Cameroun : « Les droits de l’Homme sont complètement foulés au sol »


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Maximilienne Ngo Mbe
Maximilienne Ngo Mbe

Madame Maximilienne Ngo Mbe, directrice Exécutive du REDHAC (Réseau de Défenseurs des Droits Humains de l’Afrique Centrale), a, en date du 4 mars 2021, convié les hommes et femmes de média, en son siège à Douala, afin de présenter les inquiétudes de l’organisme dont elle a la charge. Afrik.com a recueilli ses propos.

Entretien

Qui est Madame Maximilienne Ngo Mbe ?

Madame Maximilienne Ngo Mbe est une défenseuse des droits de l’Homme et militante. Elle est directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits de l’homme du Cameroun en Afrique Centrale / Réseau de Défenseurs des Droits Humains de l’Afrique Centrale (REDHAC) et, à ce titre, elle a soutenu les organisations de la société civile en Afrique et les militants sur différents mécanismes de défense et de protection des droits de l’Homme. Elle est membre du conseil d’administration du Réseau panafricain des défenseurs des droits de l’Homme, la Coalition pour une Cour africaine pour des droits humains et des peuples efficaces; le Groupe de travail de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) sur la situation des femmes défenseuses, le Groupe d’étude de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples en matière de liberté syndicale et de réunions; la Plateforme pour la réinstallation temporaire des défenseurs à risque mis en place par la Commission européenne; un consultant auprès de l’Union Africaine sur les questions de démocratie, élections, gouvernance et élections Observateur de l’Union Africaine.

Que peut-on retenir de la situation des droits de l’homme dans votre zone de compétence ?

Depuis quelques années, les pays d’Afrique Centrale, notamment la République du Cameroun, la République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo, la République du Tchad, sont au centre d’attaques terroristes et des conflits armés accompagnés d’une impunité indécrottable, le tout saupoudré par la mal-gouvernance et la restriction de l’espace civique. Les bandes armées essaiment et font régner la loi de la jungle.

Nous observons que les armées régulières, qui ont pour vocation de protéger et de sécuriser les populations civiles, sont de plus en plus les violateurs des droits humains et commettent les exactions sur les populations civiles. Et lorsque les soldats sur le terrain, auteurs des atrocités contre les civils, finissent par être démasqués et dénoncés par les organisations de la société civile, les commanditaires du haut commandement, tapis dans l’ombre aux intérêts diverses et diversifiés, préfèrent les sacrifier et continuent en toute impunité à vaquer à leurs occupations, s’ils ne sont pas promus pour « service rendu ». Notons qu’ils sont par ailleurs accompagnés par une certaine presse à gage.

Les coupables de ces exactions sont-ils souvent punis, une fois identifiés ?

Vous observerez que les autorités en Afrique Centrale et particulièrement au Cameroun ont toujours commencé par nier les faits puis de les minimiser et/ou à les accepter à moitié. Le cas de Magdeme et Double, en 2014, les 2 femmes et les bébés à l’Extrême-Nord, en juillet 2018, Pinying 2019, Ngarbuh février 2020, Mautu 2021. En fait, pour le REDHAC, la sortie du gouvernement aujourd’hui face au rapport de Human Rights Watch du 26 février 2021 pour lequel le REDHAC reste solidaire et rentre dans ce que nous avons déjà vécu. Ce n’est qu’une enquête indépendante et impartiale qui devra, comme par le passé, rétablir la vérité.

De l’autre côté vous observerez aussi que de nombreux chefs rebelles sèment la terreur en toute impunité, là aussi ce sont les pauvres exécutants (enfants soldats) qui sont tués et/ou arrêtés. Nous pouvons relever le cas de l’ambassadeur Italien, Luca Attanasia, assassiné en RDC, en RCA M. Bozizé, bien identifié comme meneur du dernier conflit, au Cameroun les chefs traditionnels assassinés, Tumasang, Kumba, Ayafor 2021 etc…

La banalisation de l’impunité, surtout lorsqu’il s’agit des autorités administratives et des forces de sécurité, est plus que préoccupante, vous pouvez vous souvenir : de cette gendarmette qui a tiré à balles réelles et assassiné un jeune étudiant à Bafoussam, mai 2020,  l’assassinat de Lydienne Solange Taba, jeune femme, par le sous-préfet Franck Derlin Eyono Ebanga, le 25 juillet 2020, le jeune Maxime Ngah, grièvement blessé par balles et ensuite enlevé par les forces de sécurité à l’hôpital de Bertoua.

Qu’en est-il de la situation des acteurs de la société civile et autres ?

Notons, pour le déplorer, que les organisations de la société civile, les défenseurs des droits humains en général et en particulier les femmes défenseures, les journalistes et les militants de la démocratie, qui travaillent dans les zones en conflits, payent le lourd tribut. (Les journalistes Henri Engonda et John Isanga en RDC). Les femmes défenseures, femmes (déplacées internes du NOSO), les représailles.

Quel vœu émettez-vous, afin que vous puissiez faire votre travail en toute quiétude ?

Il est temps que les défenseurs soient respectés et que leur travail soit reconnu officiellement d’où l’urgence de l’adoption de la loi portant promotion et protection des droits humains en Afrique Centrale.

Devant ce théâtre de morts nourri par une impunité et la restriction de l’espace civique y compris la diabolisation des défenseures des droits humains, le REDHAC appelle l’Union Africaine, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, les Nations Unies d’urger le Cameroun, le Tchad, la RDC et la RCA, de mettre en place des mécanismes de lutte efficace contre l’impunité surtout en touchant les commanditaires. Face à la recrudescence des violences et de nombreuses exactions et crimes graves des droits humains en particulier au Cameroun, la communauté internationale doit rapidement urger les autorités d’accepter une mission internationale d’établissement des faits afin de situer les responsabilités qui permettront, au lieu d’arrêter les exécutants, que les commanditaires de tout bord soient identifiés et punis. Ceci sera justice pour les civils et servira efficacement à la lutte contre l’impunité.

Que prévoit votre agenda dans un avenir très proche ?

En avril prochain, se réunit la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Les représentants de ces pays en guerre, depuis de longues années, iront, devant les autres, dérouler les catalogues de bonnes intentions. Les autres vont les applaudir. Il est temps que cesse cette hypocrisie. Les organisations de la société civile demandent à cette auguste institution et aux Nations Unies de prendre les sanctions ciblées à l’encontre des commanditaires connus de tout bord.

Le REDHAC attire l’attention des membres de cette auguste assemblée qu’ils ne doivent pas contribuer à faire la politique de l’autruche devant cette impunité et ces menaces et représailles constantes à l’encontre des défenseurs, des journalistes qui ne font que leur travail de promotion, de protection des droits humains.

Le REDHAC réitère son engagement à accompagner la RCA à la mise en œuvre effective de la Commission Vérité Justice et Réconciliation, recommande vivement à l’Etat du Cameroun à s’engager véritablement à la mise en place de cette Commission Vérité Justice et Réconciliation.

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