Bénin : une élection présidentielle sous tension


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Le premier tour de l’élection présidentielle, repoussé d’une semaine vendredi, devrait se tenir le 13 mars. Un report qui doit permettre aux « exclus » de la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI) de pouvoir voter. En lice : le président sortant, Boni Yayi, souhaite que le peuple lui accorde de nouveau sa confiance. Face à lui, ses deux principaux challengers, l’économiste Abdoulaye Bio Tchané et l’avocat Adrien Houngbédji, entendent bien ravir son fauteuil. La tension est palpable dans le pays tant les Béninois sont peu habitués à des troubles liés à leurs scrutins.

Nouveau report. Pour la deuxième fois, le Bénin a repoussé le premier tour du scrutin présidentiel, initialement prévu pour le 27 février, pour le fixer au dimanche 13 mars. Pour ce faire, l’Assemblée nationale a voté, vendredi, une loi accordant un délai supplémentaire aux responsables du système électoral. Onze candidats qui réclamaient un report de « quelques semaines » obtiennent gain de cause. Selon ceux-là, il manquerait environ 1,6 millions d’électeurs sur la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI). De plus, il est apparu que tous les inscrits n’avaient pas encore reçu leurs cartes d’électeurs. Déjà, jeudi dernier, après l’opposition, les syndicats et les organisations de la société civile, l’Union Européenne, l’Union Africaine et la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont exprimées en faveur d’un report du scrutin. De son côté, le président sortant Thomas Boni Yayi qui, jusque-là mettait en avant le respect de la constitution pour s’opposer au report, a signé le décret promulguant la loi du Parlement. Le locataire de la Marina a toutefois insisté pour que « le délai constitutionnel qui traduit la fin de son mandat soit rigoureusement respecté ». En effet, la Constitution exige que le nouveau président prête serment avant la fin du mandat de son prédécesseur. Soit le 6 avril prochain. La campagne électorale – qui devait prendre fin vendredi dernier – est également prolongée d’une semaine. Si le vote est repoussé, pour permettre que toutes les imperfections soient corrigées, les treize candidats, eux, semblent fin prêts.

Les candidats en lice

Le président sortant souhaite que le pays lui accorde de nouveau sa confiance. En 2006, l’économiste avait été élu avec plus de 74% des voix au second tour, faisant une campagne marquée par son désir de lutter contre la corruption. Depuis, il évolue au sein d’un regroupement formé d’un nombre importants de petites formations politiques qui lui servent de relais sur le terrain. Mais depuis plusieurs années, un certain nombre de reproches ont entaché son mandat : absence du miracle économique, hausse de la corruption, attaque des libertés syndicales et d’expression. Et les affaires se sont multipliées. La plus retentissante d’entre elles: celle de la micro-finance ICC-Services entachée par un gros scandale financier qui impliquerait Boni Yayi lui-même. Suite à cela, une fronde à l’Assemblée nationale avait même demandé la tête de l’ancien directeur de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD). « On n’a jamais vu un président avoir autant de difficultés relationnelles avec l’Assemblée nationale », avait alors souligné Pascal Todjinou, secrétaire général de la Confédération Générale des Travailleurs du Bénin. Pourtant, ces derniers mois, le « docteur du changement » a su rallier à lui quelques supporters de poids. Le locataire de la Marina s’est même vu offrir un rôle important sur le plan international, jouant l’émissaire de l’Union Africaine auprès de Laurent Gbagbo dans la crise ivoirienne. Une médiation qui a été un échec. De plus, le président sortant devra se méfier de la « culture du rejet » qu’évoque Maître Joseph Djogbenou, avocat au barreau de Cotonou. « Au Bénin, on ne choisit pas un président, on en chasse un autre. » Face à lui, ses deux principaux challengers sont tout aussi déterminés que lui.

