Comment construire une démocratie efficiente en Afrique


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Le problème de l’autonomie du Parlement et de la limitation du pouvoir d’Etat.

En Afrique, le mouvement de démocratisation des régimes politiques s’effectue dans un contexte d’urgence économique qui fait de l’efficacité du pouvoir quant à la mise en œuvre des réformes et ajustement structurels nécessaires, le critère décisif. Dans le contexte du désarmement de l’Etat, on assigne à la démocratie un rôle d’accompagnement politique de la croissance en lequel les controverses de l’assemblée et les éventuelles oppositions parlementaires aux choix techniques et à l’action du gouvernement peuvent apparaître comme des entraves inutiles qu’il est indispensable de prévenir. Rétablissant alors la logique qui avait justifié les autoritarismes de parti unique, on conserverait la prépondérance de l’exécutif sur le Parlement pour soumettre la démocratie libérale africaine aux nécessités des systèmes de production et aux besoins des acteurs macro-économiques. Cette occurrence est d’autant plus tentante que les constitutions des Etats d’Afrique francophone inspirées pour la plupart de celle de la Vème République française s’y prêtent.

Il est donc indispensable de s’interroger : La démocratie peut-elle jouer ce rôle d’accompagnement politique de la croissance économique sans les deux caractères qui la détermine sous sa forme représentative dans le libéralisme : à savoir la limitation du pouvoir ainsi que l’autonomie et la prépondérance du Parlement ? Peut-il exister dans la modernité une démocratie émancipatrice autre que celle qui comporte une limitation du pouvoir de l’exécutif, une représentativité des acteurs politiques et une citoyenneté? Une démocratie libérale sans un Parlement autonome et sans un exécutif soumis au contrôle de l’Assemblé nationale peut-elle être désignée comme telle? Les Etats africains à parti unique qui se prévalurent, toutes sans exception, d’être des démocraties ne furent-elles pas justement anti-démocratiques en raison du contrôle du Parlement par un pouvoir sans limitation? Au delà de certaines causes exogènes, cette absence de contre-pouvoirs constitutionnels au niveau politique ne fut elle pas la raison déterminante de la régression économique du sous-continent sub-saharien ? Le sous-développement économique et politique ne résulta-t-il pas de la mise en œuvre du pouvoir illimité d’un Etat qui ayant absorbé le parlement en prétendant incarner, en sa particularité, la souveraineté du peuple, poursuivi sa propre reproduction, c’est-à-dire sa reproduction en tant que pouvoir illimité et système de domination ?

Caractérisé par une logique qui descend sans médiation de l’Etat à la société civile, le pouvoir de l’Etat à parti unique est nécessairement un pouvoir non tempéré qui s’exerce sans limitation. Dépourvu des bornes que fixerait une représentation parlementaire autonome des acteurs et des intérêts sociaux, cet arbitraire s’exprime sous la forme de l’agression contre l’intégrité morale et physique des personnes et sous celle de la répartition inégale des ressources économiques et politiques. Le clivage social et la régression politique et économique apparaissent ainsi comme étant les conséquences nécessaires de la non-limitation du pouvoir de l’Etat. Cette carence de la représentation politique des intérêts sociaux et de la défense de l’intégrité de la société civile par un parlement autonome doté d’une prépondérance sur l’exécutif finit toujours, comme l’histoire en témoigne, par transformer l’Etat-mobilisateur à parti unique en un Etat rongé par le clientélisme et la corruption qui ne se préoccupe que du contrôle de la société et de son propre enrichissement. Par suite de la crise de la participation politique des populations que provoque l’absence de représentation des intérêts sociaux, l’Etat autoritaire, qui résulte de cette corruption du principe de la politique, devient incapable de mobiliser les énergies sur les priorités nécessaires aux besoins de l’économie.

L’autonomie du Parlement et la limitation du Pouvoir, condition d’une démocratie efficiente

Loin d’être des entraves au développement économique dans la société démocratique, la limitation du Pouvoir et l’autonomie du Parlement semblent donc en constituer la condition et la cause. Elles sont consubstantielles à la société démocratique. Elles permettent de représenter politiquement les intérêts sociaux et de limiter le Pouvoir par le respect des libertés personnelles et des droits fondamentaux qui permet à l’Etat d’être un agent de développement. A la logique de la stérilisation des énergies socio-économiques résultant de l’arbitraire du pouvoir d’un Etat illimité qui absorbe le Parlement et contrôle la société civile, la société démocratique substitue une logique de la productivité des forces conflictuelles de la société civile. Cette logique de la représentation des intérêts sociaux monte de la société civile vers le Parlement autonome, pour soumettre le pouvoir d’Etat aux demandes sociales et à la volonté des acteurs sociaux.

