Cliniques sauvages au Togo


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Les « cliniques sauvages », ouvertes par des personnes qui n’ont souvent rien à voir avec la médecine, fleurissent chez les particuliers au Togo. La seule ville de Lomé en compterait 680. Véritables problèmes de santé publique, le ministère de la Santé a décidé de leur faire la chasse. Depuis 6 mois, il en a fermé une quarantaine et mis les responsables sous les verrous.

Viens chez moi, j’opère chez une copine… La formule pourrait prêter à rire si elle ne révélait pas une réalité morbide. En effet, depuis plusieurs années, certains Togolais, attirés par l’appât du gain, s’improvisent médecins, gynécologues ou chirurgiens, transformant leur salon ou leur chambre à coucher en salle d’opération et d’accouchement. On appelle cela des « cliniques sauvages ». Et il en existerait plus de 680 pour la seule ville de Lomé, selon les chiffres du ministère de la Santé togolais. Un chiffre effrayant au regard des conditions d’hygiène déplorables qui y règnent et de la qualité (souvent mortelle) des soins qui y sont prodigués.

« Ce genre d’endroit est généralement ouvert par une personne plus ou moins qualifiée », note un habitant de Lomé. « De nombreux assistants médicaux, par exemple, qui ont Bac plus 2 ou 3, qui ne sont pas autorisés légalement à ouvrir des cliniques et sont au chômage, décident de créer leur propre clinique. Ils recrutent ensuite des gens formés sur le tas qui n’ont rien à voir avec la médecine ! Je ne crois pas que la population se rende compte du danger qu’elle court à aller se faire soigner dans ces endroits… »

Exercice illégal de la médecine

Le danger de mort est réel, comme l’a constaté la ministre de la Santé Suzanne Aho, qui mène depuis plus de 6 mois une campagne acharnée contre les cliniques sauvages. « Nous sommes arrivés dans une de ces cliniques et sur le registre il y avait une page entière de décès, sans explications. C’est terrible. Il est inadmissible que les responsables de ces lieux luttent contre leur pauvreté en hypothéquant la santé des Togolais. Ces cabinets médicaux sans agrément poussent comme les cabines téléphoniques. C’est ce que j’appelle un petit métier. Des techniciens de laboratoire, des assistants médicaux et des techniciens d’hygiène s’improvisent médecins ! Dans certaines régions du pays, nous avons trouvé ce genre de cliniques installées dans des cases et tenues par des agriculteurs… D’autres fois, nous avons eu affaire à des apprenties coiffeuses ou couturières, à des entrepreneurs et même à des mécaniciens ! »

Le dernier « mécanicien-chirurgien » démasqué a été arrêté. Il avait effectué un toucher vaginal lors d’un accouchement sans porter de gants et n’avait visiblement aucune connaissance de la mécanique interne de l’être humain. Il a mis en danger la vie de la mère et de l’enfant. « Nous avons arrêté tous les responsables des cliniques que nous avons fait fermer pour exercice illégal de la médecine. Ils vont être jugés, ce qui est une première au Togo », explique Suzanne Aho. « Cette tournée sur le terrain a commencé de manière informelle. J’ai envoyé mes services techniques pour enquêter. Puis j’ai dû répondre à une question orale sur ce sujet à l’Assemblée nationale et je me suis rendue compte qu’il fallait médiatiser cet état de fait. Nous sommes passés à l’acte. » Résultat : les services de l’énergique ministre ont fermé une quarantaine de cliniques sauvages en six mois sur l’ensemble du territoire togolais, pour « non conformité à la réglementation en vigueur et défaut de personnel qualifié ».

« Racket déguisé »

La ministre insiste : « Ceux qui fréquentent ces cliniques le font à leurs risques et périls, c’est comme consommer les médicaments ‘par terre’, vendus au soleil. En plus, les prix pratiqués ne sont même pas intéressants ! Un accouchement simple coûte 13 500 F CFA et une grossesse gémellaire, 25 500 F CFA. Alors que dans une clinique agréée par l’Etat, l’accouchement est pratiqué pour 8 000 F CFA. C’est du racket déguisé ! » Pour expliquer le fait que ces concitoyens se tournent vers les cliniques sauvages, elle n’hésite pas à pointer les dysfonctionnements du système public. « Dans les formations sanitaires publiques, j’ai dénoncé à plusieurs reprise le fait que nous manquions de personnel car celui-ci trouve plus lucratif de travailler dans les cabinets illégaux. Les malades sont très mal reçus, sont victimes de discrimination, doivent attendre des heures… Des comportements qui ne sont pas à l’honneur du corps médical et je me suis battue pour que cela change, j’ai notamment sanctionné les manquements. »

Depuis, Suzanne Aho affirme que la population a commencé à revenir dans les cliniques publiques, dont les taux de fréquentation ont augmenté. Mais cela ne lui suffit pas. « Je ne conçois pas que des familles et des individus souffrent, surtout les femmes qui n’ont pas les moyens de se plaindre. Il y a deux ans, j’ai fait arrêter un soit-disant ophtalmologiste qui passait son temps à violer les petites patientes en prétextant que les nerfs du vagin étaient reliés aux nerfs optiques… » Cette histoire a poussé Mme la ministre à mener le combat contre les charlatans de la médecine. « Et je continuerai jusqu’à ce que les gens comprennent. Des enquêteurs poursuivent le travail de terrain. » D’autres cliniques sauvages devraient donc fermer leurs portes dans les prochaines semaines.

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