Bénin : devenir « Zémidjan », dernière solution face au chômage de masse


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Les zem
Les zem

A Porto-Novo, en chemise bleue, ils parcourent les artères de la capitale, de jour comme de nuit, qu’il pleuve ou qu’il vente. Les taxis-motos sont les moyens de transports urbains les plus utilisés au Bénin. Ils sont appelés « Zémidjans », qui signifie littéralement « Emmène-moi vite » en fongbe, la langue la plus parlée du Bénin. Avec ou sans casque, en pagne ou en jean, ou encore portant leurs lunettes de soleil, le nombre de conducteurs de taxis-motos se multiplient à cause du fort taux de chômage.

Ils sont des milliers de conducteurs à arpenter toute la journée ou toute la nuit les rues de la capitale béninoise, Porto-Novo, et celles de la plupart des villes du Bénin, à bord d’une moto Boxer, Sania ou encore Sanili. Le fort taux de chômage a fait exploser le nombre de « Zemidjans » (emmène moi vite en fongbe, langue la plus parlée au Bénin) dans le pays. Ils sont en permanence à l’affût d’un geste de la main ou d’un sifflement qu’un client, situé au bord d’une voie, effectuera pour les arrêter. Après avoir déterminé la destination, débute alors une rude négociation au sujet du prix de la course, qui s’élève à quelques dizaines de Fcfa, soit quelques dizaines de centimes d’euros. Ils circulent à toute vitesse, sur route ou sur piste, zigzaguant entre les nids de poules en quête de leur pain quotidien.

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A Porto-Novo

Un dernier recours

Le métier de « Zemidjans » est un métier d’homme, rapporte Cosme Gandonou, qui prend des passagers sur sa moto à Porto-Novo depuis près de dix ans. Il se rappelle pourtant avoir vu une femme « zemidjans », une fois, à Cotonou. Bijoutier à Porto-Novo devenu cultivateur de manioc à Dassa, il se transforme en conducteur de taxi-moto de retour dans la capitale quatre ans après, faute d’avoir réussi à gagner sa vie avec ses métiers précédents. « Avant, quand on faisait « zem »(Zemidjans en raccourcis), on se faisait beaucoup d’argent », raconte-t-il.

Son parcours est à l’image de milliers de Béninois qui, sans emploi, effectuent l’investissement minimum, l’achat d’une moto, pour devenir conducteur taxi-moto. Avant, on les appelait « les taxis-kanan ». Ils transportaient à vélo les vendeuses d’Akassa (pâte traditionnelle de manioc, à la base de l’alimentation béninoise) du lieu de production au marché, avant d’élargir leur clientèle. Ils se sont motorisés pour devenir les « Zémidjans ». Le phénomène s’est développé dans les années 80, au moment de la crise économique et des programmes d’ajustement structurels (PAS) imposés par la Banque mondiale. Le nombre de chômeurs explose alors dans le pays, tandis que les compagnies de transport publique font faillite. Ils sont des milliers de fonctionnaires à perdre leur travail et à acheter une moto pour subvenir à leurs besoins.

Devenir « Zémidjans » constituent de plus en plus un dernier recours pour les béninois désargentés. En quête de revenus, de nombreux « Zémidjans » sont originaires des campagnes qu’ils ont quitté pour se rendre en ville. Propre aux personnes occupant le bas de l’échelle sociale, ils n’ont pas bonne réputation. Leur nombre en augmentation permanente et la concurrence qui en résulte a fait d’eux des travailleurs précaires, alors qu’il y a une dizaine d’année, leur activité était lucrative.

Tous les jours de la semaine

zem_drapeau.jpg Se lancer dans le métier est très simple. Contre 5 500 Fcfa par an pour la licence obligatoire et en achetant un véhicule à crédit, n’importe qui peut devenir « Zémidjans ». En s’engageant à payer pendant 18 mois, ceux qui veulent se lancer dans le métier peuvent obtenir une moto, auprès d’un collègue fortuné ou d’un homme d’affaire, qu’il rembourse à hauteur de 8 000 Fcfa par semaine. Le « travail-payé », comme indique Cosme, lui a permis d’acquérir sa première moto. Avec l’aide des tontines, un type de microcrédit informel, qu’il a pu acheter jusqu’à trois motos afin d’en laisser deux en « travail-payé » à des « Zémidjans ». Au terme du recouvrement, le bénéfice dégagé peut s’élever de 150 000 à 200 000 Fcfa (entre 230 et 305 euros). « Le temps change. Il y a des temps froids et des temps chauds. J’ai eu des problèmes, ma femme a été malade. J’ai dû prendre en charge le décès de mon beau-père et vendre mes motos », explique-t-il.

