Aziz Fall : « Quelles que soient les difficultés, on peut réussir en Afrique »


Lecture 7 min.
arton48256

Aziz Fall – Ils sont nombreux les Sénégalais à effectuer un retour au bercail pour participer au développement de leur pays. Un phénomène auquel AFRIK.COM s’est intéressé. Dans cette quatrième publication, Aziz Fall, 44 ans, directeur de promotion et coopération de l’Agence Nationale des Energies Renouvelables (ANER), qui a vécu auparavant 14 ans au Danemark, revient sur son retour au Sénégal pour mettre ses compétences au profit de son pays. Rencontre avec un homme au parcours sans faute.

A Dakar,

Au premier coup d’œil, on comprend qu’Aziz Fall, 44 ans, qui en parait 30, n’est pas un Sénégalais comme un autre. Le père de deux enfants, élégant, au sourire joueur, est rentré au Sénégal après avoir passé 14 ans au Danemark. Il est aujourd’hui le responsable de développement de l’Agence Nationale des Energies Renouvelables (ANER). C’est d’ailleurs dans son bureau qu’il nous accueille. L’homme au joli phrasé, qui maîtrise la langue de molière à la perfection, est polyglotte et parle en tout sept langues (français, anglais, danois, suédois, espagnol, tchèque, allemand). De quoi donner le tournis ! Alors que pour lui, il n’y a rien de plus naturel après avoir parcouru toute l’Europe et vécu dans plusieurs pays : France, Danemark, Suède…

Mais avant de tenter sa chance en Occident, il s’est d’abord construit au Sénégal, où il a effectué une licence en littérature comparée. Puis fin 90, il décide de s’envoler pour la France, où il décroche un master en littérature. En 1998, il décide d’aller vivre au Danemark, loin d’être pourtant une destination traditionnelle pour un Sénégalais.

Rapide ascension

Il a été attiré par le pays par un concours de circonstances après avoir rencontré la communauté danoise à Paris, avec laquelle il se lie d’amitié. L’un des responsable de cette communauté lui suggère de poursuivre ses études au Danemark. « Je me suis dit pourquoi pas », raconte-t-il. Mais l’adaptation n’a pas été facile, surtout au niveau de la langue. « Cette langue me semblait très difficile au début. D’ailleurs, les Danois estiment qu’ils ont la langue la plus difficile au monde, se remémore-t-il. Mais je m’en suis sorti car elle était très proche de l’allemand. Et comme j’ai fait des études en langues comparées, ça n’a pas été si compliqué pour moi ». Un an après son arrivée, il réussit l’examen qui lui ouvre les portes de l’enseignement supérieur au Danemark.

Dès lors, Aziz Fall ne perd pas de temps. Il gravit très vite les échelons et se fait rapidement un nom dans le pays grâce à ses compétences, occupant de hauts postes de responsabilités dans de nombreuses organisations comme Amnesty International. Mais également comme journaliste pour le réputé journal Copenhague Voice. Il enseigne même aussi la littérature française à l’université de Copenhague ou encore la transformation sociale, matière destinée aux ingénieurs en formation finale emmenés à travailler dans des pays moins développés. « L’objectif était de les aider à s’adapter au nouvel environnement et aux cultures locales de ces pays », explique-t-il. Il intègre aussi la société civile danoise et devient l’un des fondateurs de l’organisation Citizen 21. Le but, selon lui, « réfléchir sur les différents moyens de s’équiper intellectuellement et culturellement pour vivre en harmonie dans ce siècle régi par un monde global ».

« Beaucoup de mes étudiants danois avaient du mal à être confrontés à un professeur noir qui maîtrisait leur langue mieux qu’eux »

Mais l’ascension du jeune homme aux fruits de grands efforts n’a pas été sans tracas. Il est aussi confronté au racisme. « Le racisme est inhérent à l’être humain, je l’ai vécu au Danemark, tout comme en France, lorsque je vivais à Paris, en Allemagne, un peu moins aux Etats-Unis. Ça ne m’a jamais dérangé. Moi, quand tu me fais des actes de nature raciste, je te fais comprendre que je suis plus intelligent, et je te le démontre dans ta langue et culture », défend t-il. D’autant qu’il y a très peu d’Africains au Danemark. « Il m’arrivait de passer toute une journée sans voir de Noir. Pour beaucoup de Danois, les Africains sont une curiosité, les voyant seulement comme des footballeurs, des boxeurs, des drogués. Cette image est une conséquence directe du discours occidental par rapport au Noir, déplore-t-il. Beaucoup de mes étudiants danois avaient du mal à être confrontés à un professeur comme moi, noir, qui enseigne à l’université, et en plus maîtrisait leur langue mieux qu’eux. C’était incompréhensible pour eux ».

