Cemac : les présidents d’Afrique centrale freinent-ils l’intégration régionale ?


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Les dirigeants des six pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique Centrale (Cemac) sont réunis ce lundi à Brazzaville au Congo. Ils veulent relancer les principaux dossiers de l’intégration sous-régionale, la libre circulation des personnes et des biens, la compagnie aérienne sous-régionale ainsi que le rapprochement des bourses de Douala et de Libreville. Cependant, ces sujets qui reviennent à chaque sommet auraient déjà abouti s’ils avaient la volonté de travailler avec efficacité.

Les chefs d’Etats d’Afrique centrale rempilent à Brazzaville. Après leur rencontre de janvier à Bangui en République Centrafricaine, les présidents équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, tchadien Idriss Deby Itno, gabonais Ali Bongo, centrafricain François Bozizé et camerounais Paul Biya ont fait, dimanche, le déplacement de Brazzaville, la capitale de la République du Congo, où ils tiennent ce lundi, avec Denis Sassou Nguesso hôte de la réunion, un sommet spécial de la Cemac. Les six présidents vont plancher sur les modalités de désignation des principaux responsables des institutions communautaires, pour les vingt prochaines années.

Ils vont aussi évoquer l’éventualité de la participation de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), la banque centrale, à l’augmentation en cours du capital de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC) qui s’occupe, elle, du financement des projets créateurs d’emplois et de richesses dans la sous-région.
A ces deux questions inscrites à l’ordre du jour, les chefs d’Etats ajouteront trois autres qui, ces dernières années, reviennent à tous les sommets de la Cemac, et traduisent les atermoiements de l’intégration sous-régionale : la libre circulation des personnes et des biens, le lancement de la compagnie aérienne Air Cemac, et le rapprochement des bourses de Libreville et de Douala.

Déficit d’intégration sous-régionale

Bien qu’indispensable à l’intégration sous-régionale, la libre circulation des personnes et des biens constitue l’une des principales difficultés de la Cemac. Dans son acte constitutif en 1994, cette institution avait fait de sa réalisation une de ses missions essentielles, gage selon elle d’un développement harmonieux des Etats membres. Mais seize ans plus tard, les frontières entre pays restent désespérément fermées, et les citoyens doivent s’acquitter des frais de visa pour se rendre d’un pays à un autre. La mise en place d’un passeport unique (passeport Cemac) piétine.

Ce document de voyage qui devait supprimer les visas pour les ressortissants des pays membres lors de leurs déplacements à l’intérieur de la communauté aurait dû entrer en vigueur il y a trois ans. Mais ce délai n’a pas été respecté. Pour motiver les six Etats de la Cemac à se mettre en conformité avec les nouveaux passeports biométriques, l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) leur a donné jusqu’au 31 avril 2010 pour mettre en circulation les passeports communautaires. En vain. D’un sommet à l’autre, les chefs d’Etats se contentent de renvoyer à plus tard sa date d’entrée en vigueur.

Comme le passeport sous-régional, la compagnie aérienne Air Cemac est devenue un serpent de mer des sommets des présidents. Sans doute à la fin de la rencontre de Brazzaville, ceux-ci annonceront-ils une nouvelle date pour son entrée en service ? Ce ne sera pas la première fois. D’un sommet à l’autre depuis cinq ans, ils annoncent l’imminence du vol inaugural de cette compagnie censée pallier au manque de connexion inter Etat, dans une région où les réseaux routier et ferroviaire sont pratiquement inexistants. Sans pour autant qu’on voit dans le ciel le moindre avion aux couleurs sous-régionales.

Le sommet débattra enfin des problèmes engendrés par l’existence de deux bourses concurrentes dans la sous-région, la Douala stock exchange (DSX) ou bourse des valeurs mobilières de Douala, et la bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC), établie à Libreville. Tous les experts conviennent que la création de ces deux bourses dans un espace aussi petit fut une erreur. D’où la nécessité d’y remédier par une fusion, ou au minimum par un rapprochement entre les deux places financières.

Des présidents qui freinent le développement de la communauté

La persistance de ces trois derniers sujets dans les agendas des sommets de la Cemac traduit le peu de volonté des présidents de travailler efficacement à l’intégration dans la sous-région. Ils sont plus préoccupés par leur prestige de dirigeant que par l’amélioration du sort de leurs concitoyens. « Notre indépendance ne peut souffrir d’ambiguïté du fait de notre union avec nos frères de la sous région, afin de relever les défis économiques et sociaux qui s’imposent à nos populations », a déclaré Paul Biya lors du huitième sommet de la Cemac, qui s’est tenu l’année dernière à Yaoundé.

Dans ce contexte, on comprend que les Etats traînent le pas au moment d’ouvrir leur frontière par le biais d’un passeport communautaire. «La Commission de la CEMAC, qui a pris toutes les dispositions techniques nécessaires à ce sujet, attend encore, malgré plusieurs rappels, la transmission par les Etats membres des spécimens de leurs passeports biométriques afin que leur conformité aux normes communautaires et internationales soient confirmée préalablement à leur émission» relève le journaliste camerounais et spécialiste de la Cemac, Jean Vincent Tchienehom, dans une tribune publiée ce lundi.

C’est pour les mêmes raisons de souveraineté que la compagnie aérienne Air Cemac, en gestation depuis neuf ans tarde à entrer en service. Alors que la « Royal air Maroc » (RAM) offrait d’apporter l’argent et le savoir-faire nécessaire à son démarrage, la plupart des Etats ont finalement renoncé à l’accord de partenariat stratégique conclu avec cette compagnie marocaine, craignant un empiétement sur leur souveraineté nationale.

L’existence de deux places financières dans la Cemac s’inscrit quant à elle dans la guéguerre qui oppose les présidents. Lorsque cinq des six chefs d’Etats de la Communauté décident, au cours d’un sommet à Ndjamena en 2000, d’établir le siège de la future BVMAC à Libreville au lieu de Douala comme le poids économique du Cameroun dans la sous-région l’exigeait, ils veulent avant tout sanctionner Paul Biya, dont ils vivent les absences répétées à leurs rencontres comme une marque de mépris. En réponse, le président camerounais décide de lancer sa propre bourse, la DSX, qui démarre ses activités un an plus tard. Le rapprochement souhaité par le sommet de Brazzaville entre les deux places financières laisse croire que les présidents commencent à comprendre l’inutilité de leurs attitudes égoïstes.

Etendront-ils cette soudaine prise de conscience aux autres maux qui minent l’intégration en zone Cemac ?

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