: Boubous nouvelle génération pour un stylisme équitable


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S’habiller branché et traditionnel en contribuant au commerce sur le continent africain. C’est le concept proposé par le styliste français d’origine tchadienne, Gangndo N’Guinabe, à travers sa ligne de streetwear « Gambay Corp ». Le jeune homme confectionne exclusivement ses produits à Dakar, au Sénégal, en suivant les règles du commerce équitable.

« Gambay », c’est à dire « retour aux sources », au Tchad. C’est sous ce nom que le jeune styliste Gangndo N’Guinabe a décidé, voilà quelques mois, de lancer sa marque de vêtements. Du Streetwear made in Sénégal. Le jeune Français d’origine tchadienne a assisté, en France, au déferlement du streetwear américain, français, puis à l’appropriation du vêtement par les jeunes des banlieues pour revendiquer leur département d’origine… L’étape suivante logique de l’évolution de cette mode urbaine est pour lui le retour aux sources, aux racines : l’Afrique. Il a ainsi dessiné des vêtements tendance, marqués d’une solide influence africaine. Un concept ancré dans un combat et des valeurs éthiques. Il prône un commerce équitable grâce auquel il contribue au développement du continent en employant uniquement des couturiers de Dakar. Couturiers dont le travail et en particulier les broderies en séduiront plus d’un.

Afrik : Comment définiriez-vous votre ligne ?

Gangndo N’Guinabe : L’idée est de métisser les tissus, comme le velours, ou le « peau de pêche », utilisés dans le streetwear français ou américain – dont j’ai également gardé l’esprit dans les coupes – et de rajouter des broderies africaines. Afin de toucher tout un public qui ne s’intéresse pas forcément à l’Afrique.

Afrik : Ce qui est intéressant est que vos produits sont faits en Afrique, à Dakar, au Sénégal…

Gangndo N’Guinabe : Cela fait parti du concept. Le but est de créer une économie saine en Afrique. Je fais travailler tous les couturiers à Dakar. Je ramène des tissus qu’on a pas l’habitude de travailler en Afrique et les couturiers s’occupent de toute la confection. Ensuite, je repars avec le produit fini pour le commercialiser à Paris.

Afrik : Combien de personnes faites-vous travailler ?

Gangndo N’Guinabe : Trente couturiers ont travaillé sur la première série de 150 vêtements pendant plus d’une semaine. L’intérêt étant de les faire travailler en continu – et en plus grand nombre si possible – et pas seulement de façon ponctuelle.

Afrik : Vous avez tout de même négocié les coûts… ?

Gangndo N’Guinabe : Je n’ai pas négocié le coût au rabais. J’ai utilisé les règles du commerce équitable. Les trente couturiers avaient le sourire quand je suis parti car ils ont eu l’argent qu’ils méritaient. On a trop dénigré l’art et le savoir-faire africain et cela me désole. C’est pourquoi j’estime que le coût de confection et de vente de mes produits sont justifiés, car toutes les broderies sont cousues main. Je préfère cela plutôt que d’exploiter la main d’œuvre pour vendre des produits peu chers.

Afrik : Comment êtes-vous devenu styliste ?

Gangndo N’Guinabe : Je cherchais depuis un moment un commerce qui pourrait apporter quelque chose à l’Afrique. J’ai cette idée depuis 4 ans. A la base, je voulais ouvrir un magasin et vendre des produits africains. Mais cela a déjà été fait. Alors j’ai pensé à quelque chose de plus original. Et j’ai choisi la mode. Parce qu’on peut vraiment se singulariser et trouver sa place sur le marché.

Afrik : Quel est votre lien avec le milieu de la mode ?

Gangndo N’Guinabe : Il est familial. Mon cousin a lancé une marque de vêtements qui se nomme « Bens ». Il m’a inspiré. Il avait des contacts, et je savais que j’avais autour de moi des gens capables de m’aider pour la confection et pour la promotion de mes créations. Pour moi, la mode est avant tout un moyen de communication. En ce qui concerne l’esthétique, j’observe les gens dans la rue, l’évolution de la tendance. Avant, on ne trouvait que les marques de streetwear américaines, puis sont arrivées quelques marques françaises, et on a assisté à des revendications de jeunes gens dans leurs banlieues avec des sweats « 93 », « 95 » (numéro de départements, ndlr) … On revendique donc aujourd’hui son lieu d’habitation plutôt que l’attrait pour les Etats-Unis. Je pense qu’il est maintenant possible de descendre en Afrique, pour un retour aux sources.

