Bénin, proposition de loi d’amnistie pour Reckya Madougou, Joël Aïvo… L’opposition relance le débat au Parlement


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Siège du Parlement béninois à Porto-Novo
Siège du Parlement béninois à Porto-Novo

Au Bénin, l’opposition parlementaire tente de remettre sur la table une proposition de loi controversée portant amnistie pour plusieurs figures politiques incarcérées, dont Reckya Madougou et Joël Aïvo.

En séance plénière, le 11 juin 2025, le président du groupe parlementaire « Les Démocrates », Nourénou Atchadé, a solennellement appelé ses collègues à « dépoussiérer » le texte afin de le retravailler et de l’adopter, au nom de l’apaisement national.

Un plaidoyer pour la réouverture d’un dossier sensible

Face à une Assemblée nationale restée inerte pendant plus d’un mois, l’opposition béninoise a décidé de sortir de son silence. Mercredi 11 juin, à l’ouverture d’une nouvelle session parlementaire, Nourénou Atchadé a profité de la tribune pour relancer la proposition de loi spéciale d’amnistie introduite par les députés de « Les Démocrates », principal groupe parlementaire d’opposition.

« Nous sommes restés inactifs pendant près de 46 jours (…) Je me rappelle que nous avons un grand et bon dossier qui dort dans vos tiroirs : la loi d’amnistie », a-t-il déclaré, interpellant directement le président de l’Assemblée, Louis Vlavonou. Selon lui, cette loi permettrait non seulement de réconcilier les Béninois, mais aussi de créer un climat apaisé à l’approche de la fin du deuxième et dernier mandat du Président Patrice Talon.

Une tentative de décrispation nationale…

Le texte en question vise à amnistier ou faire abandonner les poursuites à l’encontre de personnalités politiques incarcérées ou en exil pour des faits qualifiés de criminels. Parmi les principaux bénéficiaires potentiels : Reckya Madougou, ancienne garde des Sceaux et candidate recalée à la Présidentielle de 2021, condamnée à 20 ans de prison pour « financement du terrorisme », et Joël Aïvo, universitaire et opposant, condamné à 10 ans pour « complot contre la sûreté de l’État et blanchiment de capitaux ».

Selon le député Nourénou Atchadé, cette mesure d’amnistie aurait une portée symbolique forte, en contribuant à refermer les plaies des dernières années, marquées par une forte répression des voix dissidentes et un verrouillage progressif de l’espace politique. Elle représenterait aussi, à ses yeux, une façon d’« aider » le Président Talon à sortir par la grande porte, en répondant à son vœu affiché de quitter le pouvoir dans la sérénité et le respect, et surtout d’être porté en triomphe à la fin de son mandat.

… mais une initiative encore loin du consensus

Pourtant, la route est semée d’embûches. Déjà rejetée en janvier 2024 par la commission des lois, la proposition d’amnistie divise profondément les parlementaires. Les députés de la majorité présidentielle, qui dominent l’Assemblée, continuent de s’opposer farouchement à toute initiative perçue comme une remise en cause de la justice ou une tentative de réhabilitation de figures qu’ils considèrent comme dangereuses pour la stabilité nationale.

La crainte exprimée dans les rangs de la majorité est claire : céder à cette demande, ce serait légitimer des actes graves tels que la tentative de déstabilisation de l’État ou la complicité avec des groupes violents, des accusations portées notamment contre Madougou et Aïvo.

Une relance stratégique de l’opposition

Malgré ce premier échec, les députés de l’opposition ne désarment pas. En appelant à « travailler ensemble » le texte, Nourénou Atchadé mise sur une stratégie d’ouverture et de consensus, espérant fédérer au-delà des lignes partisanes. « Allons chercher cette loi pour la travailler ensemble dans l’entièreté des députés toutes tendances confondues et on va la voter », a-t-il martelé, avant d’ajouter : « Vous verrez que toute la République va vous saluer ».

Cette démarche s’inscrit également dans un contexte politique plus large, alors que les grandes manœuvres commencent en vue de l’après-Talon. Le chef de l’État, engagé dans son dernier mandat, sera certainement amené à poser des actes forts pour préparer sa sortie. L’adoption d’une loi d’amnistie pourrait dès lors être perçue comme un acte de grandeur, susceptible de redorer son image aussi bien à l’intérieur qu’à l’international. Il sied de rappeler toutefois que Patrice Talon s’est toujours montré farouchement opposé à l’idée de faire libérer les personnalités politiques en détention, chaque fois que la question lui a été posée.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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