CPI : L’acquittement de Bemba est-il légitime?


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La CPI vient de libérer JP. Bemba pourtant condamné 2 ans plus tôt à 18 ans de prison à la Haye. Cette décision laisse plus de 5000 victimes dans la détresse avec un fort sentiment d’injustice et de rejet de la CPI.

Dans son article, Asmâa Bassouri, analyse avec son regard de juriste la décision de libérer Bemba. La CPI fait reposer sa décision sur 2 piliers que sont : le dépassement des charges confirmées, et erreur dans l’appréciation des mesures nécessaires et raisonnables que devait prendre Bemba pour stopper les exactions du MLC dont il est le chef. L’auteur est certes d’accord pour le premier point mais s’insurge contre le second. Selon elle, Bemba aurait dû répondre de ses crimes dans la limite des preuves apportées au dossier !

 

Véritable coup de théâtre, l’acquittement du congolais Jean-Pierre Bemba par la Cour Pénale Internationale (CPI), aura non seulement des conséquences dévastatrices sur les 5229 victimes présentes à son procès, mais infligera aussi un grave revers aux 10 années d’efforts du Bureau du Procureur pour instruire l’affaire. Tant les praticiens du droit international que les défenseurs des droits de l’Homme seront unanimement d’accord pour dire qu’il s’agit là d’un précédent regrettable pour une institution à vocation universelle et permanente, se voulant un modèle de l’administration de la justice internationale. La CPI a-t-elle finalement pris la bonne décision?

Bref historique de l’affaire

Procès symbole pour la CPI, l’affaire Bemba a été portée devant la Cour en mai 2008. Tenu comptable à La Haye pour les méfaits de sa milice ayant multiplié les sévices contre la population civile en République Centrafricaine, Bemba a été condamné en 2016 à 18 ans d’emprisonnement, pour ensuite être acquitté en appel deux ans plus tard. L’analyse de la décision de la Chambre d’Appel de la CPI laisse entrevoir deux motifs majeurs servant de base à cet acquittement: dépassement des charges confirmées, et erreur dans l’appréciation des mesures nécessaires et raisonnables que devait prendre Bemba pour stopper les exactions du MLC dont il est le chef. Et sans nullement prétendre interférer avec l’indépendance des juges, ni défier leur pouvoir souverain d’appréciation, nous pensons que le premier motif serait plutôt valable, tandis que le second serait un « forçage » des textes, qui au lieu de préciser davantage les méandres de la notion de responsabilité du supérieur hiérarchique (telle qu’initialement conçue en doctrine), va venir la flouter et la vider de sens.

Sur quoi repose d’acquittement ?

Relativement au premier motif, et pour des raisons évidentes, la condamnation ne peut se faire sur la base de chefs d’accusation en dehors de la portée des charges telles que confirmées. Pour rappel, le procès devant la CPI est un échelonnement d’étapes, dont celle de la confirmation des charges qui sert à délimiter les faits criminels qui feront l’objet des débats contradictoires devant les juges pour que ces derniers statuent. Cette délimitation se mesurant bien sûr à l’aptitude du Procureur à s’aménager les preuves nécessaires à l’appui des allégations criminelles qu’il avance. Une lecture des paragraphes 74 à 119 de la décision d’Appel explicite en quoi la condamnation excédait les charges confirmées. Alors que Bemba comparaîtra devant les juges pour des charges de meurtre, viol et pillage, le Procureur va présenter plus tard en cours de procès des informations concernant d’autres allégations de faits criminels plus spécifiques, et que les juges vont retenir pour prononcer la condamnation de Bemba. En cela, l’erreur procédurale consistant à dépasser la portée des charges initialement confirmées pourrait justifier que l’on ne punisse Bemba que par rapports aux charges confirmées au départ. Seulement, est-ce que Bemba sera pour autant châtié par rapport aux crimes n’ayant aucunement dépassé les charges confirmées? Loin s’en faut! Il sera même acquitté et c’est là où le second motif avancé par les juges d’Appel prête à discussion.

En effet, les juges vont conclure à une erreur commise en première instance lors de l’examen pour savoir si M. Bemba avait pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ou punir les crimes relevant de ses subordonnés, ou d’en référer aux autorités compétentes. La nouvelle (mais fort malheureuse) lecture ayant était faite de la notion de responsabilité pénale du supérieur hiérarchique pour les crimes de ses subalternes, crée un précédent voulant que les contraintes rencontrées par le chef militaire éloigné de ses troupes déployées à l’étranger, lui suffisent de motif pour être exonéré. En d’autres termes, il suffit d’être absent des lieux des crimes pour que soit dégagée sa responsabilité, et que soit signée par là même une autorisation implicite de tuer, violer, piller… en toute impunité. Cet aspect d’impunité étant in fine ce qui scandalise le plus dans cette affaire. Il s’agit de crimes documentés, dont personne ne nie la commission, mais qui demeureront pourtant impunis. La manière de procéder des juges est intenable. D’une part, elle conduit à une sous-estimation de la responsabilité (normalement lourde) d’être à la tête d’un groupement armé. Car en acceptant le fardeau d’un grade militaire élevé, on accepte aussi l’obligation de veille et de vigilance en découlant relativement aux agissements de ses subalternes. Être limité dans sa capacité d’intervenir en cas de dérapages pourrait justifier une discussion quant au quatum de la peine mais non la suppression de celle-ci.

D’autre part, cela ruine la politique criminelle suivie par le Procureur, dans le sens où la CPI ne pouvant techniquement se livrer à la poursuite de tous les présumés auteurs des crimes d’une situation criminelle portée devant elle, elle va se limiter aux «gros poissons», nommément les personnes occupant le plus haut rang militaire et/ou politique, qui deviennent de ce fait les effigies des crimes en question. Or, dans l’affaire Bemba, le seul auteur identifié ne passera pas sous les fourches caudines de la justice internationale pénale parce qu’on a tout simplement allégé la critériologie pouvant engager sa responsabilité en tant que supérieur hiérarchique.

Doit-on plaider pour la suppression de la CPI ?

Critiquer la CPI ne revient nullement à plaider pour sa suppression. L’institution – et malgré ses travers et ses faiblesses- demeure un pilier incontournable de l’ordre international. Les juges doivent tirer une leçon de ce qui vient de se produire pour éviter la répétition. De même que la république centrafricaine, comme tous les États d’ailleurs qui sont membres à la CPI, doivent assumer le devoir premier qui est le leur, à savoir le jugement des criminels sur leur sol pour redonner ainsi au principe de complémentarité régissant la CPI ses lettres de noblesse. La juridiction de cette dernière étant en effet complémentaire de celle étatique, tout échec de la CPI serait volens nolens un échec de l’État qui faillit à son devoir originel de poursuite poussant la Cour, en tant que juridiction de dernier ressort, à se saisir.

Asmâa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc)

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