Côte d’Ivoire : le salut viendra-t-il de la diplomatie ?


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Depuis une semaine, les acteurs diplomatiques internationaux s’activent pour trouver une issue à l’épreuve de force qui oppose Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara. C’est à une montée en puissance des pressions diplomatiques que doit faire face Laurent Gbagbo. Rinaldo Depagne, analyste à l’International Crisis Group, et Gilles Yabi Olakounlé, chercheur et analyste politique indépendant, analysent pour Afrik.com le volet diplomatique de la crise ivoirienne.

C’est une levée de bouclier d’une intensité rarement observée en Afrique. Après la Cedeao, l’Union africaine (UA) a suspendu jeudi de la Côte d’Ivoire jusqu’à ce que Laurent Gbagbo reconnaisse les résultats du second tour proclamés par la Commission électorale qui donnent Alassane Ouattara, son adversaire, gagnant. Une décision qui confirme son isolement non seulement sur la scène internationale, mais aussi sur le continent africain.

Depuis le vendredi 3 décembre, les Nations Unies s’affairent. Après plusieurs jours de tergiversations, le Conseil de sécurité a arraché jeudi à la Russie, dans une déclaration commune, la reconnaissance de la victoire d’Alassane Ouattara. Mais seulement « au vu de la reconnaissance de la CEDEAO », précise la déclaration. « Le consensus a été de reconnaître Ouattara sans adopter de sanctions » et en se « calant sur la position des institutions africaines notamment de la CEDEAO », confirme Gilles Yabi. Pour lui, la Russie, qui a toujours eu une position tranchée sur la question de la souveraineté, estime que « ce n’était pas dans le mandat de l’Onu de décider du vainqueur de l’élection ». Si l’ex-URSS a fait de l’opposition au droit d’ingérence, sa marque de fabrique, ses vues sur les nouvelles ressources gazières et pétrolières de la Côte d’Ivoire pourraient être à l’origine de ce positionnement. Le président du groupe pétrolier russe Loukoï aurait ainsi récemment rencontré Laurent Gbagbo, affirme Rinaldo Depagne.
Les Nations unies ont, par la voix de leur représentant en Côte d’Ivoire, Young-Jin Choi, très tôt pris position sans réserve contre Laurent Gbagbo. « L’Onu ne se serait pas autant engagé pour d’autres pays de la région. La Côte d’Ivoire a une importance énorme au sein de la sous-région », explique Rinaldo Depagne. Mais surtout, les Nations Unies ont énormément investi dans ce processus électoral. Selon des estimations du Financial Times, il leur aurait coûté 400 millions de dollars. M. Choi a ouvertement mentionné cet aspect financier dans sa première déclaration validant l’élection d’Alassane Ouattara. « L’Onu a investi beaucoup de moyens, de temps et de personnels dans cette élection. Après tout ce travail, après avoir soutenu cette élection, l’ONU ne pouvait pas moins s’impliquer », poursuit Rinaldo Depagne. A la suite des accords de Pretoria (2005), que Laurent Gbagbo a signés, les Nations Unies ont été dotées d’ « un mandat d’opération de maintien de la paix et de certification des élections », rappelle Gilles Yabi. « Tout le processus, les conditions d’organisation du scrutin, avaient été intégrés dans la dernière version du code électorale », et ont été remis en cause par Laurent Gbagbo.