La société démocratique se distingue ainsi de la société anti-démocratique en ce qu’elle est la société où les acteurs sociaux commandent leurs représentants politiques qui contrôlent à leur tour l’Etat. L’Etat démocratique est donc légitimé par la société civile dont les représentants politiques, à savoir les parlementaires et les partis, contrôlent le pouvoir afin qu’il s’exerce pour répondre à la multiplicité des intérêts sociaux. Ainsi, le principe central de la démocratie libérale représentative est celui de la limitation de l’Etat qui doit respecter les droits humains fondamentaux. Par le principe de l’égalité des personnes et de la liberté qui articule l’exercice du pouvoir, la démocratie empêche les deux formes d’arbitraires auxquels succombe l’Etat antidémocratique. Le principe démocratique de la liberté limite le pouvoir par le respect des libertés personnelles. L’égalité, quant à elle, est un principe de résistance contre la répartition inégale des ressources politiques et économique par le Pouvoir. La limitation du Pouvoir en démocratie n’est donc pas le fait de l’arbitraire d’un Parlement qui contrôle le gouvernement à partir des caprices et intérêts personnels des élus. Elle est requise par l’essence du régime démocratique qui subordonne le Pouvoir aux droits fondamentaux. Le Parlement représente la société civile au plan politique pour que les intérêts et demandes de la société civile déterminent l’exercice du pouvoir. Sa fonction politique est de veiller à ce que le pouvoir s’exerce selon le double critère du respect de la liberté des acteurs sociaux et de l’égalité dans la distribution des ressources économiques et politiques.

Mais le parlement est cependant séparé de la société civile en tant qu’institution politique dont le rôle n’est pas de soumettre le gouvernement au service de l’opinion publique. La sociologie politique insiste sur cette indispensable autonomie de l’élu qui, en tant que représentant des acteurs sociaux en démocratie, est un délégué. L’élu ne se borne pas à exprimer les préférences de ses électeurs ou à défendre les revendications des corporations et des groupes sociaux. Il exerce son jugement à l’occasion des problèmes qui lui sont soumis et est aussi et surtout un porte-parole de la volonté générale. Le rôle du Parlement est en cela celui d’une société politique autonome qui assure la médiation entre l’Etat et la société civile. La démocratie se fonde sur cette distinction entre ces trois dimensions de la société globale qui ne doivent pas se confondre au risque de conduire d’une part à une société totalitaire lorsque l’Etat se confond avec la société politique constituée par le parlement et les partis politiques , et d’autre part à une société en laquelle l’ordre politique et juridique est la représentation des intérêts économiquement dominants, lorsque la société politique se confond avec la société civile.

L’autonomie du Parlement et le contrôle parlementaire de l’exécutif garantissent la limitation de l’Etat qui préserve la société démocratique du totalitarisme d’Etat et de la tyrannie des foules. Elles empêchent aussi que l’Etat soit envahi par les intérêts sectoriels de la société civile, situation qui assure la domination des corporations, des groupes d’intérêts et des lobbies. L’autonomie de la société politique constitue en cela le rempart qui protège la société démocratique du face-à-face direct mortel entre l’Etat et la société civile.

La limitation du Pouvoir et l’autonomie du Parlement, acte volontariste

La mise en conformité de la démocratie africaine avec les caractères fondamentaux de la démocratie libérale relève cependant d’un acte volontariste, d’une décision politique et morale qui initie un commencement. Elle ne résultera jamais mécaniquement de la résolution dialectique des contradictions matérielles dans le mouvement historique. La limitation du pouvoir autant que l’autonomie du Parlement, conditions d’une démocratie libérale qui puisse être la cause d’un développement endogène, dépendent du choix des élites politiques africaines à un moment où après l’Etat, l’histoire tend à donner un poids de plus en croissant aux systèmes de production et de gestion qui cherchent à imposer leurs intérêts dans l’économie mondialisée.

Il faut choisir de restaurer le pouvoir du Parlement comme instance d’initiative politique et de contrôle du pouvoir dans les démocraties à régime présidentialiste. Il faut décider de construire une démocratie représentative en laquelle les gouvernés soient capables d’exprimer des demandes, des réactions ou des protestations formées dans la société civile. Dans le cadre du désarmement de l’Etat et du fonctionnement du libre marché fondé sur l’entreprise privée, il faut faire en sorte que la représentation parlementaire ne se réduise pas exclusivement à celle des intérêts corporatifs et personnels ; situation dont la conséquence serait d’établir un ordre juridique garantissant les intérêts économiquement dominants et un ordre politique protégeant les plus riches et les plus forts. Il faut décider d’organiser la représentation parlementaire et partisane des acteurs sociaux de telle sorte qu’elle garantisse juridiquement le respect et la coexistence de la pluralité ; qu’elle assure la participation politique de la diversité pour transformer la société et construire un Etat-national qui puisse être un agent effectif de développement et d’émancipation collective. L’efficience de la démocratie libérale en Afrique semble donc bel et bien dépendre d’une décision transcendantale.

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