Cameroun : des accidents de trop


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Le Cameroun est en passe de battre le record d’Afrique en matière d’accidents de circulation. Pas dans l’absolu, mais par rapport au taux de motorisation jugé pourtant encore faible par les spécialistes. Il ne se passe plus de jour sans que des morts de la route soient enregistrés sur différentes routes du triangle national.

Certaines semaines, l’addition se chiffre en dizaines de victimes sans que le spectacle désolant des corps déchiquetés, des vies brisées, des familles désemparées…ne fasse reculer un seul instant la folie meurtrière de certains conducteurs qui ont transformé les principaux axes routiers en cimetières béants. Les mois de juillet, août et septembre 2010 auront été parmi les plus meurtriers de l’année en cours avec plusieurs cas d’accidents graves sur les routes reliant les principales villes. Le retour des vacances et la rentrée scolaire y sont-ils pour quelque chose ? Toujours est-il que la coïncidence est troublante alors que les services en charge de la sécurité routière croyaient avoir fait le plus dur en réactivant les dispositifs d’alerte et d’urgence en pareille circonstances.

Alors que les résultats positifs se font encore attendre, l’imagination populaire, si fertile en formules macabres et autres formes imagées, a vite fait de tourner le drame en dérision. Les Camerounais sont habitués depuis longtemps aux formules du genre : « vallée de la mort » ou « immeuble de la mort ». Désormais, il faudra s’habituer au « triangle de la mort ». Nous sommes pourtant loin des…Bermudes. Au-delà de certains rapprochements de nature superstitieuse ou autre, les drames qui se déroulent sous nos yeux interpellent la conscience collective. Il va de soi que la multiplication des accidents de circulation représente déjà des lourdes pertes sur le double plan humain et économique, sans que l’on ai un début de compréhension sur les profonds mécanismes qui commandent le ballet sanglant des véhicules sur les routes. On peut tout de même observer que les drames se produisent, pour la plupart, sur le fameux « triangle » formé par l’itinéraire Yaoundé-Douala-Bafoussam-Yaoundé. Une espèce de boucle dont les sinistres contours semblent avides de chair sanguinolentes.

Massacre en direct

Alors qu’on croyait pendant longtemps que les accidents étaient l’apanage des petites voitures dont le gabarit n’inspirait pas confiance, ce sont désormais les gros porteurs (camions et bus de 50 à 70 places) qui alimentent désormais la rubrique des faits divers. Même sans faire un décompte exhaustif, on peut constater que tous les collisions de véhicules s’étant produit dans la première quinzaine du mois de septembre 2010 concernaient les camions et les gros bus affectés au transport des personnes. Un camion de sable, un autre chargé de casiers de boissons, une semi-remorque transportant des produits de quincaillerie, un grumier, deux gros bus pleins de passagers ont, chacun participé au massacre en direct, dans l’indifférence presque générale.

Le Cameroun n’a certes pas le monopole des accidents de la route. Selon le Rapport de l’OMS sur la sécurité routière dans le monde en 2009, les accidents de la route qui font 1,2 million de morts en moyenne par an, constituent un important problème de santé publique. Au Cameroun, l’augmentation des accidents de la route est sans commune mesure avec le poids démographique ou l’importance du parc automobile. Chaque année, 1300 personnes en moyenne perdent la vie sur nos routes. Rapporté au taux de mortalité par accident de la route pour 100.000 habitants, le chiffre était de 28,1 % en 2009, soit l’un des plus élevés au monde. Pourtant, le nombre total de véhicules au Cameroun ne dépasse pas les 500.000. Globalement, les pays africains, peu motorisés au demeurant, sont mal lotis en matière de sécurité routière. Curieusement, les routes sont plus sûres dans les grands pays industrialisés. En 2009, le taux des accidents n’a été que de 5 % en Allemagne (55,5 millions de véhicules), 8,8 % au Canada (20 millions de véhicules), 7,5 % en France (40 millions de véhicules), 5,4 % en Grande Bretagne (34,5 millions de véhicules) et 5 % au Japon (91,5 millions de véhicules). Le paradoxe qui veut que la fréquence des accidents dans ces pays soit inversement proportionnelle à l’immensité du parc automobile et à la fréquence des voyages peut trouver un début d’explication au niveau de la discipline au volant et à celui de l’efficacité des services en charge de la sécurité routière. Les radars le long des routes, la ceinture de sécurité, l’alcotest, le permis à point sont autant de dispositifs dissuasifs.

On ne pourrait pas en dire autant sous nos latitudes, malgré l’organisation des campagnes cycliques de prévention routière ou la multiplication des barrières de contrôle. Selon une étude de l’OMS, 70 % de conducteurs camerounais roulent sans ceinture de sécurité, 60 % ne respectent pas la limitation de vitesse et 70 % conduisent en état d’ébriété. Autant de situations alarmantes qui interpellent les différents dispositifs de sécurité qui semble faire plus dans la « négociation » plutôt que dans la dissuasion. L’histoire du car assassin parti, en toute illégalité, de Bafoussam à Bafia et traversant toutes les barrières jusqu’au drame final est édifiant à cet égard. Au-delà de la fatalité trop souvent évoquée, la transformation des routes en mouroir est avant tout le résultat d’une série de mauvais choix et de négligences coupables. Sur le premier point, on observera que la montée de l’insécurité routière a été favorisée par le mauvais état des infrastructures routières. Sur les principaux axes de circulation où circulent en moyenne 5000 à 15.000 véhicules par jour, l’étroitesse et le délabrement partiel de la chaussée rendent périlleux l’excès de vitesse et les tentatives de dépassement. Sur tout l’ensemble du territoire national, il n’existe pas une seule route interurbaine à deux ou plusieurs voies. Prévu depuis des années, certains projets autoroutiers (Yaoundé-Douala, Yaound-Nsimalen…) sont toujours attendues, même s’il faut saluer le démarrage des travaux de la route Garoua-Boulai-Ngaoundéré qui permettre de relier d’un trait le sud du pays au septentrion.

Les propriétaires des agences de voyage et les conducteurs sont encore plus à blâmer. Du chauffeur qui s’abandonne volontiers à l’alcool ou au sommeil jusqu’à l’agent de contrôle qui semble privilégier sa « bière » par rapport à la vie des passagers, en passant par le propriétaire obsédé par l’accroissement des recettes plutôt que par l’entretien du véhicule, les responsabilités sont partagées. Au-delà des discours convenus, la lutte contre l’insécurité routière est d’abord question de civisme et d’éthique morale. Toute tentative de solution devrait prendre en compte ces dimensions essentielles.

Jean Marie Nzekoue, journaliste et Editorialiste camerounais, est auteur de nombreux articles sur papier ou en ligne. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage « Afrique, faux débats et vrais défis », paris chez L’Harmattan, 2008.

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