Comment la dette nourrit la dette


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Un audit de la dette congolaise au Sénat belge démontre que rien n’a changé depuis Mobutu. L’endettement des pays pauvres est un puissant ressort dans la redistribution à l’envers des richesses mondiales.

‘‘Qui paie ses dettes, s’enrichit’’, dit un adage. Un des paradoxes (apparents) du système économique mondial tient au fait que, globalement, l’épargne des pauvres finance la consommation des riches. Selon des experts, 125 milliards USD des flux financiers venus des pays du Sud en 2003 ont bénéficié aux pays du Nord et non l’inverse. Ainsi la dette que payent les pays du Sud ne les enrichit pas eux-mêmes, mais enrichit d’autres, ‘‘et pas un peu’’. Le Comité d’annulation de la dette du Tiers-monde (CADTM) veut donner une nouvelle lecture de la dette de la RD Congo, délibérément appauvrie en soumettant à un audit critique et citoyen. Ici une brève synthèse de la journée sur l’audit de la RDC au sénat belge. ‘‘Ouvrir la boîte noire, voir à qui profite le crime, c’est de tous temps ainsi qu’on résout une énigme policière où l’argent entre en jeu’’, écrit Erik Rydberg, journaliste au CADTM. La RDC, qui doit débourser jusqu’au quart de son budget pour rembourser sa dette, est l’image même ‘‘de la doctrine de la dette odieuse’’, négation du principe fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, a dit le sénateur belge Pierre Galland qui a invité le CADTM, organisateur d’un colloque sur ce thème au Sénat belge le 20 octobre dernier. Un coin du voile, cependant, a déjà été soulevé ‘‘Nous avons un devoir d’inventaire’’. Il fallait que ce soit dit.

Business as usual.

Lorsqu’on parle d’un nouveau départ pour le Congo, il faut donc comprendre, en réalité: business comme d’habitude. ‘‘Il y a quelque chose d’hallucinant, en effet, dans l’emballement de la malédiction usurière à laquelle la jeune nation congolaise sera sans cesse soumise après son Indépendance en 1961’’, écrit le confrère qui accuse le régime Mobutu d’avoir légué une ardoise de quelque 13 milliards USD, dont plus de 5 milliards USD propulsé par le service de la dette. Seulement, aujourd’hui, au sortir de la guerre civile (5 millions de morts), une nouvelle flambée de prêts rapaces s’abat sur le pays, plombée d’une dette de plus de 9 milliards USD.

Le malheur de la RDC part de l’époque coloniale (1884-1960). Le pays est d’ores et déjà mis sous coupe réglée, comme l’a mis en exergue Dieudonné Ekowana Hiemo, chercheur. Ressources naturelles ‘‘trustées’’ par des conglomérats belges (Société générale, Union minière) et britanniques pour ‘‘civiliser’’ l’indigène. Il y a un prix à payer. Arrive le coup d’Etat ouvrant le règne kleptocrate de Mobutu. Trente deux ans avec des fortunes diverses jusqu’à la chute du Mur en 1989. ‘‘La fonction géopolitique de rempart anticommuniste africain avec laquelle Mobutu a habilement su jouer lui assurera une complaisance aveugle des prêteurs de tous bords- qui fermeront aussitôt les vannes après cette date’’. Suivra la période noire : neuf séries de rééchelonnements de la dette (13 milliards USD en 1996). Et toutes les bonnes consciences ne manquent pas de mettre en évidence la responsabilité écrasante des institutions financières internationales. ‘‘Malgré les clignotants faisant état de pratiques mafieuses et d’une corruption généralisée, elles continueront à arroser le régime, jusqu’en 1991 pour le FMI, jusqu’en 1993 pour la Banque mondiale’’, écrit le CADTM qui évoque le rapport Blumenthal de 1968. C’est ici qu’on parle de l’enrichissement illicite des tenants du remboursement de la dette pour des commissions occultes dues au service de la dette.

L’apothéose

Les Rapports onusiens l’ont dénoncé. Un pillage méthodique orchestré par des ‘‘réseaux d’élites composés d’un petit noyau de dirigeants politiques et militaires et d’hommes d’affaires, et dans les zones occupées de certains chefs rebelles et administrateurs’’. Contrats opaques en fournée, ‘‘prêts odieux’’ en batterie, environ 7,4 milliards de dollars s’ajouteront au passif, dont un milliard de l’Agence belge de promotion des investissements, le Ducroire et d’autres opérations, dont celle dite de ‘‘consolidation’’ (2002), ‘‘un tour de passe-passe par lequel 60 % des créances sur le Congo changent de main, l’arriéré se transformant, via de nouveaux prêts, en… nouveaux emprunts. A bien y regarder, cela correspond (…) à une gigantesque opération de blanchiment’’ : les Etats occidentaux qui y participent à l’aide de leurs contribuables (Belgique, France, Suède, Afrique du Sud) passent à la caisse, remboursent des créanciers qui s’évanouissent dans l’anonymat, tandis que le peuple congolais, lui, reste plus endetté que jamais, étant désormais placé sous la tutelle des programmes PPTE (pays pauvres très endettés) de la Banque mondiale, écrit le CADTM dans son rapport.

Donc, pour reconstruire aujourd’hui son pays et lui redonner espoir, le peuple congolais devra faire une croix sur environ 30 à 40 % de son maigre budget rien que pour assurer le paiement du service de la dette – les intérêts, donc : la dette elle-même vient en sus.

Droit de savoir

Le CADTM vise un intérêt dans son initiative. En plus d’une procédure judiciaire contre la BM via les agissements coupables de la société Anvil Mining dont les créances devront sur la RDC faire l’objet d’audit critique, ‘‘déceler les circonstances des prêts consentis par la Belgique à la RDC depuis son indépendance et le transfert de la dette belge au moment de l’indépendance du Congo afin de justifier l’annulation des créances belges ayant un caractère illicite et exiger la réparation des dommages écologiques et humains’’. Pour répondre aux questions ‘‘combien la RDC doit-elle réellement ? A qui ? Et pour quoi ?’’

Répudier cette dette ?

Cependant, il y a lieu de ‘‘répudier’’ cette dette colonialiste, si elle est qualifiée d’odieuse ou ‘‘de régime’’, dès lors qu’elle a été contractée par un régime despotique, non selon les besoins et les intérêts de l’Etat mais pour fortifier sa mainmise sur le peuple et le réprimer. ‘‘Les dépenses somptuaires du régime, les biens mal acquis, les fortunes bâties sur comptes suisses grâce à la corruption n’auraient pas existé sans corrupteurs, sans une exploitation délibérée des opportunités ainsi offertes aux banques et entreprises, qui savaient très bien ce qu’elles faisaient’’, cite le CADTM. Elle n’engage en rien le peuple et peut être à ce titre dénoncée par celui-ci. Le peuple doit ainsi avoir la force de dénoncer ces contrats. Il semble que des précédents existent.

EMMANUEL MAKILA de Notre partenaire The Post (Kinshasa)

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