Cote d’Ivoire : tout savoir sur le film « La nuit des rois »


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La nuit des rois
La nuit des rois

« La nuit des rois » est un film inédit qui met à nu les tristes réalités de la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan, (MACA), l’une des prisons les plus surpeuplées d’Afrique de l’Ouest. En prélude sa sortie en salles, Le 8 septembre, Makna Presse, a partagé l’interview de Philippe Lacôte.

Motivation, scenario, mélange du réalisme et du surnaturel… Dans cette interview, le réalisateur, qui a grandi à Abidjan, partage les coulisses de son long métrage plongé dans la plus grande prison d’Afrique de l’Ouest, durant une nuit de lune rouge. Entretien !

Pourquoi avoir placé la prison de la MACA (Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan) au cœur de « La Nuit des Rois » ?

La MACA est l’unique prison d’Abidjan et l’un des établissements pénitentiaires les plus surpeuplés d’Afrique de l’Ouest. Je l’ai découverte quand j’étais enfant. J’y allais régulièrement parce que ma mère était opposante politique et a été enfermée là-bas, pendant une année, par le régime de Houphouët-Boigny. J’allais une fois par semaine la voir en prenant un taxi collectif qui longeait la forêt. Il n’y a pas de parloir individuel, donc les visiteurs sont au milieu de prisonniers qui circulent librement dans une grande salle.

Cela me permettait d’observer les comportements, d’écouter le langage de la prison, de regarder certains détails. J’avais l’impression d’être à la cour d’un ancien royaume, avec ses princes et ses laquais. Je garde encore des souvenirs très vifs de certaines voix, certaines images. C’est cette atmosphère que j’ai eu envie de prolonger dans « La Nuit des rois ». Par ailleurs, pour diverses autres raisons, la prison est quelque chose qui est très proche de moi : des frères y sont allés, j’ai animé des ciné-clubs dans différentes prisons, pendant plusieurs années, en France. C’est un univers pour lequel j’ai appris à ne plus fantasmer, que je commence à connaître. Donc j’avais envie de donner un regard de l’intérieur, de montrer comment la prison fonctionne comme une société à part entière.

Où avez-vous tourné le film ?

Nous avons reconstruit la prison dans des bâtiments de la ville coloniale de Grand-Bassam, qui se trouve à environ une heure d’Abidjan, sur la côte. Toutes les images sur les murs viennent de fresques vues dans de vraies prisons à travers l’Afrique. Même la phrase «  Si Dieu dit Oui, personne ne peut dire Non  », qui commence la narration du personnage

Principal, vient d’une prison en Sierra Leone. L’idée de destin sous-tend chacun de mes personnages. Comme un fil invisible qui guide leur vie. Mais cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de libre-arbitre. En acceptant son destin, Roman trouve la force de se libérer par les mots et de se révéler en conteur.

La nuit de Roman, est-ce un vrai rituel ou une invention ?

Choisir un prisonnier et l’obliger à raconter des histoires toutes les nuits est une pratique qui existe au sein de la MACA. Mais elle n’est pas aussi extrême que dans mon film. J’ai rajouté  la dimension dramatique de la mort. C’est un ami d’enfance sorti de la MACA qui m’a raconté cette histoire. Du coup, cela a réveillé mes souvenirs d’enfance de cette prison et cela été le déclencheur du scénario et du personnage de Roman. Je voulais que la prison soit plus qu’un simple lieu de narration. Je voulais que l’histoire de Zama soit vécue et incarnée par les prisonniers.

Je suis un admirateur de Jean Genet et de sa pièce « Les Bonnes », dans laquelle les domestiques deviennent les maîtresses de la maison au cours d’une soirée. Je cherchais à créer la même dynamique, les prisonniers devenant, le temps d’une nuit, les maîtres de la MACA. Quelles histoires raconte-t-on en prison ? Quel type d’imaginaire peut-il se développer quand votre corps est enfermé ? Je soutiens l’idée que chaque groupe humain, vivant au même endroit pendant une certaine durée, crée une culture. Et chaque culture génère de la poésie.

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L’histoire que raconte Roman, celle de Zama King, du gang des microbes, est-ce un reflet de la violence de la société ivoirienne ?

Le personnage de Zama a existé. C’était un chef de gang très cruel. En 2015, il a été lynché et brûlé par la population à cause de tous ses crimes. Les gangs des « microbes », âgés de 8 à 17 ans, sont une réalité, hélas, des quartiers populaires d’Abidjan. J’ai toujours été intéressé par les personnages en marge de la société. Vous ne trouverez jamais de personnage dans mes films qui soit confronté au fait de payer un loyer ou de trouver un emploi. Souvent, ils n’ont même pas de nom.

La Côte d’Ivoire est en crise depuis 20 ans, politiquement et socialement. Ce qui m’intéressait, c’était la façon dont le souvenir de la violence affecte encore notre société. Lorsque les images du lynchage de Zama ont commencé à circuler sur Internet, je me suis demandé : « Comment en sommes-nous arrivés à des images aussi violentes ? » Personnellement, j’ai été victime d’une agression à la machette par un gang de «  microbes » durant la post-production du film. C’est comme si la fiction de « La Nuit des rois » s’était déplacée dans ma réalité.

