
Premier producteur mondial de cobalt avec plus de 70 % de l’offre globale, la République démocratique du Congo a décidé de reprendre le contrôle de son « or bleu ». Après un embargo décrété en février 2025, Kinshasa a instauré un système de quotas qui bouleverse les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les géants Glencore et CMOC se partagent l’essentiel des volumes autorisés, tandis que les prix du métal stratégique ont bondi de près de 100 % en moins d’un an. Une situation qui pèse lourdement sur l’industrie des batteries et, in fine, sur le coût des véhicules électriques.
Un géant suisse au cœur du « royaume du cobalt »
La République démocratique du Congo fournit plus de 70 % de l’offre mondiale de cobalt, un métal indispensable à de nombreuses batteries lithium-ion, notamment celles des véhicules électriques haut de gamme. Dans ce paysage stratégique, Glencore fait figure de colosse. Le négociant-mineur suisse exploite les sites de Kamoto Copper Company (KCC) et Mutanda, parmi les plus importants gisements au monde, et approvisionne déjà des constructeurs comme General Motors ou Tesla via des contrats pluriannuels de cobalt « responsable » issu de ses mines industrielles congolaises.
Depuis février 2025, le rapport de force a pourtant changé de camp. Lassé de voir son cobalt bradé après plusieurs années de surproduction mondiale, Kinshasa a d’abord décrété un embargo total sur les exportations. Face aux pressions des producteurs et à la flambée des cours, le gouvernement a finalement opté, à l’automne, pour un système strict de quotas assorti de nouvelles conditions financières.
Dans ce nouveau cadre réglementaire, Glencore et le chinois CMOC, premier producteur mondial de cobalt depuis 2023, se voient attribuer les volumes les plus importants. Pour le quatrième trimestre 2025, CMOC a obtenu un quota de 6 500 tonnes (réparti entre ses mines Kisanfu et Tenke Fungurume), tandis que Glencore dispose de 3 925 tonnes.
L’autorité de régulation ARECOMS conserve par ailleurs 10 % des quotas dans une « réserve stratégique » destinée à soutenir des projets jugés prioritaires.
Résultat : même sans accord officiellement « exclusif », la réalité du terrain est limpide. Une poignée de groupes miniers, avec Glencore et CMOC en première ligne, concentre l’essentiel du cobalt congolais exportable, au moment précis où l’État resserre l’étau sur les volumes et les redevances.
Quotas, royalties et certificats : Kinshasa reprend la main
Depuis le 16 octobre 2025, la RDC n’autorise plus les exportations de cobalt que dans le cadre d’un quota trimestriel. Pour la fin d’année 2025, ce plafond s’établit à 18 125 tonnes, réparties en 3 625 tonnes pour octobre, puis 7 250 tonnes pour novembre et décembre. A l’aune de ces chiffres, on voit l’importance des quotas octroyés a CMOC et Glencore qui pesent a eux deux près de 60% du volume.
À partir de 2026, un plafond annuel de 96 600 tonnes entrera en vigueur (soit 87 000 tonnes pour les exportations directes des compagnies minières, auxquelles s’ajoutent 9 600 tonnes de quotas « stratégiques » attribués à la discrétion de l’ARECOMS). Ce volume représente environ la moitié des niveaux d’expédition des années précédentes.
Dans le même temps, un décret conjoint des ministères des Mines et des Finances, daté du 26 novembre 2025, impose aux exportateurs de nouvelles obligations contraignantes. Les opérateurs doivent désormais s’acquitter du prépaiement d’une redevance minière de 10 % dans les 48 heures suivant la déclaration d’origine et de vente. Ils doivent également obtenir un nouveau « certificat de vérification de quota » (AVQ) délivré par l’ARECOMS, qui doit accompagner tous les documents d’exportation. Enfin, chaque lot fait l’objet d’opérations de pesée, d’échantillonnage, de scellement et de contrôle physique systématique, sous la supervision de plusieurs administrations.
Remonter le prix du cobalt
Officiellement, Kinshasa entend « mettre fin au bradage » du cobalt, maximiser ses recettes publiques et améliorer la traçabilité d’un minerai longtemps associé à la corruption et au travail des enfants dans l’exploitation artisanale. « Nous ne serons contrôlés ni par les Chinois, ni par quiconque, si ce n’est par nous-mêmes. Un pays qui fournit 70 % du cobalt mondial doit pouvoir peser sur les prix », a déclaré le ministre des Mines Louis Watum Kabamba en marge d’un séminaire organisé à New York par le Cobalt Institute.
