Bauxite : et maintenant, la Côte d’Ivoire


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La première économie d’Afrique de l’Ouest a signé vendredi 3 novembre sa première convention d’exploitation de la bauxite dans la région de Bongouanou (sud-est). Une excellente nouvelle sur le papier, qui suscite toutefois la crainte d’une croissance non inclusive et particulièrement polluante.

« C’est un grand jour pour la Côte d’Ivoire », s’est félicité Jean-Claude Brou, ministre de l’Industrie et des Mines. Et pour cause. Porté par la société privée ivoirienne Lagune Exploitation Bongouanou (LEB), le projet du gisement de Benene, à environ 223 km d’Abidjan, dispose d’une réserve immédiatement exploitable de 18,23 millions de tonnes de minerai de bauxite brut avec une teneur moyenne en alumine de 46 %.

Quelque 300 000 tonnes de bauxite devraient ainsi être extraites chaque année sur une période de 20 ans, un délai qui pourrait être rallongé avec la poursuite des activités d’exploration. «Nous sommes particulièrement heureux de cette signature qui va permettre la transformation locale de la bauxite et va donc générer beaucoup plus de valeur ajoutée», fait valoir Jean-Claude Brou.

Le ministre ne cache pas les ambitions de la Côte d’Ivoire dans le secteur minier en rappelant que l’ouest du pays regorge de réserves de fer estimées à 4 milliards de tonnes.

«Avec les reformes qui ont été mises en œuvre, la révision du cadre règlementaire, le nouveau code minier et la promotion intensive qui est faite, nous voyons de plus en plus d’investisseurs qui viennent dans l’exploitation minière, ce que nous encourageons à travers une politique de défiscalisation des investissements et d’octroi de permis d’exploration qui nous donnent plus de chances de découvrir de nouveaux gisements», a précisé le ministre.

Stratégie à haut risque

Mais une telle stratégie n’est pas sans risques. En Afrique, les effets environnementaux et sociaux néfastes de l’exploitation minière ont suscité des protestations et déclenché de nombreux conflits entre de puissantes multinationales et les communautés vivant à proximité des sites d’exploitation. Particulièrement éloquent, le cas de la bauxite devrait suffire à mettre en garde les autorités ivoiriennes contre les externalités négatives provoquées par ce secteur. Après le Vietnam, l’Indonésie et la Malaisie, la Guinée et ses réserves naturelles de bauxite attirent désormais la convoitise des plus importants investisseurs mondiaux sur ce marché, les alumineurs chinois. En effet, la bauxite est à l’origine de la production d’aluminium, dont l’Empire du Milieu est désormais le principal producteur et consommateur dans le monde.

En 2015, China Hongqiao Group, le plus grand producteur d’aluminium, avait annoncé l’investissement de 200 millions de dollars en Guinée, dont il espérait obtenir une livraison annuelle de 10 millions de tonnes de bauxite.

Or, à l’époque les industriels chinois faisaient déjà l’objet de critiques virulentes ailleurs dans le monde pour les dégâts sociaux et environnementaux provoqués par l’exploitation minière.

Comment limiter les dégâts ?

En 2012, le gouvernement indonésien avait décidé d’interdire l’exportation de minerais bruts, y compris la bauxite, dont le pays n’arrivait pas à tirer de véritable profit économique. En 2015, c’était au tour de la Malaisie de mettre un terme à son partenariat exclusif avec la Chine. La production de bauxite y était passée de 200?000 tonnes en 2013 à 20 millions de tonnes. Deux années d’extraction qui ont dévasté le pays. Confronté à une pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques qui menaçait la santé des populations, le gouvernement de Kuala Lumpur a mis fin à l’exploitation du précieux minerai.

La Guinée ne semble pas avoir tiré les leçons de ces précédents. Elle a permis l’implantation sur son sol de compagnies minières qui investissent peu sur place et qui ravagent l’environnement. En avril, des émeutes ont enflammé la ville de Boké, principal centre de l’exploitation de la bauxite. Le passage permanent des camions chargés du minerai diffuse dans l’air une poussière qui endommage les poumons des populations et déséquilibre tout l’écosystème.

En outre, alors que la demande chinoise de bauxite ne cesse d’augmenter, les habitants ne comprennent pas que le chômage de masse continue de ravager leur ville. Comme cela a été le cas en Malaisie et Indonésie, les industriels chinois sont accusés d’exploiter les ressources sans respecter les normes sociales et environnementales locales.

La Côte d’Ivoire saura-t-elle éviter les erreurs de la Guinée et se montrer prudente à l’égard des investissements asiatiques dans le secteur minier ? On ne peut que le lui souhaiter, mais la tâche est de toute évidence périlleuse.

Par Alassane Ndoumbè

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