C’est à Alger et c’est Fellag


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Alger Fellag

Incrédule et résigné, Fellag nous parle en cinq nouvelles décapantes des dernières années de la capitale de l’Algérie. Entre fantastique et réalité, ces textes lumineux nous entraînent dans des époques différentes pour en découvrir les paradoxes et les non-dits.

Avec  » La théorie des Dominos « , datée Bab El Oued 1975, c’est d’abord l’incroyable logique du totalitarisme, l’arbitraire d’une sécurité militaire enlevant et torturant sans avoir à le justifier, pour une photo prise par hasard, pour une rencontre involontaire : Mourad a été montré à la une d’un journal riant de bon coeur avec ses voisins de café. Le propos qui l’a fait rire : une critique humoristique du président Boumediene. Il n’en faut pas plus pour démasquer un séditieux. Et emporté dans la spirale absurde de la répression, Mourad entre les mains de ses tortionnaires en vient à regretter  » d’avoir de la chair autour de son âme « . L’écriture est sans exagération, sans pathos, c’est un scalpel qui détaille l’inacceptable et nous conduit, tranquillement, vers la révolte. Une révolte impossible. Insupportable.

La théorie des dominos

Avec  » Le nègre de midi « , c’est tout autre chose qui nous est offert : une méditation désenchantée sur le temps, la vie et la mort, l’éternité et le transitoire. C’est comme une respiration dans le recueil, soudain l’imaginaire nous permet cette échappée. C’est toujours l’imaginaire qui permet de se reposer de la fatigue de ce monde noir, voilà ce que semble nous dire Fellag. Vous êtes à bout : rêvez. C’est toujours cela… Faire planer l’oiseau de Paradis au-dessus des chars, des hélicoptères et des hordes noires…

Et puis l’on revient aux chars, aux balles, justement : Place des Martyrs, le face à face entre Islamistes et armée. La nouvelle est datée de juin 1991. Elle est tragique et simple comme du Corneille. Cela s’appelle l’intégrisme et cela s’appelle la mort. Nordine, Kamel, deux frères depuis l’enfance, l’adolescence, ils ont tout fait ensemble… et puis la destinée… Ils se trouvent face à face, l’un leader des barbus l’autre soldat dans l’armée. Là, sur cette place des martyrs. Et soudain au moment où il tire, Kamel le soldat reconnaît -trop tard- l’ami qu’il vise. La balle est partie. Un sniper intégriste, non loin de là, venge Nordine dans la minute : Kamel tombe. Dans ce raccourci, cette minute, Fellag glisse toutes leurs vies mêlées. Danse macabre d’une amitié fauchée en pleine jeunesse, pour le profit de manipulateurs, d’un côté des islamistes étrangers, afghans, saoudiens… De l’autre des officiers généraux pragmatiques et glacés, vaguement indifférents au coût humain de leur tactiques…

Place des Martyrs

La quatrième nouvelle,  » Allô !  » est à nouveau une fuite imaginaire. Une femme, dont on découvre peu à peu les qualités, les études, la formation, la personnalité, se retrouve cloîtrée chez elle par des frères islamistes, et bornés. Injustice et absurdité du sort, elle qui aurait dû être leur guide devient leur prisonnière, recluse. Et elle s’enfuit, en pensée, vers un amant dont seule les dernières lignes nous révèlent la véritable identité. De ses monologues nocturnes sur le balcon où elle se réfugie pour l’appeler, Fellag tire une peinture déchirante de la nuit qui tombe sur l’Algérie, aux prises avec les vautours noirs de l’Islamisme.

Et le livre, comme toute l’histoire de ces vingt dernières années algériennes, se termine à New York, après le 11 septembre. Il n’y a pas de leçon, il n’y a pas de thèse : le parcours d’Hocine, d’Alger à New York, où il croyait se réfugier, où il redevient un suspect potentiel, où il est enfin arrêté, comme possible complice de l’horreur qu’il a cherché à fuir en quittant Alger. Paradoxe de ce Maghreb, déchiré par l’Islamisme radical, et plus particulièrement d’une Algérie ensanglantée, et qui maintenant est regardée avec suspicion comme une région potentiellement terroriste par les Etats-Unis ! Fellag noue là dans un destin individuel l’absurdité de notre aventure collective. Sans pesanteur, sans afficher de thèse, simplement en racontant une histoire. Ce n’est pas vraiment drôle, mais c’est lucide, utile. A lire, évidemment, pour comprendre les temps que nous vivons.

Commander le livre : C’est à Alger, Fellag, Editions JC Lattès, 2002

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