En pratique, ces nouvelles exigences ont paralysé les flux pendant des mois. Bien que l’embargo ait été officiellement levé mi-octobre, aucune cargaison significative n’était sortie du pays jusqu’aux tout premiers essais de chargement pilotés par Glencore, choisi pour tester le nouveau dispositif. Les premières expéditions commerciales de grande envergure ne sont désormais attendues qu’en avril 2026.
Pour le gouvernement congolais, le pari est clair : reprendre la main sur un marché dominé par une poignée de majors et par la Chine, tout en continuant d’attirer les capitaux nécessaires au développement des mines et, demain, à l’implantation d’usines de raffinage ou de précurseurs de batteries sur le sol national.
La facture des batteries électriques s’envole
Du côté des chaînes de valeur des batteries, le choc est immédiat. Le cobalt exporté par la RDC l’est principalement sous forme d’hydroxyde, un produit intermédiaire expédié vers la Chine qui concentre entre 70 et 75 % de la capacité mondiale de raffinage. Ensuite il y est transformé en sulfate de cobalt pour les cathodes des batteries lithium-ion.
L’impact sur les prix est énorme. Selon les données de Trading Economics, le cobalt s’échangeait autour de 48 500 dollars la tonne fin novembre 2025, soit une hausse de plus de 100 % par rapport aux niveaux de février, lorsque les cours étaient tombés sous les 21 000 dollars. Le prix de l’hydroxyde de cobalt a quant à lui bondi de 245 % depuis l’annonce de l’embargo, atteignant environ 20 dollars la livre contre moins de 6 dollars auparavant.
Un impact direct sur les voitures électriques
Cette flambée se répercute mécaniquement sur le coût de fabrication des batteries, et donc sur le prix final des véhicules électriques. Selon les analystes de Macquarie Group, si les quotas actuels sont maintenus, le marché pourrait faire face à une pénurie de matière première dès la mi-2026. Le groupe place désormais le cobalt parmi les trois matières premières les plus stratégiques pour les mois à venir.
La Chine, premier marché mondial pour les véhicules électriques, devrait à elle seule consommer environ 47 000 tonnes de cobalt en 2026 et 51 000 tonnes en 2027, rien que pour répondre aux besoins de son industrie automobile, sans compter l’aéronautique et les énergies renouvelables. Les quotas congolais risquent ainsi de renforcer les contrats bilatéraux de long terme et de réduire la liquidité du marché spot, au détriment des acheteurs coréens, japonais ou européens.
Mais à court terme, c’est CMOC qui subit de plein fouet cette nouvelle donne : le groupe chinois, dont la production congolaise a atteint 61 073 tonnes au premier semestre 2025, ne pourra exporter qu’une fraction de ses volumes avec un quota annuel estimé à 31 200 tonnes pour 2026. Glencore, de son côté, dispose de marges de manœuvre plus confortables et bénéficie de la hausse des cours. Conséquence, à long terme, sur le papier, grâce a ce système la RDC pourrait s’affirmer comme un véritable arbitre du marché mondial du cobalt, capable de remodeler les rapports de force entre pays producteurs et puissances industrielles consommatrices.
Vers une reconfiguration durable du marché
Cette stratégie congolaise intervient dans un contexte de tensions croissantes sur les matières premières critiques. Alors que les États-Unis et la Chine bataillent pour sécuriser leurs approvisionnements et construisent chacun leurs infrastructures ferroviaires pour accéder aux ressources de la ceinture de cuivre africaine, la RDC entend peser de tout son poids dans la transition énergétique mondiale.
Pour l’Institut du Cobalt, la demande mondiale pourrait afficher une augmentation de plus de 10 % en 2025, atteignant 227 000 tonnes. Sans le cobalt congolais en quantité suffisante, le marché mondial risque de faire face à une pénurie aiguë, au point de contraindre certains constructeurs de véhicules électriques à réduire leur production ou à accélérer la transition vers des chimies de batteries moins dépendantes du cobalt, comme les batteries LFP (lithium-fer-phosphate).
Mais si une chose est certaine, c’est bien qu l’ère du cobalt bon marché est révolue