Afrik : A qui s’adressent vos produits ?

Gangndo N’Guinabe : A tous les gens de 5 à 75 ans, je l’espère. Mais plus particulièrement aux jeunes Africains qui sont un peu déracinés, qui s’intéressent aux stars américaines et dénigrent un peu l’Afrique. Le but est de leur proposer des vêtements qui peuvent largement concurrencer les produits américains au niveau esthétique, pour qu’ils puissent être fiers de porter des produits d’Afrique. Pour que les jeunes gens nés comme moi en France, de parents africains, se tournent plus vers leur continent d’origine.

Afrik : D’où vous vient cet attachement si fort pour l’Afrique, vous qui êtes né et qui avez grandi en France ?

Gangndo N’Guinabe : J’ai longtemps eu un problème d’identité… Je n’ai pas grandi à Paris, mais en province, à Rennes, où j’étais l’un des seuls Noirs de la ville. On me faisait constamment des réflexions sur ma couleur, on me disait de rentrer chez moi. Il y avait un important écart de culture entre la maison, où c’était vraiment l’Afrique, et l’extérieur. Lorsque j’étais jeune, j’ai vécu cela comme une frustration. Et quand j’ai pu m’affirmer, j’ai mis en avant le côté africain que j’avais en moi.

Afrik : Pourquoi avoir choisi Dakar et pas N’djamena pour la confection de vos modéles ?

Gangndo N’Guinabe : Car il y avait un grand travail à faire à Ndjamena. Dakar a déjà une économie en place, une habitude du commerce international. Les gens connaissent un peu la France et ne sont pas impressionnés par des projets qui on un peu d’envergure. J’attends d’avoir les reins assez solides pour aller travailler à N’djamena. D’autre part, quand je traite avec les Sénégalais, je n’ai pas de problème affectif que je pourrais rencontrer au Tchad et je peux me concentrer totalement sur le côté professionnel.

Afrik : Comment ont réagi les premières personnes qui ont vu vos produits ?

Gangndo N’Guinabe : Elles ont été agréablement surprises de voir que j’apportais quelque chose de nouveau dans l’univers de la mode urbaine. Car quand j’ai annoncé que j’allais lancer une nouvelle marque de streetwear, on s’est dit « Il a juste du marquer son nom sur un pull… ». Je crois que c’est la première ligne de vêtements du genre faite en Afrique. Je pense que le produit à sa place sur le marché. J’ai commencé par les points de vente hip-hop… et ils ne savent pas trop où le placer. Ils sont obligés de lui faire un coin, car il n’y a pas vraiment de produits identiques proposés.

Afrik : De combien de modèles disposez-vous ?

Gangndo N’Guinabe : Pour l’instant, il en existe quatre sur le marché. Cinq nouveaux modèles, des ensembles, sortiront à la rentrée de septembre pour la nouvelle collection, dont des modèles pour femmes.

Afrik : Les boubous modernes que vous confectionnez coûtent 80 euros, ce qui est considéré trop cher dans les magasins…

Gangndo N’Guinabe : Il est vrai que les boubous nouvelle génération sont considérés comme un peu cher. Mais je n’ai pas encore communiqué sur le produit, sur le fait qu’il est confectionné en Afrique, qu’il est cousu main, et que ceux qui y travaillent sont payés convenablement…

Afrik : Avez-vous des objectifs en matière de quantité ?

Gangndo N’Guinabe : Pour l’instant, je ne recherche pas forcément la quantité. Je recherche surtout la « qualité » du public visé. Je compte vite sortir de Paris et proposer le produit à Londres. L’objectif étant de toucher un public intéressé par le concept, par des produits qui profitent vraiment aux Africains.

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