Burkina Faso : les récits de témoins confirment que le massacre de Barga a été perpétré par un groupe armé, les « Koglweogo »


Lecture 6 min.
Amnesty
Amnesty

Les survivant·e·s livrent des récits glaçants des attaques du 8 mars, qui ont fait au moins 43 morts. Les « Koglweogo », groupe armé d’autodéfense, sont accusés d’avoir attaqué trois villages et tué des civils. Ce massacre survient dans le contexte d’une nouvelle loi qui autorise le recrutement de « volontaires » à des fins militaires.

Des témoins clés ont indiqué à Amnesty International que les terribles attaques menées le 8 mars dans la province du Yatenga, dans le nord du Burkina Faso, étaient le fait d’un groupe armé d’« autodéfense » qui agit souvent aux côtés de l’armée burkinabè.

Amnesty International s’est entretenue avec sept témoins clés locaux et des victimes ayant survécu aux attaques dans les villages de Dinguila-Peulh, Barga et Ramdolla-Peulh, qui ont clairement déclaré que les « Koglweogo » sont responsables du massacre. Selon ces différents témoignages, ils ont ouvert le feu et tué sans discrimination les villageois, incendié des habitations et des biens. Au moins 43 personnes, dont un homme aveugle âgé de 90 ans, ont trouvé la mort.

Ces attaques se sont déroulées dans le contexte de la promulgation par le gouvernement de la Loi sur les volontaires pour la défense de la patrie, qui vise à intensifier la lutte contre la flambée de violences et d’attaques imputables aux groupes armés à travers le Burkina Faso. Cette loi permet de mobiliser des volontaires au niveau local pour renforcer les opérations militaires du gouvernement.

« Nous nous sommes entretenus avec des habitants de ces trois villages qui nous ont raconté les terribles événements dont ils ont été témoins le 8 mars. Ils ont vu des assaillants arriver à moto, armés de fusils de chasse, et tirer à l’aveugle avant d’incendier les habitations. La plupart de ces villageois se sont réfugiés à Ouahigouya, la capitale de la province, au lendemain de ces atteintes à leurs vies et à leurs biens », a déclaré Ousmane Diallo, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

« Nous condamnons les attaques menées contre ces populations, ainsi que les attaques précédentes et les exactions commises par les groupes armés. Les autorités doivent enquêter sur ces événements, traduire les auteurs présumés en justice et se mobiliser davantage pour protéger la vie des populations. »

Les « Koglweogo », identifiés comme étant responsables de ces attaques

Le 8 mars, au petit matin, le village de Dinguila-Peulh a été attaqué par une colonne d’hommes armés, circulant à moto et armés de fusils. Les assaillants ont ensuite poursuivi leur route vers les villages de Barga et de Ramdolla-Peulh.

Au moins 43 personnes ont été tuées dans ces trois villages, d’après un communiqué du gouvernement, qui a affirmé que les assaillants étaient des « hommes armés non identifiés ».

Cependant, les victimes avec lesquelles Amnesty International s’est entretenue ont clairement identifié les « Koglweogo » comme étant responsables des attaques.

Un témoin à Dinguila-Peulh a déclaré à Amnesty International :

« Les  » Koglweogo  » sont entrés dans le village au petit matin du 8 mars, vers 5h30, et ont ouvert le feu, tuant environ 24 villageois, dont deux personnes âgées. Ils ont dépouillé certains morts de leur argent, ont pris sept motos et en ont brûlé six autres. Ils ont poursuivi ensuite vers Barga, où ils ont continué de semer la mort, puis vers Ramdolla-Peulh, où ils ont incendié des habitations. Les forces de sécurité sont arrivées dans l’après-midi à Dinguila-Peulh. Le lendemain, deux ministres se sont rendus dans le village et nous avons pu enterrer nos morts. »

Un survivant de Barga a raconté le déroulement des événements, au cours desquels son fils a été grièvement blessé :

« Très tôt dans la matinée du 8 mars, nous avons entendu des coups de feu qui venaient du nord-est… et les gens ont commencé à paniquer. Les  » Koglweogo  » sont arrivés à moto et ont ouvert le feu sur tous les hommes. J’ai dit à mes deux fils de guider notre troupeau et de fuir. J’étais sur ma moto et j’ai vu tout à coup un  » Koglweogo « , juste devant le troupeau. Il a parlé à mon fils aîné, a pointé son arme sur lui et lui a tiré dessus. Mon fils s’est effondré sur place et l’homme a poursuivi son chemin. »

La balle a fracassé la mâchoire du jeune garçon, et cette blessure l’a rendu incapable de parler depuis.

D’autres victimes ont raconté que les « Koglweogo » ont incendié les maisons, les greniers, les charrettes et les motos, contraignant la majorité des villageois à fuir vers Ouahigouya.

La Loi sur les volontaires pour la défense de la patrie

La Loi sur les volontaires pour la défense de la patrie est une nouvelle loi, promulguée en janvier 2020 dans un climat de polarisation ethnique dans les régions du Nord, du Sahel et du Centre-Nord au Burkina Faso, et de prolifération des groupes armés non étatiques comme Ansaroul Islam, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS).

En vertu de cette loi, les volontaires sont recrutés au niveau de leur village ou de leur lieu de résidence sur la base du volontariat, avec l’aval du comité de développement du village ou du conseil municipal. Une fois sélectionnés, ils sont censés suivre une formation de deux semaines, puis être déployés sous autorité militaire pendant une période d’un an renouvelable.

En principe, les volontaires doivent agir uniquement dans leur secteur de résidence et se placer sous l’autorité de l’armée. Dans la pratique, des membres des « Koglweogo » recrutés par les autorités mènent des activités en dehors de leur secteur, et certains sont soupçonnés d’avoir commis des atteintes aux droits humains.

« Les autorités doivent garantir la protection des droits humains en s’abstenant de recruter comme volontaires des membres de groupes d’autodéfense tels que les  » Koglweogo « , qui montrent peu de respect à l’égard de la valeur de la vie humaine. Elles ne peuvent pas miser sur le fait de sous-traiter la réponse apportée à l’insécurité à des groupes armés qui bafouent régulièrement les droits humains », a déclaré Ousmane Diallo.

Des violences généralisées imputables aux groupes armés non étatiques

Au Burkina Faso, les violences imputables aux groupes armés non étatiques ont causé la mort de 1 295 personnes en 2019, selon l’ONG Armed Conflict Location Event Database (Base de données sur le lieu et le déroulement des conflits armés, ACLED), soit une hausse de 650 % par rapport aux 173 décès enregistrés en 2018.

Une enquête a déjà été ouverte à la suite du massacre de Yirgou le 1er janvier 2019, qui a causé la mort de 49 personnes selon des sources officielles et de près de 210 selon des organisations de la société civile. Le 23 décembre 2019, El Hadj Boureima Nadbanka, leader « Koglweogo », a été arrêté en lien avec ce massacre. Il a été remis en liberté provisoire le 4 février 2020.

« Les civils paient un lourd tribut aux violences qui secouent le Burkina Faso. Il faut briser le cycle de l’impunité en menant des enquêtes approfondies sur ces événements et en poursuivant les responsables présumés devant des tribunaux nationaux, a déclaré Ousmane Diallo.

« Il est crucial que les procédures judiciaires se poursuivent sans entrave concernant les attaques du 8 mars, mais aussi les précédentes, telles que le massacre de Yirgou. »

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News