Briser le silence autour de la traite négrière


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La Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition, le 23 août, est célébrée cette année sous une nouvelle lumière. La reconnaissance internationale, en 2001, du commerce transatlantique d’esclaves comme crime contre l’humanité a ouvert une brèche dans le mur du silence qui a longtemps entouré la plus grande déportation de l’Histoire. La pédagogie contre l’oubli.

L’heure est aux réparations historiques et morales. Dès la prochaine rentrée scolaire, une centaine d’écoles d’Afrique, d’Europe, des Amériques et des Caraïbes testeront un nouveau programme d’étude, dans le cadre du projet  » Briser le silence « , lancé par l’Unesco en 1998.  » La traite négrière représente le plus important déplacement forcé de population de tous les temps, dit Elizabeth Khawajkie, coordinatrice internationale du Réseau des écoles associées de l’Unesco, qui rassemble quelques 7 000 écoles dans 171 pays. Pourtant, ce chapitre de l’histoire est en grande partie resté dans l’ombre, notamment dans les manuels scolaires « .

En sensibilisant les jeunes à la question de la traite négrière, le projet  » Briser le silence  » s’est donné pour objectif de combler cette lacune. Partie intégrante de  » La Route de l’esclave « , lancé par l’Unesco en 1994, il participe à la vulgarisation des connaissances sur la traite négrière, en ciblant l’enseignement secondaire.

Enseigner pour ne pas oublier

A long terme,  » Briser le silence  » vise à inscrire dans les programmes scolaires du monde entier  » la plus gigantesque tragédie de l’histoire humaine par l’ampleur et la durée « , selon la formule de l’historien français Michel Deveau. Dans sa première phase, un réseau triangulaire, le  » réSEAU sur la traite transatlantique « , a été créé, reliant une centaine d’écoles des trois continents concernés.

Les écoles du réSEAU testeront à la rentrée prochaine un nouveau programme éducatif sous forme d’une trilogie : Voix d’esclaves, Voyages d’esclaves et Visions d’esclaves. Les deux premiers volumes, en anglais, français et espagnol, sont déjà disponibles dans les écoles, le troisième est actuellement en cours de préparation.  » C’est un formidable outil de travail, explique Doudou Gaye, professeur d’Histoire à Dakar (Sénégal). La traite négrière, qui passionne nos élèves, a toujours été présente dans nos programmes scolaires mais nous n’avions pas suffisamment de documents nous permettant d’enrichir notre enseignement.  »

Voix d’esclaves

Voix d’esclaves, une compilation de témoignages bouleversants, permettra aux enseignants de sortir des sentiers battus de la pédagogie, en transmettant aux élèves l’expérience de la traite, telle qu’elle a été vécue par les esclaves. Outre un grand nombre de textes fondateurs de l’abolition et de poèmes appelant à la rébellion, ce document de 80 pages relate plus de vingt histoires de vies exceptionnelles : le prince Zamba du Congo qui, après avoir fait fortune en vendant des esclaves s’est lui-même trouvé en captivité ; Marie Prince, la première Noire à avoir échappé à l’esclavage dans les Antilles britanniques et à avoir publié une autobiographie ; le célèbre chef de révolte Boukman, précurseur de la révolution haïtienne ; Phillis Wheatley, première esclave poétesse à publier un recueil de poèmes aux Etats-Unis ; Nat Turner, le dirigeant de la plus célèbre révolte d’esclaves aux Etats-Unis, le 21 août 1831 ; Toussaint L’Ouverture, le leader de l’insurrection du 23 août 1791 à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti et République dominicaine).

Voyages d’esclaves

Le deuxième document, Voyage d’esclaves, décline les causes, les modalités et les conséquences de la traite négrière. Il comprend deux chronologies (développement de la traite et processus de son abolition), un grand nombre de tableaux (quantités d’esclaves déportés par région et par période, pertes et profits par cargaison, mortalité, prix des esclaves…) et de conseils pédagogiques (concepts à développer, méthodes d’enseignement, activités scolaires…), ainsi qu’une importante bibliographie.

En se fondant sur une abondante littérature et en juxtaposant des arguments souvent contradictoires, il permet aux élèves de distinguer l’esclavage non racial, qui a existé depuis l’antiquité, de l’esclavage des Noirs, qui a abouti à la chosification de dizaines de millions d’êtres humains. Si le Code anglais définissait les Africains comme de  » vulgaires païens  » aux  » instincts naturellement mauvais « ,  » totalement inaptes à être régis par la loi, les us et les coutumes  » de la  » Nation anglaise « , le Code français précisait  » la quantité de vivres et de vêtements qu’un esclave était autorisé à posséder  » et, bien qu’excluant l’usage de la torture, l’article 42 autorisait les maîtres à  » enchaîner leurs esclaves ou à les fouetter « .

D’une manière succincte et didactique, sur quelques 150 pages, Voyage d’esclaves rend accessibles aux jeunes les multiples aspects de la traite, devenue à la fin du 18e siècle la plus grande entreprise commerciale du monde atlantique. Une entreprise à gros risques, vu le caractère  » facilement périssable  » de la marchandise humaine, stockée dans  » les tombes flottantes « , dont 10% n’a jamais atteint les rives du Nouveau monde. Les descendants des survivants sont aujourd’hui au nombre de 100 millions. Malgré l’émancipation,  » ils demeurent économiquement marginalisés et discriminés dans beaucoup de régions d’Amérique et d’Europe « . En précisant que les séquelles de la traite négrière, dont le racisme, sont encore loin d’être effacées, Voyages d’esclaves consacre deux chapitres importants à ses impacts sur l’Afrique et le monde occidental.

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