Vieux routard de la politique béninoise, Adrien Houngbédji reste très motivé, malgré plusieurs tentatives malchanceuses. Agé de 69 ans – l’âge limite pour briguer la magistrature est fixé à 70 ans – le sudiste est le candidat de l’opposition sous la bannière de l’Union fait la nation (UN). Elle réunit quatre partis de leaders politiques importants tels que Léhady Soglo, le fils de l’ancien président Nicéphore Soglo. C’est un exploit de taille lorsqu’on se rappelle qu’il y a un peu plus d’un an, la plupart des acteurs politiques ne leur donnait pas six mois pour se séparer. Il faut dire qu’au sein de sa coalition, des poids lourds ont enfin réussi à se mettre d’accord. De plus, en Afrique, c’est peut-être l’une des premières fois qu’une frange importante de l’opposition réussit à s’entendre pour dégager un candidat unique. Seulement, leurs détracteurs leur reproche leur acharnement envers Yayi. « Quelles propositions font-ils au-delà de l’attaque systématique du bilan du chef de l’état ? » affirme le professeur Roger Gbégnonvi, ancien ministre sous Yayi et proche d’Abdoulaye Bio Tchané. Mais de par son expérience, l’avocat de formation possède un solide appareil qui quadrille le terrain. Une équipe qui peut faire la différence face aux nouveaux venus.

Abdoulaye Bio Tchané, 59 ans, est l’un d’eux. ABT « seule alternative crédible », selon sa propre expression, a des chances de grappiller des voix à Yayi au nord, région dont il est originaire – tout comme le président sortant. Le tout dernier directeur de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) a un Curriculum Vitae long comme le bras. Vice-gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) de 1992 à 1996, ancien ministre des Finances sous Mathieu Kérékou, ancien directeur Afrique du FMI jusqu’en 2007. Avant de devenir le patron de la BOAD située au Togo, pays voisin depuis lequel il n’a cessé de se préparer pour ces élections. Quelques mois avant l’annonce officielle de sa candidature, début janvier, il a multiplié les interviews, lui le Béninois d’habitude discret. Il a aussi su s’appuyer sur les réseaux sociaux tels que Facebook où il possède une page très active. L’un des quatorze candidats en lice, Antoine Dayori, 2ème vice-président de l’Assemblée nationale du Bénin et ancien ministre de la Culture sous Kérékou, ne s’y est pas trompé. Le juriste de 59 ans, militant politique depuis l’université, vient de se désister en faveur d’ABT. Mais l’homme nouveau manque encore de réseaux dans un pays où « les amis » peuvent sérieusement faire pencher la balance. Confiant, ABT a rendez-vous avec l’histoire. Tout comme Houngbédji. D’ailleurs, tout deux demandaient le report du scrutin, comme la plupart des autres candidats.

Outre ces deux outsiders, d’autres personnes ont posé leur candidature pour accéder au fauteuil de la Marina : Marie-Elise Gbédo, avocate, Issa Salifou, député à l’Assemblée nationale, Cyr Kouagou, Kesilé Tchaila, ancien ministre de la Santé de Yayi, Christian-Enock Lagnidé, opérateur économique, Jean Yves Sinzogan, économiste, Salomon Joseph Biokou, Victor Prudent Topanou, ancien ministre de Yayi, Joachim Dahissiho, député et Janvier Yahouédéou, député.

La LEPI source de tensions

Depuis la proclamation de la LEPI, qui indique 3 520 576 électeurs pour ces échéances, de nombreuses tensions ont éclaté du fait que beaucoup de Béninois n’y ont pas retrouvé leurs noms. Ces jours-ci, plusieurs manifestations de plusieurs centaines de personnes éclatent à Cotonou, première ville et capitale économique du pays, pour réclamer le report du vote pour permettre des ajustements de la liste. Une première dans un pays habitué à ce que les élections se déroulent sans heurt. Depuis, la LEPI, tout le monde en parle. Celle-ci a été instituée suite aux nombreuses réclamations des partis politiques en faveur d’un outil plus moderne et plus fiable. Jusque-là, le pays fonctionnait avec une liste électorale manuelle. Une tension qui s’est d’ailleurs traduite dans les agissements de la population. Un communiqué émanant du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique a fait état, lundi dernier, de lacérations d’affiches et d’attaques des cortèges de candidats durant la campagne électorale, débutée le 18 février. A la télévision, des artistes viennent même chanter l’apaisement et la paix. Du jamais vu au Bénin, réputé pays non violent, démocratique et habitué à ce que les successions présidentielles se passent dans le strict respect de leur loi Fondamentale depuis la Conférence nationale de 1990.

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