Côte d’Ivoire : faut-il craindre la réforme hospitalière ?


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hopital Douala

Les Ivoiriens ont peur de la réforme de l’hôpital annoncée par leurs autorités. Ils craignent une privatisation de leur secteur de la santé. Dans le contexte délétère du secteur public de la santé, pourquoi avoir peur du changement? Est-ce à dire qu’ils sont satisfaits de la situation actuelle?

Dans son article, Fangnariga Yeo décrit le chaos dans les hôpitaux publics en Côte d’Ivoire. Corruption et insuffisance de moyens, conduisent à l’inhumanité la plus totale. Dans un tel contexte, une privatisation claire du secteur pourrait être salvatrice.

Le gouvernement ivoirien a adopté, le 13 mars dernier, un avant-projet de loi portant réforme hospitalière transformant les hôpitaux généraux en Établissements Publics Hospitaliers (EPH), pour une gestion administrative et financière plus autonome des structures de santé. Cependant, cette réforme suscite des craintes et des contestations dénonçant une volonté de  privatiser le secteur de la santé publique considéré comme régalien. Face au tollé, le ministère de la santé a dû rassurer qu’il ne soit nullement question de privatisation des structures de santé publique. Mais, faut-il avoir peur d’ouvrir les Établissements Publics Hospitaliers (EPH) à l’investissement privé?

Faillite de la gestion publique de la santé

En effet, depuis longtemps les hôpitaux publics ne répondent pas aux attentes des populations. La plupart sont vétustes et ne constituent plus de bons cadres pour soigner des malades. Le manque/absence d’équipements modernes, conduit beaucoup de personnes à se soigner dans les cliniques privées voire à l’étranger. Il y a quelque temps, l’opinion nationale s’offusquait des malades sans lits et des femmes accouchant à même le sol ou quasiment dans l’obscurité lorsqu’il y a des délestages. En outre, les médicaments manquent parfois entraînant de graves conséquences. La prise en charge des malades aux urgences demeure une plaie béante du système de santé publique, notamment en raison de l’insuffisance de personnel soignant et de médicaments. La médiocrité des conditions de travail et l’insuffisance des salaires expliquent (et ne justifient pas) pourquoi le personnel soignant passe plus de temps dans les cliniques privées pour renflouer sa bourse. Pis, ils font du racolage des patients en recommandant aux malades d’aller aux cliniques privées pour recevoir de meilleurs soins.

Face à ce constat implacable, et dont tout le monde se plaint, l’on continue à faire l’apologie du service public car la privatisation conduirait à la marchandisation de la santé. Peut-on dire que les opérateurs publics ne le font pas? Quand les pauvres citoyens vont dans un hôpital public ne doivent-ils pas payer un droit d’entrée? Ne payent-ils pas certaines fournitures de base? Ne payent-ils pas les infirmières pour juste avoir le droit de consulter ou avoir un traitement humain? Il n’est un secret pour personne que le secteur de la santé est corrompu en Côte d’Ivoire (sans stigmatiser ici les opérateurs honnêtes dans ce secteur). De plus en plus, les populations dénoncent une stratégie des obstétriciennes qui n’aident pas vraiment les femmes enceintes lors des accouchements et recommandent systématiquement des césariennes pour empocher des commissions. La prépondérance de la corruption et de la rente dans ce secteur n’est-elle pas la preuve qu’une bonne partie des opérateurs publics (pour ne pas généraliser, encore une fois) « commerce » avec la santé des citoyens? La « marchandisation » décriée n’est pas le propre des investisseurs privés, elle l’est déjà dans le secteur public.

De même, on s’oppose à l’implication du privé car l’on croit toujours au mythe de la gratuité du service public de santé. Certes, ils ne payent pas directement, mais ils en subissent le coût soit via les impôts et autres taxes ou les autres projets sacrifiés pour financer les établissements publics de santé. En conséquence, le débat sur la réforme ne devrait donc pas se confiner au niveau de l’opposition public/privé. Mais plutôt sur le rapport qualité des soins/prix.

Quels préalables pour réussir la réforme ?

L’ouverture des établissements publics à une gestion privée pourrait être très bénéfique pour plusieurs raisons. D’abord, car elle permettrait l’injection de capitaux dans un secteur qui en manque terriblement. Ensuite, l’investissement privé, grâce à ses compétences managériales et à sa discipline de marché, permettrait plus d’efficacité dans la gestion des établissements de santé, toujours pour une meilleure qualité. Enfin, l’intensification de la concurrence permettrait de limiter tous les abus émanant des uns et des autres, ce qui pourrait rééquilibrer le rapport de force entre le patient et le prestataire. Mais pour que le marché de la santé élargi puisse apporter tous ces bienfaits, il est besoin de certains préalables et de garde-fous.

À ce titre, il est nécessaire d’élaborer un cadre juridique clair et précis pour encadrer et réguler les opérations de privatisation de la gestion des EPH.  Dans ce cadre juridique, les droits et obligations des nouveaux directeurs des EPH et celui des comités des usagers pour prévenir tout dépassement de fonction. D’où la nécessité de respecter l’état de droit afin d’éviter toute connivence dans les opérations de cession. La transparence et la concurrence devraient être respectées afin que le plus méritant remporte le marché.  L’investissement de la part du privé doit être accompagné d’un cahier des charges clair et raisonnable, ce qui facilitera le suivi et le contrôle pour des prestations de meilleure qualité.

L’un des enjeux de la réforme étant l’amélioration de la qualité des soins. Pour ce faire, la réforme devrait permettre aux populations de tirer profit pleinement d’une saine concurrence entre EPH à gestion privée et les cliniques privées. A ce titre, les prix devraient être libérés et non pas fixés de manière administrative. Les barrières à l’entrée devraient être abolies afin d’assurer une égalité des chances des investisseurs susceptibles de rendre l’offre médicale abondante et diversifiée. En ce sens, la réforme du climat des affaires devrait s’accélérer pour réduire le coût et le risque d’investissement. Cela permettrait d’accroître l’offre sanitaire et in fine faire baisser les prix des soins.

Enfin, au regard du nombre de cliniques et établissements sanitaires privés (70%) qui fonctionnent dans l’illégalité selon un tableau dressé par les autorités sanitaires, en début d’année, il serait judicieux de mettre sur pieds une autorité  indépendante de régulation qui veillerait aux règles du jeu de la concurrence. Elle pourrait aussi régler les plaintes et différends entre les EPH/cliniques privés et usagers, et contribuer à assainir le secteur des faussaires, et rassurer ainsi les populations.

Le système de santé publique est en faillite. Sa réforme est donc inéluctable. Elle devra se faire dans la transparence pour que les règles de jeu soient claires, connues et réellement appliquées. Si les préalables institutionnels sont respectés, l’ouverture à davantage de concurrence ne peut que permettre une démocratisation des soins de santé au profit de tous les citoyens.

Par Fangnariga Yeo, activiste des droits de l’Homme et blogueur, article publié en collaboration avec Libre Afrique

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