Avoir 20 ans à Kinshasa


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Drapeau de la République Démocratique du Congo
Drapeau de la République Démocratique du Congo

Du haut de ses 22 ans, Précieux regarde sa vie comme un combat. Un combat continuel qui n’en est qu’à ses premières batailles. Portrait d’un jeune cadreur impatient du Congo Démocratique.

Précieux est aujourd’hui cadreur pour une chaîne de télévision privée en République démocratique du Congo. Son métier consiste à accompagner les journalistes lors de leurs reportages et tourner les images qui illustreront leurs sujets. Un job à plein temps, autant dire une aubaine dans un pays où rares sont les jeunes qui travaillent. Elégant, soucieux de son apparence et de ses manières, il aspire à une réussite pour laquelle il est prêt à mobiliser tous les atouts dont il dispose.

Parcours atypique, et compétences multiples : après des études en électricité industrielle, il a logiquement rejoint la SNEL, Société nationale d’Electricité, comme journalier. Huit mois. Le temps de réaliser que beaucoup de ses collègues, bien plus âgés, avaient passé des années de leur vie sans bouger de ce statut précaire de « journaliers » qui les plaçait quotidiennement à la merci d’une révocation instantanée – sans aucune garantie sociale. Alors 15 ans de précarité, pour un salaire minimal, et un métier à hauts risques, quand on connaît la vétusté « rudimentaire » de tant de transformateurs et de branchements électriques en République Démocratique du Congo? Mieux valait tenter autre chose.

Témoin de l’actualité

La recommandation d’un ami cadreur, qui lui avait enseigné les rudiments du métier, lui a permis d’être embauché par Antenne A, la première télévision privée de l’ex-Zaïre, et c’est sur le tas qu’il a complété sa formation de technicien-opérateur de télévision. Il tourne avec des moyens légers, une caméra hi-8, et c’est devenu pour lui une véritable passion, dont il parle avec énergie : « Quand il se passe quelque chose à Kinshasa, je suis là pour l’enregistrer. J’ai filmé des centaines d’heures d’images de Mobutu, et aussi de Kabila-père. »

Précieux collabore désormais régulièrement à « Mode et Moeurs », un magazine de « télé-vérité » qui enquête sur le mode de vie des habitants de Kinshasa. Allant filmer les enfants des rues, pour les faire parler de leur famille, des drames qu’ils ont vécus, et qui les ont privés de toit. Et creusant l’étude sociologique en interrogeant leurs proches et leurs parents, justement ou injustement accusés de les avoir délaissés. Représentation audiovisuelle par la société congolaise de ses tragédies humaines contemporaines.

Jalousie

Tout irait donc au mieux pour Précieux, dans ce Congo économiquement sinistré par les conflits qui l’ont choisi pour théâtre ? Non, parce que son début de réussite étonne. Ses frères, d’abord, plus âgés, mais encore inactifs, qui jalousent son élan précoce vers la vie et le travail.

Ses amis, aussi, qui ressentent parfois comme une injustice le fait qu’il ait, si jeune, hérité d’un travail intéressant et rémunérateur.

Et puis, d’être allé assez vite jusque là ne le rassure pas : rien ne prouve qu’il « arrivera loin », qu’il parviendra à « devenir quelqu’un ». En République Démocratique du Congo, où la rapidité d’une réussite ne prouve rien durablement, ou bien ailleurs. Non sans hésitation, Précieux lâche, les yeux fixés au loin : « Ailleurs, plutôt ».

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