Ce que le séquençage du génome de la lèpre va changer


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La polychimiothérapie est très efficace pour stopper l’évolution de la lèpre, mais c’est un traitement qui dure pendant plusieurs mois. Que va changer le séquençage du génome du bacille de la lèpre, mené sur une souche indienne entre 1996 et 2001 par l’Institut Pasteur de Paris et le Sanger Centre du Royaume-Uni ? Peut-on espérer un traitement plus court ? Ou même un vaccin ? Réponse avec le Dr Nadine Honoré, ingénieur de recherche à l’Institut Pasteur.

Vaincre la lèpre en puisant dans ce qui fait son essence : ses gènes. C’est l’une des possibilités que pourrait offrir le séquençage d’une souche indienne de la maladie, réalisé entre 1996 et 2001 par l’Unité de génétique moléculaire bactérienne de l’Institut Pasteur de Paris et l’Unité de séquençage de pathogènes du Sanger Centre du Royaume-Uni (Pathogen sequencing unit). Cette découverte laisse espérer des pistes pour un dépistage précoce et un traitement plus court que l’actuelle polychimiothérapie, très efficace, mais qui dure plusieurs mois. Explications du Dr Nadine Honoré, ingénieur de recherche à l’Unité de génétique moléculaire bactérienne de l’Institut Pasteur.

Afrik.com : Quels problèmes avez-vous rencontrés lors du séquençage du génome de la lèpre ?

Dr Nadine Honoré :
La principale difficulté est que la mycobactérie qui cause la lèpre, Mycobacterium leprae (M. leprae), ne peut pas se multiplier au laboratoire en milieu axénique, ce qui a limité nos recherches en général. Néanmoins M. leprae peut se propager dans deux hôtes très différents: la souris et le tatou à neuf bandes. C’est chez ce dernier animal que l’on a réussi à produire une quantité de bacilles suffisante pour permettre le purification d’ADN necessaire au séquençage.

Afrik.com : Qu’est-ce que le séquençage pourrait vous permettre de découvrir sur la maladie ?
_ Dr Nadine Honoré :
Nous essayons de comprendre comment se fait la transmission de la lèpre et pourquoi nous détectons chaque année de nouveaux cas, alors qu’on ne connaît pas de réservoir naturel à part l’homme. Il est généralement admis que ce sont les lépreux atteints de la forme multibacillaire, contagieuse, qui transmettent la maladie. Mais ce n’est qu’une supposition. Nous essayons donc de découvrir les différences entre les différentes souches de la lèpre afin de les distinguer pour suivre leur dissémination. Dans ce but, après avoir séquencé le génome d’une souche indienne, nous séquençons le génome d’une souche brésilienne. Pour l’instant nous n’avons pas trouvé de grandes différences, ce qui confirme que la lèpre serait une maladie clonale, mais nous avons mis en évidence de petites différences au niveau de la séquence qui se révèlent être très informatives.

raoul.jpgAfrik.com : Peut-on espérer un nouveau traitement, plus court que la polychimiothérapie, ou un vaccin ?

Dr Nadine Honoré :
Dans notre Unité, la mise au point d’un nouveau traitement n’est pas une priorité car le traitement actuel est très efficace. La rifampicine (l’un des antibiotiques qui compose, avec la dapsone et la clofazimine, la polychimiothérapie, ndlr) est un antibiotique très actif. C’est un bactéricide qui tue les bactéries très rapidement. D’autres équipes de chercheurs font par ailleurs des études pour réduire la durée du traitement. Mais si le traitement est long et complexe, c’est notamment pour être sûr qu’il n’y aura pas de rechute. Car on peut croire que les bacilles sont tués, mais certains sont en fait persistants et « se cachent » pour peut-être se réactiver plus tard. Pour notre Unité, le plus important actuellement est de diagnostiquer tôt la maladie pour briser la chaîne de transmission et éviter l’apparition des malformations qui surviennent lorsque son stade est trop avancé.

Afrik.com : D’autres antibiotiques sont-ils tout de même testés ?

Dr Nadine Honoré :
Des essais sont en cours sur une autre classe d’antibiotiques. La combinaison s’appelle Rom (Rifampicine-Ofloxacine-Minocycline, ndlr). Ce traitement administré sous forme d’une dose s’adresse uniquement aux malades paucibacillaires (non contagieux, ndlr) qui n’ont qu’une seule lésion apparente. En fait, les industriels ne cherchent pas de nouveaux médicaments contre la lèpre, car le retour sur investissement est trop faible. En effet, ils ne peuvent pas vendre cher des médicaments à des pays pauvres, qui eux-mêmes les donnent gratuitement aux malades.

Afrik.com : Avez-vous de nouvelles pistes pour un diagnostic précoce ?

Dr Nadine Honoré :
Oui, grâce au séquençage, puis à la génomique comparative et à l’analyse informatique, nous avons mis en évidence des protéines spécifiques à M. leprae qui pourraient être utilisées dans un test immunodiagnostic. Nous faisons des essais en laboratoire pour tester leur immunogénicité chez les malades. A terme, cela pourrait nous permettre de mettre ne place un test sérologique ou cutané pour savoir si les gens sont infectés.

Afrik.com : Certains pensent qu’un vaccin contre la lèpre ne sera pas développé parce que la maladie ne concerne qu’à très petite échelle les pays développés. Quel est votre avis ?

Dr Nadine Honoré :
Les pays développés ne sont en effet pas concernés par la lèpre. Je ne peux pas répondre directement à votre question car je ne fais pas partie des industriels et je ne sais pas si oui ou non ils pourraient envisager de développer un vaccin. Pour l’instant, la question ne se pose pas car ce vaccin n’existe pas. Néanmoins, les recherches continuent et les études que nous avons entreprises concernant les tests immunodiagnostics pourraient aboutir aussi à l’élaboration d’un candidat vaccin qui serait évidemment d’une aide importante pour éradiquer la lèpre. Cependant, pour l’instant l’OMS (Organisation mondiale de la santé, ndlr) ne parle pas encore d’éradication de la lèpre mais d’élimination !

Afrik.com : Que vous a appris le séquençage du génome au sujet de la résistance au traitement?

Dr Nadine Honoré :
Le séquençage nous a permis d’étudier les résistances développées aux antibiotiques. Et nous savons quels gènes mutent quand il y a une résistance à la dapsone et à la rifampicine. Actuellement, nous pensons que les problèmes de résistance aux antibiotiques ne mettent pas en péril l’efficacité du traitement contre la lèpre, cependant dans les pays d’endémie il n’y a pas d’étude de grande ampleur pour surveiller ce phénomène en raison du manque de moyens techniques et financiers.

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