Barça ou Barsakh : pourquoi les jeunes Sénégalais fuient tant leur pays


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Des migrants sénégalais en détresse
Migrants sénégalais en détresse

Ils sont nombreux les jeunes Sénégalais à emprunter la route de la Méditerranée pour regagner l’Europe. La plupart d’entre eux transitent par le Maroc pour ensuite rejoindre l’Espagne, qui a une frontière terrestre avec le royaume. Afrik.com a tenté d’en savoir plus sur les raisons qui poussent les jeunes Sénégalais à fuir leur pays.

Le Sénégal pourrait se vider de sa jeunesse, si, bien entendu, la tendance notée ces derniers temps se poursuit. En effet, ils sont des milliers de jeunes à quitter ce pays d’Afrique de l’Ouest, chaque semaine. A bord d’embarcations de fortune, ils empruntent l’Océan Atlantique, depuis les côtes sénégalaises. Direction : l’Europe qu’ils comptent regagner, parfois au prix de leur vie. Il y a tout juste quelques jours, trois d’entre eux ont été repêchés par la Marine marocaine, au large du Sahara.

Mercredi, la marine marocaine a porté secours à 415 migrants sénégalais, dont cinq femmes et 120 enfants mineurs. « Deux pirogues transportant 274 et 141 passagers sénégalais ont été secourues, ce mercredi, par la marine royale marocaine », a confié à l’APS une source diplomatique sénégalaise basée au Maroc. Le contact du journal a ajouté que 596 migrants sénégalais attendaient d’être rapatriés de Dakhla. Un phénomène migratoire pourtant difficile à expliquer.

La responsabilité imputée aux autorités

En ce sens que le Sénégal fait partie des pays réputés les plus stables d’Afrique de l’Ouest. Un pays où les salaires sont pourtant jugés « acceptables ». Dans la Fonction publique, par exemple, les travailleurs gagnent entre 300 000 FCFA et 1,5 million FCFA. Et souvent plus dans le privé. Quid de l’offre d’emploi ? C’est là où semble résider le nœud du problème. En tout cas, les jeunes, candidats potentiels à l’immigration clandestine, n’espèrent pas voir le bout du tunnel. Ils soutiennent vivre un calvaire indescriptible, non sans imputer cette responsabilité aux autorités.

« Si ceux qui nous dirigent ne pensent qu’à leurs propres intérêts, comment peut-on espérer nous en sortir ? Ici, rien ne fonctionne correctement »

« Comment prétendre à ces bons salaires si on n’a pas fait le parcours nécessaire pour gagner ce salaire d’instituteur de l’ordre de 400 000 FCFA. Oui, j’aurai pu me débrouiller avec un tel salaire, ou celui d’un Directeur d’école (600 000 FCFA, ndlr) ou encore d’un proviseur de lycée (800 000 FCFA, ndlr). Seulement, n’ayant pas fait les études nécessaires, quel choix ai-je face à cette difficile conjoncture ? Surtout que mes parents ne sont pas fonctionnaires et en sont pas politiciens. Je n’ai pas le choix », explique Abdou Fall, conducteur de mototaxi.

« A la moindre opportunité, je quitte le pays »

Après l’école coranique, le jeune, la vingtaine à peine révolue, n’a jamais fréquenté l’école française. Contraint à une vie des plus rudimentaires, il a quitté son Fatick natal pour monnayer ses services à Thiès. Et cela fait trois ans qu’il exerce le métier. « Les quelques 4 000 ou 5 000 FCFA que je gagne au quotidien grâce à ce métier de conducteur, c’est assez juste. Cela me permet à peine de survivre. Je suis incapable d’aider mes parents. A la moindre opportunité, je quitte le pays », lance-t-avec conviction.

