Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara entretient le flou sur un quatrième mandat et relance la controverse politique


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Le Président de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara
Le Président de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara

Le Président ivoirien, Alassane Ouattara, a relancé ce dimanche 22 juin le suspense politique en annonçant qu’il se prononcerait « dans les jours qui viennent » sur sa potentielle candidature à un quatrième mandat. Une déclaration faite devant des dizaines de milliers de partisans du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), réunis au stade olympique d’Ebimpé pour un congrès exceptionnel.

Alors que le parti présidentiel venait de le désigner officiellement comme son candidat pour l’élection présidentielle d’octobre 2025, beaucoup s’attendaient à une annonce claire et ferme du chef de l’État ivoirien. Mais Alassane Ouattara a choisi la prudence : « Je vous ai compris. Je vous remercie pour votre confiance. Je prendrai, dans les jours qui viennent, après mûre réflexion, une décision en mon âme et conscience », lance-t-il devant des militants médusés.

Une réponse différée qui irrite et intrigue

Si certains partisans y ont vu dans les propos de leur leader une réponse positive voilée, interprétant le discours comme un signal favorable à sa candidature, d’autres, y compris dans les rangs du RHDP, ont été pris de court. « Le Président nous a surpris », confie un ministre. Un cadre du parti souligne que le chef de l’État reste attentif aux équilibres internes, dans un parti traversé par des luttes d’influence et des tensions sur la question de sa succession.

Le choix du silence pourrait aussi être stratégique, alors que la question d’un quatrième mandat reste très controversée. En se donnant du temps, Ouattara affirme vouloir agir en tant que Président de tous les Ivoiriens, au-dessus des intérêts partisans. Mais cette posture ne convainc guère l’opposition.

L’opposition contre-attaque

Dans le camp opposé, cette déclaration d’Alassane Ouattara est perçue non pas comme une pause réflexive, mais comme un recul sous pression. Pour Damana Adia Pickass, haut cadre du PPA-CI et coordonnateur du mouvement Trop c’est Trop, il s’agit même d’une victoire politique : « Face à la mobilisation contre le quatrième mandat, le Président Ouattara vient de reculer ».

Au-delà du symbole politique, le mouvement avance désormais un argument juridique. Selon lui, Ouattara ne peut plus être candidat, car il aurait dépassé les délais imposés par la Commission électorale indépendante (CEI) pour déposer la liste des collecteurs de parrainages, exigée au plus tard le 20 juin. « Aujourd’hui, Ouattara n’est pas candidat. Il est forclos », affirme Damana Pickass, en s’appuyant sur l’interprétation stricte du code électoral.

L’opposition brandit ainsi une lecture juridique destinée à couper court à toute tentative de candidature tardive. Une pression directe exercée sur la CEI, invitée à ne pas céder à ce qu’elle considère comme un traitement de faveur : « Nous serons très vigilants. Nous demandons à la CEI de faire respecter la loi, sans exception », insiste le cadre du PPA-CI.

Une Constitution à géométrie variable ?

Le débat sur la légitimité d’un quatrième mandat d’Alassane Ouattara n’est pas nouveau. Déjà en 2020, sa décision de briguer un troisième mandat avait suscité une vive polémique. Le Président s’appuyait alors sur le changement constitutionnel de 2016 pour affirmer que ses deux précédents mandats ne comptaient pas. Ce raisonnement avait été validé par le Conseil constitutionnel, mais fortement contesté par ses opposants.

En 2025, le contexte est encore plus tendu. La perspective d’un quatrième mandat est décrite par Laurent Gbagbo comme une dérive vers « le parti unique », et par Tidjane Thiam comme « une négation de la légitimité du scrutin à venir ».

Course contre la montre

Le calendrier électoral ajoute à la pression : la collecte officielle des parrainages démarre le 1er juillet et les candidats ont jusqu’au 26 août pour déposer leur dossier. Si Alassane Ouattara veut se présenter, il doit se conformer aux exigences de la CEI, à moins d’un éventuel assouplissement ou réinterprétation des délais.

Or, l’ambiguïté persistante sur ses intentions complique les préparatifs électoraux du RHDP, tout en alimentant les critiques sur un processus électoral biaisé. Le chef de l’État garde la main sur l’agenda, selon ses proches. Mais, ceci risque d’affaiblir davantage la confiance dans le scrutin à venir.

Un RHDP en quête de cohésion

En interne, le maintien d’Alassane Ouattara à la tête du RHDP est salué par ses partisans comme un facteur de cohésion. Le parti présidentiel, en l’absence d’un dauphin clairement désigné, reste largement structuré autour de sa figure centrale. Mais ce choix de temporiser pourrait ouvrir la voie à des tensions si le Président venait à se désister, laissant la course ouverte à une guerre de succession.

Pour de nombreux observateurs, ce suspense entretenu pourrait masquer des tractations politiques de dernière minute ou des arbitrages délicats face à une opposition qui s’organise. Le récent accord politique entre le PPA-CI de Laurent Gbagbo et le PDCI de Tidjane Thiam a redéfini le paysage électoral, en créant une force d’alternance crédible pour 2025.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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