Chefferie traditionnelle en Afrique : vecteur de bonne gouvernance ?


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Masque zoomorphe

Souvent décriée comme étant d’un autre âge et pour sa discrimination à l’égard des femmes, la chefferie traditionnelle joue toujours un rôle majeur en Afrique. De par sa proximité des populations, les chefs traditionnels ont un fort impact sur la cohésion sociale, notamment à travers la médiation traditionnelle.

Dans son article, Chofor Che, en s’appuyant sur les écrits de plusieurs auteurs et sur le constat de la gouvernance en Afrique, soutient la nécessité de redonner plus de place à la chefferie traditionnelle et de réinventer les institutions en Afrique de manière à intégrer la tradition qui est un socle fécond.

Le leadership traditionnel a été considéré dans de nombreuses communautés africaines comme non démocratique et androcentrique. De nombreux auteurs ont fait valoir que la gouvernance traditionnelle ne tenait pas compte des intérêts des femmes et ne renforçait pas leur implication dans la gouvernance. En dépit de cette idée dominante, le leadership traditionnel peut être intégré avec succès dans l’architecture de gouvernance moderne de l’Afrique. Pourquoi?

Une démocratie décevante en l’état

Le professeur Ayittey affirme que l’Afrique a ses propres spécificités et doit réhabiliter la gouvernance traditionnelle malgré les difficultés, au lieu d’emprunter complètement aux principes et pratiques démocratiques de l’Occident. Le système de gouvernance moderne comporte de nombreuses lacunes quand il est transplanté en Afrique. Les dirigeants africains sont au contraire devenus plus corrompus et dictatoriaux. La plupart de ces dirigeants ont plutôt cherché à s’enrichir, eux et leurs groupes ethniques, au détriment des autres groupes ethniques. Kenyatta du Kenya et Eyadema du Togo en sont quelques exemples. Il n’est pas surprenant que la plupart des conflits sur le continent africain soient provoqués par la discrimination et la marginalisation de groupes ethniques qui ont longtemps été exclus de l’accès aux ressources naturelles et des services publics, par le groupe dominant ou le groupe ethnique du président.

Des auteurs, tels que Mawere et Mayekiso, estiment que les aspects positifs que les autorités traditionnelles jouent dans la construction de la nation, la consolidation de la paix, la gestion des conflits et le développement, peuvent être intégrés avec succès dans les systèmes de gouvernance modernes, en particulier en Afrique. Les autorités traditionnelles sont plus proches des citoyens que les systèmes de gouvernance modernes centralisés.

Le rôle de proximité de la chefferie traditionnelle

Au Zimbabwe, au Ghana, au Botswana et en Afrique du Sud, par exemple, les autorités traditionnelles jouent un rôle important dans l’application des lois coutumières et du Common Law. En Afrique du Sud, la chefferie traditionnelle fait partie du système de gouvernance moderne, et elle est bien ancrée dans la Constitution de 1996 et incorporée dans la législation ultérieure. Au Zimbabwe, les autorités traditionnelles sont sélectionnées par leurs familles par succession et représentées au Sénat. Elles facilitent le développement par le biais de structures telles que les assemblées de village et de quartier. En outre, elles jouent un rôle de soutien et de conseil auprès de divers organismes et ministères, notamment au niveau local, et jouent également un rôle essentiel dans le règlement des différends. Ainsi, au Ghana, le leadership traditionnel est crucial pour la résolution des conflits au sein des communautés et est considéré comme une force essentielle pour faire progresser le développement social de leur peuple et pour servir de gardien des ressources naturelles. Le chercheur Good pense que, dans le cas du Botswana, le leadership traditionnel a été intégré avec succès dans le système de gouvernance moderne du pays. Cette position est corroborée par un autre auteur, Ndlela, qui affirme que dans le cas du Botswana, la gouvernance traditionnelle a joué un rôle déterminant dans la résolution des conflits fonciers. Cependant, malgré leur rôle dans l’architecture de gouvernance des pays susmentionnés, ils sont toujours manipulés par le gouvernement central à des fins politiques.

Pourquoi ne pas renforcer le rôle de la chefferie dans la gouvernance ?

Dans le cas du Cameroun, la gouvernance traditionnelle n’est pas constitutionnalisée de manière adéquate, comme en Afrique du Sud, au Botswana, en Côte d’Ivoire et au Ghana. Leur rôle reste marginal concernant la promotion de la paix et le développement social. Néanmoins, d’importantes réformes sont en cours pour redéfinir le rôle des autorités traditionnelles dans l’architecture de gouvernance moderne du pays. Il est indéniable que les autorités traditionnelles ont un rôle important à jouer dans l’accélération du processus de décentralisation. Une réforme des chefferies traditionnelles est en cours en Afrique et en particulier au Cameroun. Elle devra reposer sur une étude fiable et rigoureuse de ce dossier par les autorités administratives, le ministère de l’Administration territoriale, le Premier ministre et la Présidence de la République. Un recensement effectué en 2018 a déjà permis de recréer 79 chefferies du premier degré, 875 chefferies du deuxième degré et 12 582 chefferies du troisième. Les autorités traditionnelles camerounaises joueront désormais un rôle important dans la supervision des activités socio-économiques et de développement des populations, sous la houlette des autorités administratives.

De manière générale, malgré le rôle joué par les autorités traditionnelles en Afrique, leurs garanties constitutionnelles semblent s’affaiblir, comme dans le cas de l’Afrique du Sud, où elles semblent avoir été érodées par les modifications apportées en 1995 à la loi sur la transition des collectivités locales. Cette dernière prévoit que les autorités ne sont qu’un parmi les quatre groupes d’intérêt, avec les contribuables, les femmes et les ouvriers agricoles. Bien que les institutions traditionnelles soient considérées comme fondamentalement antidémocratiques, si elles sont officiellement reconnues et que leur rôle est défini par l’État, elles peuvent être facilement intégrées au système de gouvernance moderne. Certains auteurs soutiennent que les points de vue des femmes ne sont pas pris en compte en ce qui concerne la gouvernance traditionnelle, mais la tendance a considérablement changé sous la pression des groupes de défense des droits de l’homme. Aujourd’hui, nous voyons des femmes qui sont devenues des chefs traditionnels dans des pays comme l’Afrique du Sud,  le Cameroun et la Côte d’Ivoire.

Somme toute, tous les aspects de la gouvernance traditionnelle ne sont pas considérés comme non démocratiques et androcentriques. Ils peuvent être intégrés à l’architecture de gouvernance démocratique moderne. D’où la nécessité de rompre avec cette vision héritée du contexte colonial dans lequel la chefferie avait été utilisée par les maîtres coloniaux pour diviser et gouverner les peuples colonisés.

Chofor Che, cofondateur du Centre centrafricain pour la pensée et l’action libertaires, Cameroun.

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