Côte d’Ivoire : vengeance ou réconciliation ?


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Toussaint Alain et Me Jacques Vergès

Le nouveau président Alassane Ouattara, hérite d’un pays divisé et meurtri. L’orientation politique qu’il donnera à la Côte d’Ivoire dans les prochaines semaines est décisive pour le retour de la paix après dix ans de conflit.

En campagne électorale, Alassane Ouattara avait promis, entre autres, « l’indépendance économique, la modernisation des services publics et la réorganisation du système de santé ». Mais son échéancier a été interrompu par quatre mois de crise post-électorale. A ces arguments de campagne s’ajoute maintenant un objectif incontournable pour que la Côte d’Ivoire ne sombre pas à nouveau dans un conflit interminable : la réconciliation nationale.

L’enjeu est de taille. Les résultats du scrutin présidentiel (54 % pour Alassane Ouattara contre 46% pour Laurent Gbagbo) et la lutte armée de ces dernières semaines ont montré que celui que ses partisans surnomment « ADO » n’avait pas conquis le cœur de tous les Ivoiriens. Les institutions nationales se sont également divisées. La gendarmerie et la police ont soutenu un temps Laurent Gbagbo dans le bras de fer politique qui opposait les deux présidents avant de changer de camp. L’armée, quant à elle, a été un soutien indéfectible de l’ancien président dans sa résistance pour conserver sa place.
L’avenir judiciaire de Laurent Gbagbo pose question. Doit-il être jugé en Côte d’Ivoire ou par la communauté internationale ? Alassane Ouattara va devoir composer avec toute les pièces de ce puzzle s’il veut faire de son mandat celui de « la réconciliation et du pardon ».

Composer avec l’opposition

L’accession d’Alassane Ouattara à la fonction suprême et l’arrestation de son rival lundi n’ont pas stoppé instantanément les critiques de ses détracteurs. Ceux-là même qui l’accusent d’être « le candidat de l’étranger » et qui remettent en cause sa nationalité ivoirienne vont profiter des circonstances troubles de la capture de Laurent Gbagbo pour continuer de l’affaiblir. Mardi, Toussaint Alain, le conseiller en Europe de ce dernier, a évoqué « un odieux coup d’État (commandité par la France) qui n’a d’autre dessein que recoloniser la Côte d’Ivoire pour s’emparer de ses immenses ressources ».

Mais les opposants d’Alassane Ouattara en capacité de l’affaiblir se comptent désormais sur les doigts de la main. Certains sont à l’étranger. D’autres, comme le leader des Jeunes patriotes Charles Blé Goudé, sont introuvables. Les derniers ont été interpellés lundi en même temps que Laurent Gbagbo dans l’attente d’un jugement, ou s’apprêtent à s’aligner derrière Alassane Ouattara. C’est déjà le cas de Desiré Dallo, l’ex-ministre des Finances. Et Alcide Djédjé, son homologue des Affaires étrangères, serait en négociation avec le camp Ouattara. Le nouveau président ivoirien n’a pas encore annoncé de gouvernement d’union nationale, mais les tractations semblent avoir commencé. L’Union européenne a exhorté mardi Alassane Ouattara à composer « un gouvernement élargi représentatif de toutes les régions et de toutes les tendances politiques du pays », l’assurant de son soutien. Le nouveau président devra aussi résister au faucons de son parti qui refuseraient de pardonner et de partager le pouvoir.

La mort de Désiré Tagro, le ministre de l’Intérieur et fidèle de Laurent Gbagbo, fait de l’ombre au tableau des réconciliations. Il est décédé lundi dans des circonstances encore inconnues. Du côté de Laurent Gbagbo, on évoque l’hypothèse du suicide, mais Toussaint Alain dénonce un assassinat. Le Premier ministre Guillaume Soro a ordonné qu’une autopsie soit pratiquée sur le corps de l’ancien ministre, qui avait agité le drapeau blanc lors de l’assaut final contre la résidence du président sortant.

État de droit

Après la constitution d’un gouvernement d’union nationale, le second impératif immédiat d’Alassane Ouattara pour gagner la confiance et la réconciliation du peuple ivoirien sera l’instauration d’un État de droit et la traduction en justice des responsables des crimes du conflit post-électoral, quels qu’ils soient. La mission est périlleuse puisque plusieurs exactions sont attribués à ses partisans par les ONG, dont le massacre de Duékoué où ont été découverts 800 corps. Aucun autre bilan humain définitif n’est encore connu à l’heure actuelle. Les Nations unies ont nommé une commission d’enquête chargée d’enquêter sur les crimes commis en Côte d’Ivoire depuis l’élection contestée de novembre 2010.

Alassane Ouattara a compris le message. Il a d’ors et déjà annoncé la création d’une « commission vérité et réconciliation » lors de son allocution télévisée, lundi, après l’arrestation de son prédécesseur et a demandé à la Cour pénale internationale d’ouvrir une enquête. Le doute persiste cependant sur le sort judiciaire qui sera réservé à Laurent Gbagbo. Doit-il comparaître devant la justice ivoirienne ou la Cour pénale internationale ? Chacune des deux éventualités pourrait mettre Alassane Ouattara en porte-à-faux. Enfin, une réponse judiciaire aux exactions commises pendant la première guerre civile, qui avait éclaté en 2002, est aussi en attente.

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Ramener la sécurité

La sécurité et la stabilité du pays sont les enjeux incontournables d’Alassane Ouattara s’il veut obtenir un soutien plus large des Ivoiriens, sinon contredire ses détracteurs qui sont convaincus de son incapacité à stabiliser le pays après les quatre mois de crise et d’affrontements. Pour ce faire, « ADO » a déjà réussi a ramener les forces armées du pays sous son autorité. Mardi, le chef d’État major des armées et les généraux des différents corps lui ont prêté allégeance sur Télévision Côte d’Ivoire, créée par des proches d’Alassane Ouattara.

Sur le même plateau, les militaires ont demandé aux combattants extérieurs à l’armée de déposer les armes. Les patrouilles de gendarmes ivoiriens ont repris mardi dans les rues d’Abidjan pour éviter de nouvelles scènes de pillage et pour rassurer la population.

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Le nouveau président de la Côte d’Ivoire a lui aussi appelé à « la retenue », la veille, sur la même chaine. « J’en appelle donc à tous mes compatriotes qui seraient gagnés par un sentiment de vengeance de s’abstenir de tout acte de représailles ou de violence », avait-t-il déclaré avant de conclure : « une page blanche s’ouvre devant nous. Blanche comme le blanc de notre drapeau, symbole d’expérience et de paix et c’est ensemble que nous allons écrire notre histoire dans la réconciliation et le pardon ».

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