Son compagnon partage les mêmes convictions. « Lorsqu’une vie est comparable à la mort, autant tenter le diable. Ici au Sénégal, notre avenir est plus qu’incertain. On est plus sûr de finir mal nos jours, compte tenu de la situation actuelle. C’est chacun pour soi, Dieu pour tous. Si ceux qui nous dirigent ne pensent qu’à leurs propres intérêts, comment peut-on espérer nous en sortir ? Ici, rien ne fonctionne correctement. Regardez l’état de nos routes. Un régime incapable de garantir de bonnes routes ne peut pas régler le problème des Sénégalais », fulmine le jeune, teint noirci par le soleil ardent de ces derniers jours.

« Barça ou Barak (Barcelone ou la mort) »

« Barça ou Barakh (Barcelone ou la mort, ndlr) ! », poursuit-il sous couvert de l’anonymat. Entre deux phrases, il prend le soin de rouler en boules ses cheveux qui ont l’apparence de rastas en miniature. « Oui, je suis prêt à mourir à défaut de regagner l’Europe. Je suis en train de m’organiser pour quitter ce pays. L’heure n’a pas encore sonné. Mais, je vous garantis que je vais quitter ce pays qui n’offre aucun espoir à nous autres les jeunes. J’aspire à un bel avenir, comme tout le monde. Et telle que je vois la situation, seule l’Europe est la solution », insiste-t-il.

« Ils ont été nombreux les enseignants qui ont regagné l’Occident. Par la voie d’une immigration régulière, ils ont déserté le pays et tentent leur vie, en France et autre Canada »

« Il n’y a pas que les jeunes sans emplois qui veulent regagner l’Europe. Même les fonctionnaires sont nombreux à chercher à quitter le pays, espérant de meilleures conditions de vie ailleurs. Par exemple, ils ont été nombreux les enseignants qui ont regagné l’Occident. Par la voie d’une immigration régulière, ils ont déserté le pays et tentent leur vie, en France et autre Canada. Vous avez remarqué qu’il manque un millier d’enseignant dans les écoles sénégalaises, en ce début d’année. C’est un problème plus que sérieux », lance Moussa Diouf, cadre dans une entreprise.

« Il faut faire de la politique pour être riche »

« Bien vrai qu’au Sénégal les enseignants ne se plaignent pas, mais ils peuvent gagner beaucoup plus ailleurs. Trois ou quatre fois plus en Europe ou aux Etats-Unis. Alors pourquoi rester ici si on peut avoir beaucoup plus ailleurs, avec de moindres efforts. Aujourd’hui, la situation est telle que beaucoup pensent à quitter le pays. Bien vrai que la tension actuelle fait craindre le pire, mais, ceux qui sont restés au pays sont tentés par ce que leur font miroiter les autres qui ont regagné l’Occident. Par une immigration régulière comme irrégulière », poursuit notre interlocuteur.

« Juste que c’est dommage d’entendre dans les médias le nom du Sénégal cité parmi les champions de l’émigration clandestine. Je pense que notre pays ne mérite pas une telle étiquette. Mais il y a la responsabilité des autorités qui est pleinement engagée. Une frustration sociale qui a pourri la situation. Actuellement, il faut faire de la politique pour prétendre être riche. Tous les nouveaux riches du Sénégal sont des politiciens. Ou leur parents et proches », déplore l’homme, la cinquantaine, avec une moustache qui dissimule mal sa colère.

La saignée se poursuit chez les Sénégalais

Toujours est-il que le nombre de candidats à l’émigration clandestine augmente de jour en jour. Malgré la pression exercée par l’Occident sur les dirigeants du continent et les moyens colossaux déployés pour freiner ce fléau, rien n’y fit. C’est à croire que les sommes faramineuses injectées dans le cadre de politiques de développement ont d’autres destinations. Autrement, comment comprendre cette saignée de migrants qui empruntent la Mer méditerranéenne. Les candidats décédés en mer ou ceux en attente d’être rapatriés ne découragent pas les autres qui se préparent à quitter le pays.

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Journaliste pluridisciplinaire, je suis passionné de l’information en lien avec l’Afrique. D’où mon attachement à Afrik.com, premier site panafricain d’information en ligne
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