Atteinte à la liberté de la presse au Maroc


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Drapeau du Maroc
Drapeau du Maroc

Le journaliste marocain Ali Lamrabet a été condamné mardi 12 avril à 10 ans d’interdiction d’exercer le métier de journaliste au Maroc. C’est la première fois dans l’histoire de la presse chérifienne qu’un journaliste est condamné à une peine si lourde pour une simple accusation de diffamation.

Le journaliste marocain Ali Lamrabet a été condamné mardi 12 avril à 10 ans d’interdiction d’exercer le métier de journaliste au Maroc et à une amende de 50 000 dirhams (environ 4 500 euros). Il a également été condamné à payer 1 dirham symbolique au plaignant, Ahmed El Kher, porte-parole de l’Association des parents des Sahraouis victimes de la répression dans les camps de Tindouf (Pasverti). Et doit faire publier, à ses frais et durant 21 jours, l’énoncé du verdict dans le quotidien arabophone Al Ahdath Al Maghribia.

Cette condamnation apparaît comme la volonté à peine déguisée des autorités de faire taire un journaliste qui a régulièrement des problèmes avec la justice de son pays. Directeur de publication des hebdomadaires Demain magazine (francophone) et Doumane (arabophone), désormais interdits, il est condamné en appel le 17 juin 2003, à 3 ans de prison pour « outrage à la personne du roi », « atteinte au régime monarchique » et à « l’intégrité territoriale du Royaume »… Sous la pression internationale, il est gracié par Mohammed VI en janvier 2004, après 7 mois d’emprisonnement. Depuis cette date, il collabore au quotidien espagnol El Mundo. La condamnation du 12 avril fait suite à la tentative d’Ali Lamrabet de recréer un titre au Maroc. « C’est un coup monté », assure-t-il, joint par téléphone en Espagne, où il réside.

« Réfugiés » et pas « séquestrés »

Petit retour en arrière. Ali Lamrabet part dans le camp des réfugiés sahraouis de Tindouf, dans le sud-ouest algérien, pour El Mundo début novembre 2004. Il y réalise notamment un reportage sur les prisonniers militaires marocains. « Dans cet article, qui a été repris par Courrier International, je dénonce leur situation et je défend ces réfugiés ! » précise Ali Lamrabet. Lorsqu’il rentre au Maroc début janvier 2005, il donne une interview à l’hebdomadaire marocain arabophone Al Moustakil au sujet des Sahraouis de Tindouf. Il y déclare que ces Sahraouis ne sont pas « séquestrés », comme l’affirme la position officielle marocaine, mais « réfugiés », selon la terminologie de l’Onu. « J’ai donné cette interview en tant que citoyen et non pas en tant que journaliste, puisque je n’exerce plus mon métier au Maroc depuis que mes journaux ont été fermés ! »

En parallèle, Ali Lamrabet tente d’obtenir du Tribunal de grande instance de Rabat le récépissé qui lui permettra de monter un nouveau journal. Le 12 janvier, alors que son dossier est complet, on lui demande de repasser le lendemain. « Lorsque je me suis présenté au Tribunal de grande instance le 13 janvier, un policier m’a empêché d’entrer. J’ai fait un scandale, ce qui a attiré une campagne de presse contre moi. Il me restait un mois à attendre pour pouvoir monter mon journal. Le procès est arrivé à pic pour m’empêcher de le faire. »

Les anomalies du procès

Un procès truffé d’anomalies. C’est en effet Ahmed El Kher, porte-parole de (Pasverti), qui accuse le journaliste de diffamation. Selon Maître Jamaï, l’avocat de Lamrabet : « Ahmed El Kher n’a pas de qualité légale de plaignant. Un individu ne peut prétendre à défendre l’honneur d’une nation. C’est le Parquet général, s’il le souhaite, qui est habilité à porter plainte dans ce genre de cas. » Ensuite, Ali Lamrabet explique que « les juges ont refusé de reporter l’audience du 5 avril alors que j’étais en Espagne et qu’ils ont refusé d’entendre mes six témoins. » Aujourd’hui, le journaliste condamné pour diffamation se retrouve lui-même dans la position du diffamé… « J’étais jusqu’ici l’un des rares journalistes marocains à n’avoir jamais été condamné pour diffamation. Les journaux nationaux m’ont attaqué et insulté. L’un d’entre eux a été jusqu’à titrer ‘La trahison d’Ali Lamrabet’ ».

Reporters sans frontières s’est déclarée « extrêmement choquée » à l’annonce du verdict de mardi. « C’est la première fois dans l’histoire de la presse marocaine qu’un journaliste est condamné à une peine si lourde pour une simple accusation de diffamation », précise l’organisation. Indiquant : « Il s’agit d’un signe très grave pour la liberté d’opinion et de la presse au Maroc. Nous sommes très inquiets pour l’avenir des médias marocains : ce jugement sans précédent après un procès à charge pourrait avoir des conséquences dangereuses pour les journalistes ».

Sujets tabous

Ali Lamrabet a fait appel mais « n’y croit pas ». « La justice marocaine est corrompue et aux ordres du pouvoir. Je ne me fais pas d’illusion. Je vais prendre mon bâton de pèlerin pour plaider ma cause au niveau international et voir comment je peux répondre à ce déni de justice. Je continuerai à me rendre dans mon pays, où je suis suivi et mis sur écoute depuis des années. »

Le cas d’Ali Lamrabet illustre bien la difficulté pour un journaliste marocain de traiter de tous les sujets. Le Syndicat national de la presse marocaine, qui a réclamé l’annulation du verdict, critique malgré tout ouvertement le journaliste et ses prises de position, prenant part à la campagne de dénigrement à son encontre. Comme le résume RSF, il reste des sujets hautement tabous au Maroc : « les affaires internes du Palais, les différents trafics dans lesquels sont parfois impliqués de hauts responsables du Royaume » et… la question du Sahara occidental.

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