
Le 11 octobre 2025, la salle CanalOlympia de Brazzaville a accueilli l’avant-première du dernier film-documentaire Mémoires du CFRAD, réalisé par Hassim Tall Boukambou. L’événement a rassemblé artistes, historiens, membres des institutions culturelles et anciens acteurs de la scène théâtrale congolaise, venus célébrer la renaissance annoncée d’un lieu emblématique : le Centre de formation et de recherche en art dramatique (CFRAD).
Un documentaire pour redonner vie à un lieu mythique
Longtemps laissé à l’abandon, le CFRAD renaît aujourd’hui grâce à un vaste chantier de réhabilitation. Pour Hassim Tall Boukambou, ce film était indispensable : « en tant qu’auteur et réalisateur du film, il était important pour moi de relater l’histoire de ce site culturel dans les différents contextes historiques dans lesquels il a évolué.», confie-t-il. Le documentaire, qui s’étend de 1904 à 2024, retrace les multiples vies de ce site historique : de l’époque où il accueillait le Cercle civil et militaire français, jusqu’à la Conférence de Brazzaville de 1944 dirigée par le général de Gaulle, avant de devenir dans les années 1970-1980 l’un des foyers les plus dynamiques de la créativité congolaise.
Pour mener à bien ce travail de reconstitution, Hassim Tall Boukambou s’est appuyé sur un travail qu’il mène à La Maison des Archives Congo (MAC). Installée en 2021 dans les anciens locaux de la Télévision nationale à Brazzaville, cette structure oeuvre à la sauvegarde du patrimoine audiovisuel congolais. Une partie de cette recherche a été confiée à l’historienne et documentaliste Héloïse Kiriakou, que le réalisateur a croisé lors de son voyage d’études de six mois en République du Congo. Elle a soutenu ensuite une thèse intitulée Brazzaville : laboratoire de la révolution congolaise (1963-1968), sous la direction de Pierre Boilley, à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « Héloïse a effectué un important travail de recherche sur les archives de la période révolutionnaire du Congo », explique Hassim Tall Boukambou.
L’empreinte émotionnelle du peuple congolais

Le documentaire se distingue aussi par son approche sensible, qui laisse une grande place à la parole des acteurs culturels. L’une des forces du film d’Hassim Tall Boukambou est qu’il porte la voix des femmes artistes congolaises, souvent invisibilisées ou effacées des récits politiques, historiques et culturels : « Le théâtre, c’est un engagement. Si tu es peureux, ne fais pas l’art. Et surtout ne viens pas au théâtre ! » rappelle à l’image la comédienne et metteuse en scène Sylvie Dyclo-Pomos. Et l’on entend monter dans l’âme, le battement du tambour, porté par les mains de la percussionniste Makela Wannedvie, qui donne le rythme au documentaire.
La comédienne Georgette Kouatila, dite Mère Geo, a largement contribué au rayonnement international du Ballet national, qui interprétait les différents folklores du pays. « Mes premiers pas au CFRAD, c’était au Ballet national. Nous répétions avec deux chorégraphes russes. Ensuite, ils nous ont emmenés à Moscou, en URSS », raconte-t-elle.
L’empreinte émotionnelle du peuple congolais est au coeur du documentaire, et c’est elle qui touche même ceux qui n’ont pas vécu cette grande époque, comme témoigne Mariusca la slameuse. « Quand je pense au CFRAD, je vois toute l’histoire qui entoure la culture congolaise. Je vois tous ces jeunes, dont moi, qui avais soif d’apprendre auprès de nos aînés. Nous avions tous cet espoir qu’on nous donne, un jour, un petit rôle aussi… ». Cette intensité se retrouve également dans les mots d’Adolphine Milandou : « Être sur scène, c’était la meilleure des choses, parce que c’est ce que j’avais choisi. Quand je suis dans les lamentations et que tu entends le public pleurer avec toi… ». Un écho puissant qui résume à lui seul la place des femmes dans cette mémoire collective, entre transmission des aînés, engagement des artistes et émotion du public partagée.
L’épicentre de la vie culturelle brazzavilloise

Dieudonné Diabatantou, comédien, musicien et co-fondateur de la troupe artistique Ngunga (1979-1981)
Parmi les personnalités ayant témoigné et contribué au film figurent l’historien Rémy Bazenguissa, l’écrivain Maxime N’Débéka et Dieudonné Diabatantou, l’un des acteurs du renouveau culturel des années 1970. Ce dernier a cofondé la troupe artistique congolaise Ngunga. « Avec mon ami musicien Biampandou Mampouya, auteur et compositeur, j’ai fondé la troupe artistique Ngunga, un collectif où nous mêlions textes, chants et musique. Autour de nous se sont rassemblées plusieurs figures du milieu culturel congolais, parmi lesquelles Matondo Kubu Turé, poète et alors éditorialiste de la revue littéraire Kongo Kultur, Jean Batantou de l’association ATV/Quart-Monde Congo, ainsi que le chorégraphe Gilbert Monka et le metteur en scène Massengo Ma Mbongolo », se souvient-il.
La troupe Ngunga se produisait notamment au CFRAD de Brazzaville et participait à la diffusion d’un théâtre social et musical, proche du peuple. Leur première pièce, La vie diminue ici, elle augmente là, rencontra un franc succès. L’oeuvre abordait, avec humour et engagement, les contrastes sociaux et les difficultés du quotidien.
Dieudonné Diabatantou y jouait également de l’harmonica, un instrument qu’il chérissait depuis l’enfance. Composée de jeunes intellectuels et artistes, la troupe s’inscrivait pleinement dans le mouvement de renouveau culturel postrévolutionnaire impulsé sous la présidence de Marien Ngouabi. Ce courant, porté par des créateurs comme Maxime Ndébéka, Franklin Boukaka, Michel Rafa ou encore Sony Labou Tansi, contribuait alors à forger une nouvelle identité artistique et nationale. « Le public, c’était surtout des expatriés français. Et le CFRAD était le lieu de divertissement par excellence du Congo-Brazzaville.» conclut le comédien, aujourd’hui retraité.