Le film mêle réalisme et surnaturel, approche documentaire et plongée dans l’imaginaire. Pourquoi ce mélange ?

Ce qui m’intéresse dans ce film et en général, c’est de raconter une histoire à partir d’une culture, depuis un imaginaire africain. Dans la culture ivoirienne et plus généralement d’Afrique de l’Ouest, les frontières entre réalisme, magie, fantastique, sont très poreuses, très perméables. Le récit de Roman qui raconte Zama s’appuie sur des faits réels, convoque des archives, mais il est raconté aussi comme une légende. C’est vrai que je suis passé par le documentaire et que cette matière très réelle me permettait justement de créer tout un espace fantastique, avec la lune rouge, les croyances des personnages avec des flash-back, etc.

Les dimensions temporelles sont présentes au même moment  : on peut être en même temps dans la légende, dans l’archive politique, dans le récit historique, dans le mythe. Ce sont des niveaux de récits qui ne sont pas contradictoires, à l’image des griots, de la tradition orale africaine. Le griot est à la fois conteur, historien, chanteur de louanges, etc. Ce sont ces différents niveaux de récit que j’essaye de manipuler pour raconter une histoire la plus homogène possible.

C’est un film de genre et je me suis appuyé sur les codes du « film de prison », mais ce qui m’intéressait, ce n’était pas forcément le portrait des conditions de vie des prisonniers, la prison vue depuis l’appareil administratif, mais aller au plus près des croyances. C’est pour ça que peut se mettre en place cette nuit de Roman, cette cosmogonie des prisonniers.

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Quel degré de violence souhaitiez-vous intégrer ?

La violence de « La nuit des rois » est plus mentale que réelle. Mais elle existe. Elle plane comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de Roman, qui doit conter s’il veut survivre. Toute la prison et le règne du caïd Barbe Noire reposent sur des jeux de violence mis à la disposition des prisonniers afin qu’ils ne se révoltent pas contre son diktat. Mais ce qui m’intéresse, c’est comment le pouvoir des mots arrive à faire reculer la violence.

Quels étaient vos intentions principales pour la mise en scène ?

Plonger complètement le spectateur dans le vécu d’une prison. Et pour cela, il ne fallait pas que cela fasse film. Avec mon chef opérateur Tobie Marier Robitaille, nous avons opté pour une écriture presque documentaire, une caméra à l’épaule qui a laissé une grande liberté de mouvements à ces acteurs énergiques. En même temps, cet espace réel est fracturé sans cesse par des flash-back qui sont filmés en steadicam, dans de grands espaces. L’écriture filmique de « La nuit des rois » est constituée de ces deux pôles.

Comment s’est passé le casting ?

 Il s’est déroulé sur deux années. Nous avons sillonné les différents quartiers populaires d’Abidjan. Je voulais aller vers la performance, donc une partie du casting est composée de danseurs, de chanteurs, d’acrobates, de contorsionnistes et de pratiquants d’arts martiaux. Nous avons auditionné dans les écoles de danse. Au total, quarante jeunes ont été retenus. Pour la plupart, ce ne sont pas des acteurs professionnels, comme Bakary Koné qui tient le rôle principal.

Nous avons par la suite travaillé en atelier, pendant deux mois. Ce qui fait que les mouvements des danseurs, les positionnements des acteurs dans l’arène de narration étaient intégrés avant le tournage.  Les corps sont importants dans « La nuit des rois » parce que la question majeure de la prison, c’est le corps. La première question qu’un prisonnier se pose est « est-ce que mon corps va supporter cet enfermement  ?  » Le temps est venu de montrer les corps noirs, non comme des corps d’esclaves, non comme des objets sexuels, mais comme des corps tout simplement d’êtres humains.

Aux côtés de ces comédiens « bruts », il y a des acteurs professionnels comme  Rasmané Ouédraogo, Issaka Sawadogo, Steve Tientcheu. Il y a aussi la participation de Denis Lavant dans le rôle de Silence. Et puis un quart des figurants sont aussi d’anciens prisonniers.

Parlez-nous de l’acteur Bakary Koné, qui joue le rôle de Roman ?

C’était sa première expérience. J’aime que les spectateurs découvrent un acteur à l’écran alors qu’il est lui-même en train de se découvrir en tant qu’acteur. J’ai travaillé de la même manière avec Abdoul Karim Konaté dans « Run » – même s’il avait une certaine expérience du cinéma, c’était aussi un très jeune acteur. Avec Bakary Koné, c’était intéressant de commencer avec quelqu’un qui n’était pas acteur au départ, et de faire avec lui un chemin presque similaire à celui de Roman dans le film. Quand il arrive en prison, il n’est pas  un conteur, et on découvre au fur et à mesure qu’il va en devenir un. De la même manière, à la fin de son histoire, Bakary Koné est devenu un acteur…

Que dire de la dimension de tragédie shakespearienne du récit, soulignée par le titre ?

« La nuit des rois » est un titre qui s’est imposé progressivement. La référence à Shakespeare vient du fait que je souhaitais peindre un monde d’intrigue et de lutte pour le pouvoir à l’intérieur de la prison. Il y a aussi la dimension de superstition, de croyance naïve qui est aussi présente avec le rituel lié à l’apparition de la lune rouge.

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