on est pas dupes quant à leur issue, des enquêtes ont été ouvertes aux Etats-Unis sur les massacres en Irak, des enquêtes israéliennes ont été conduites sur les incursions de Tsahal à Gaza ».

De même qu’elle a commencé à le faire en Centrafrique, en République Démocratique du Congo ou en Ouganda, la CPI tentera de remplir sa mission au Soudan. Ahmad Muhammad Harun, alias Ahmad Harun, ex-ministre d’État chargé de l’Intérieur au sein du gouvernement soudanais et actuellement Ministre d’État chargé des affaires humanitaires, et Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman (alias Ali Kushayb), chef présumé des miliciens Janjaouid font également l’objet d’un mandat d’arrêt international depuis le 27 février 2007. A l’instar le président Omar el-Béchir, ils sont considérés comme étant en fuite. Le choix de ne pas arrêter Omar el-Béchir, en déplacement au Qatar, pour le sommet de la Ligue arabe, est « une décision politique », conclu Patrice Despretz. La CPI serait-elle alors limitée par des considérations politiques ? « Si la justice internationale est limitée par le politique, la réciproque est aussi vraie. La CPI est une épée de Damoclès au-dessus de la tête des dirigeants qui prennent conscience qu’ils ne sont désormais plus aussi libres qu’avant. »

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