Toutes ces difficultés ne l’empêchent pas d’évoluer. Au contraire, il déploie de plus belle ses ailes et est même par la suite nommé directeur de stratégie de l’institut culturel du Danemark. Son rôle, voir dans quelle mesure la culture était un élément de promotion dans l’entrepreneuriat d’un pays donné. Un poste qui lui permet de se rapprocher de l’Afrique. « C’est avec ce poste que j’ai préparé ma transition au Sénégal, le 21 avril 2012. Lors de la journée mondiale de la terre, j’ai demandé qu’on intègre l’Afrique dans l’évènement. J’ai alors mis en place une stratégie de collaboration essentiellement focalisée sur le volet culturel académique. Dans l’institut culturel, on avait pour objectif de mettre à contribution l’expertise du Danemark dans le domaine des énergies renouvelables. »

« On a compris l’intérêt d’un partenariat entre le Sénégal et le Danemark dans le domaine des énergies renouvelables »

Ses compétences ne laissent pas le gouvernement sénégalais indifférent. « Lorsque le Sénégal a mis sur pied sa stratégie ville propre, il a fait appel à moi. C’est comme ça que j’ai eu la proposition d’intégrer l’ANER », raconte-t-il. « Quand on a commencé le processus de rapprochement avec le Sénégal, par le biais de mon travail à l’institut, on a compris l’intérêt d’établir un partenariat entre le Sénégal et le Danemark. Surtout que le Danemark dispose de compétences dans le domaine des énergies renouvelables ».

Son contrat avec l’ANER est signé en octobre 2013. En novembre 2013 il est déjà en poste. « La mission principale de l’ANER, explique Aziz Fall, est de promouvoir l’énergie renouvelable dans tous les secteurs d’activité du pays. Le Sénégal ne dispose pas de beaucoup de connaissances dans le domaine des énergies renouvelables, il faut trouver des canaux de coopération qui peuvent profiter au pays et l’emmener à un niveau d’adoption des énergies renouvelables conforme à ce siècle ».

« Si j’ai pu démontrer une capacité d’adaptation à l’étranger, pourquoi ce ne serait pas le cas au Sénégal, où je ressemble à tout le monde »

Contrairement à beaucoup, Aziz Fall estime que son « retour au Sénégal n’est pas plus difficile que migrer à l’étranger ». « Je suis toujours étonné quand on me pose cette question de savoir si le retour n’est pas difficile, clame-t-il, agacé. Si j’ai pu démontrer une capacité d’adaptation à l’étranger, pourquoi ce ne serait pas le cas au Sénégal, où je ressemble à tout le monde, où je suis l’extension de tout le monde. »

Pour lui, c’est avant tout une question de volonté et d’état d’esprit. « J’ai eu l’occasion de me frotter à toutes les formes de situations difficiles voir extrêmes. Partout, quand on vit en Europe, en Occident en général, dans des conditions plus ou moins bonnes, on a tendance à croire que quand on vit en Afrique, rien ne va. Je ne pense pas que ce soit le cas. Si on est parvenu à travailler en Europe avec les sacrifices que ça impose, quelles que soient les difficultés, on peut réussir en Afrique ».

Aziz Fall rappelle qu’il ne faut pas oublier aussi que les conditions de vie sont plus difficiles en Afrique qu’en Occident. « On est souvent confronté à plusieurs urgences, comme celles de se soigner, de manger à sa faim, de soutenir sa famille. Tant de besoins primaires auxquels on n’est pas confronté en Occident, explique-t-il. Ce n’est pas que le Danois ou le Français sont meilleurs que le Sénégalais, c’est juste qu’en Occident toutes les conditions sont réunies pour qu’on puisse s’en sortir plus facilement ».

Pour l’heure, lui, se concentre sur ses objectifs à atteindre au sein de l’ANER pour aussi poser sa pierre à l’édifice dans le développement de son pays. D’ailleurs, le jour où tous ses objectifs seront atteints, il changera de mission. « On a fait beaucoup de pas concrètement. On a pu mettre en place une installation de nouveaux lampadaires solaires dans le pays, à Dakar, et en banlieue. Bien qu’il reste encore beaucoup à faire, on est dans une logique d’actualisation de tous ces projets qui demandent des ressources matérielles et financières ». Un travail colossal. « Mais on est sur les bons rails ».

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News