« Chroniques des années de braise » : La fresque monumentale de l’Algérie pré-révolutionnaire


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Chronique des années de braise
Chronique des années de braise

1975 : le Festival de Cannes découvre, stupéfait, l’œuvre magistrale de Mohammed Lakhdar-Hamina – disparu à Alger le 23 mai 2025, à 95 ans. Pour la première et, à ce jour, unique fois de son histoire, la Palme d’or couronne un film venu du monde arabe. Chronique des années de braise s’impose aussitôt comme une fresque historique d’une ampleur rare, racontant les années qui précèdent la révolution algérienne.

Avec Chroniques des années de braise, Mohammed Lakhdar-Hamina avait éblouit la Croisette avec une oeuvre d’une puissance rare. Le film nous plonge dans le destin d’Ahmed, paysan chassé de ses terres par la sécheresse. À travers son odyssée, qui s’étend de 1939 à 1954, se dessine le portrait d’une Algérie coloniale en pleine mutation. La caméra de Lakhdar-Hamina accompagne son protagoniste des étendues arides du Sud jusqu’aux ruelles grouillantes d’Alger, captant avec une sensibilité poignante la métamorphose d’un homme simple en figure de la résistance.

Mohamed Lakhdar Hamina
Mohamed Lakhdar Hamina

Ce qui frappe dans cette œuvre de 177 minutes, c’est son art d’entrelacer l’intime et l’épique. Les scènes de vie quotidienne, filmées avec un naturalisme saisissant, côtoient des séquences d’une puissance visuelle stupéfiante – les tableaux de famine, notamment, évoquent le réalisme poétique d’Akira Kurosawa. Mais Chronique des années de braise est surtout une méditation profonde sur la dignité humaine et l’éveil d’une conscience politique : Lakhdar-Hamina évite tout manichéisme pour livrer un récit nuancé où la violence naît de l’accumulation des humiliations.

Le film brille particulièrement dans sa représentation des personnages secondaires : le sage qui prédit les soulèvements à venir, le marchand qui collabore avec le système colonial, le militant nationaliste qui éveille les consciences… Chacun incarne une facette de cette société complexe en pleine ébullition, annonçant la tempête historique du 1er novembre 1954.

Le film qui avait éblouit Cannes est toujours aussi puissant 50 ans plus tard. La mise en scène alterne entre de vastes plans larges, qui exaltent la beauté brute des paysages algériens, et des gros plans intimes où se lisent souffrance et détermination. La bande sonore, mêlant percussions traditionnelles et silences pesants, installe une tension sourde qui ne faiblit jamais.

Restauré en 4K sous l’égide du World Cinema Project et projeté à la section Cannes Classics 2025, le film retrouve aujourd’hui l’éclat de ses couleurs de terre cuite et la profondeur de ses clairs-obscurs, dans une version supervisée par le réalisateur lui-même avant sa disparition.

Une braise toujours vive

Près d’un demi-siècle après sa Palme d’or, Chronique des années de braise demeure d’une actualité saisissante : au-delà de son contexte algérien, il raconte l’éveil des peuples et la quête universelle de justice. C’est sans doute là que réside le génie de Lakhdar-Hamina : transformer une page d’histoire nationale en un récit universel sur la dignité humaine.

Aujourd’hui, alors que son auteur n’est plus, cette œuvre monumentale demeure non seulement un pilier du cinéma algérien, mais aussi un témoignage essentiel sur les mécanismes qui conduisent un peuple à se soulever. Elle rappelle que les révolutions ne naissent pas dans un grand fracas soudain, mais se construisent lentement, comme une braise qui couve sous la cendre, attendant son heure pour s’embraser.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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