Une élection pas comme les autres

En suspendant la Côte d’Ivoire, L’UA a, elle, exprimé qu’il n’ y a, à ses yeux, pas de doute sur l‘élection d’Alassane Ouattara. Si « cette suspension n’a pas de grosse conséquence sur la Côte d’Ivoire, qui n’a pas besoin de l’UA en tant qu’organisation économique », elle montre que l’organisation continentale « exclut tout recherche d’une solution négociée avec Laurent Gbagbo. C’est un ultimatum clair », souligne Gilles Yabi. Souvent critiquée pour son attentisme, l’Union africaine a cette fois pris position très tôt contre celui-ci. Un comportement révélateur d’une certaine évolution de la diplomatie de l’organisation panafricaine. Pour Gilles Yabi, « L’UA est plus présente diplomatiquement depuis qu’elle s’est dotée d’un Conseil de sécurité et qu’elle a affiché son intention de se saisir des dossiers de crise. Il y a maintenant une volonté de l’UA de se prononcer très vite ». Selon lui, la fermeté de sa réaction, « un fait marquant », « traduit le constat qu’il y a eu un passage en force orchestré par le Conseil Constitutionnel ». L’UA, comme les Nations Unies, est consciente du caractère crucial de cette élection. « Au-delà de l’aspect démocratique des choses et du résultats des élections, l’enjeu sécuritaire est primordial. Car ce passage en force maintient le pays dans la crise et accroît les risques de divisions ». Le choix de Thabo Mbeki comme médiateur par l’UA a été « très pragmatique » pour Rinaldo Depagne. Accepté par les deux camps, « il était l’un des seuls à pouvoir ouvrir la porte de Laurent Gbagbo ». Si sa proximité avec ce dernier lui a souvent été reprochée, sa précédente mission, qualifiée d’échec, « a quand même permis de débloquer la question de l’éligibilité de Ouattara », rappelle Gilles Yabi.

La France a dès lundi déclaré encourager « toutes les initiatives africaines en cours et souten(ir) les organisations qui se sont saisies du dossier », citant notamment la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union Africaine. Une déclaration révélatrice de la stratégie adoptée par la communauté internationale pour contrer Laurent Gbagbo. Elle place les institutions africaines sur le devant de la scène et fait de la crise ivoirienne un test important pour la diplomatie du continent. Au delà du simple cas ivoirien, c’est « la crédibilité des institutions africaines » qui est mise à l’épreuve. « C’est un vrai test pour l’UA et la Cedeao, mais un test compliqué. En prenant clairement position en faveur d’Alassane Ouattara, elles ne peuvent plus revenir en arrière et soutenir Laurent Gbagbo », confirme Gilles Yabi. Dans le même temps, « si Laurent Gbagbo quitte le pouvoir, ce sera une grande victoire pour ces institutions et pour la diplomatie africaine ».

L’isolement diplomatique avant des sanctions ?

Mais comment la diplomatie peut-elle réellement sortir la Côte d’Ivoire de l’impasse ? Pour Rinaldo Depagne, « tant que le conflit armé n’a pas débuté », la diplomatie peut encore s’exprimer. Gilles Yabi, lui, ne « voit pas Laurent Gbagbo lâcher le pouvoir tout de suite», mais il reste persuadé qu’ « un isolement pourrait entraîner des divisions au sein du camp présidentiel » et ainsi le contraindre à laisser la place à Alassane Ouattara.
La solution d’un partage du pouvoir, à laquelle Laurent Gbagbo se déclare ouvert, sera selon lui difficile à mettre en place. « La déclaration de son ministre des affaires étrangères n’est pas surprenante mais comment la mettre en pratique. Lui président et Ouattara premier ministre ? Ado n’acceptera jamais. Il est maintenant trop soutenu », affirme-t-il.

La prochaine étape de cette montée en puissance, que caractérise la décision de l’UA, est, pour l‘analyste indépendant, la prise de sanctions. Elles pourraient avoir deux volets, individuel et économique. « L’UA peut décider de prendre des sanctions individuelles contre des responsables ivoiriens, comme elle l’a déjà fait avec la Guinée notamment. L’UE et le conseil de sécurité pourront alors suivre cette voie». Au niveau économique, Gilles Yabi est convaincu que la Côte d’Ivoire peut survivre quelque temps sans financements extérieurs grâce à ses ressources naturelles, et que par conséquent « la Cedeao et l’UA ne peuvent pas prendre beaucoup de sanctions économiques fortes ». Pour lui, c’est la maitrise « de la signature de l’Etat ivoirien auprès des organisations financières qui peut devenir un problème majeur pour Laurent Gbagbo. S’il perd ça, il perd beaucoup ».

Malgré la récente menace de sanctions lancée par les Etats Unis, Rinaldo Depagne pense « qu’elles viendront plus tard ». D’abord parce que des sanctions économiques seraient à « double tranchant », ensuite, parce l‘espoir « de faire partir Laurent Gbagbo sans sanction est encore présent » au sein de la diplomatie internationale. « Si l’Union africaine a seulement suspendue la Côte d’Ivoire, c’est qu’elle lui donne le temps de réfléchir, et la possibilité de se retirer », conclut Gilles Yabi.

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