Cosme Gandonou fait parti des « Zémidjans » les plus assidus. De 5h-6h du matin, jusqu’à 20h-21h le soir, tous les jours de la semaine, Cosme se tient sur sa moto à la recherche de client. Il rentre chez lui aux alentours de 12h pour se reposer avant de repartir vers 15h. « Avant, on pouvait faire autour de 6 000 Fcfa (soit environ 9,50 euros) par jour, quand il n’y avait pas trop de Zem. Mais maintenant, je gagne environ 4 000 Fcfa (autour de 6 euros) », explique-t-il, en enlevant les 600 Fcfa (soit moins d’un euro) qu’il dépense pour lui et les 1000 Fcfa qu’il donne à sa femme et ses enfants pour la nourriture. Il faut ensuite déduire de cette somme, le prix de l’essence, soit autour de 1 600 Fcfa par jour[[Lorsque le prix de l’essence est autour de 400F le litre, le prix moyen en ce moment]].

Le dimanche, il travaille jusqu’à 18h, sans interruption. C’est un bon jour pour lui car à Porto-Novo, les fêtes de « Ago » battent leur plein. La plupart des habitants de la capitale se déplace alors à ces cérémonies organisées en l’honneur d’un défunt de la famille, d’un ami ou d’une connaissance [Il s’agit d’aller faire honneur à la famille en allant manger et boire sur des tables et des chaises en plastique louées pour l’occasion. Le tout se présente sous de grandes bâches en plastique montées pour la cérémonie qui abritent les convives ainsi que la sonorisation qui se doit d’être assourdissante]]. Le dimanche, quand il n’est pas invité à une de ces fêtes, il peut gagner jusqu’à 8 000 voir 10 000 Fcfa (soit 15 euros), les jours de chance. Il y a des « bons mois », où il peut gagner près de 100 000 Fcfa, soit beaucoup plus que le salaire minimum qui est de 40 000 Fcfa, tandis que les travailleurs de toute une catégorie de métiers de service notamment se limitent à un salaire d’environ 35 000 Fcfa par mois (près de 35 euros).

Près de 250 000 dans tout le pays

zem_truc.jpg « Si tu conduis tous les jours, c’est fatiguant », indique Cosme, les yeux rougis, les paupières lourdes. Il déclare avoir des douleurs dans tout le corps, notamment aux épaules, aux avants-bras, aux reins. « La veine là ne travaille pas comme avant », concède-t-il en désignant son entre-jambe. Le fait d’être assis en permanence sur la banquette de sa moto pendant toute la journée lui a créé des problèmes d’érection. Il y a aussi les accidents de la circulation qui sont monnaies courantes à Porto-Novo. Il raconte en voir ou en entendre parler tous les jours. En 10 ans de métier, il a eu un accident au cours duquel il s’est déboîté le genou.

Certains  « kêkênon », l’autre nom des taxis-motos qui signifie « Moto, viens ! » en fongbe, particulièrement motivés utilisent les trottoirs comme des raccourcis et le klaxon aussi souvent que le frein. De plus, ils ne reculent devant le transport d’aucune charge, quelque soit sa taille ou son poids. Au Bénin, ils seraient près de 250 000 (citation cairn), sur une population totale estimée à 10,6 millions (chiffre banque mondiale). Les 100 000 conducteurs de moto taxis de la capitale économique, Cotonou, sont aujourd’hui en partie responsable de la pollution qui y sévit.

A Cotonou

Le permis de moto n’existe pas au Bénin et les contrôles routiers, s’ils sont rares, sont néanmoins craints des conducteurs de taxis-motos à cause des amendes particulièrement salées que les policiers peuvent distribuer, soit pour le non-port du casque, obligatoire uniquement pour le conducteur, soit à cause d’un nombre de passager trop élevé sur la moto. La plupart des « Zem » de la capitale qui se respectent savent où se font régulièrement les contrôles routiers et ne s’embarrassent pas de casque. De plus, les autorités ont tendance à être indulgentes sur cette infraction pour les « Zémidjans », surtout en période électorale. Organisé en puissants syndicats, ils sont particulièrement courtisés par les différentes formations politiques du pays.

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Limités légalement à deux personnes sur la moto, les « Zémidjans » n’hésitent pas à embarquer deux adultes et parfois jusqu’à cinq passagers quand il y a des enfants, agrippées les uns aux autres.

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(Crédit photo: Frédéric Schneider)

Cosme Gandonou a quatre autres personnes de sa famille qui sont aussi comme lui conducteur de moto-taxi. Il est le deuxième de sa famille à s’être lancé dans le métier après un oncle. Il a maintenant un grand frère « Zémidjan », un cousin qui pratique le métier à mi-temps en plus de la maçonnerie, de même qu’un autre cousin mécanicien. Les conducteurs de moto-taxis sont très nombreux à avoir un autre métier et à sortir la moto, momentanément, quand ils n’ont pas de travail. Aucun de ces quatre enfants ne pratique le métier : « C’est pour les vieux, c’est trop dure ». Il souhaite arrêter de conduire sa moto et se lancer dans l’élevage de porc, « un bon métier », estime-t-il.

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