Le désopilant « travail d’Arabe » d’Ali Guessoum


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C’est parce qu’Ali Guessoum en a marre des clichés véhiculés à l’encontre des Arabes et des Noirs, qu’il s’est lancé dans le montage d’Attention Travail d’Arabe : une exposition qu’il promène, depuis deux ans en France et à l’étranger, basée sur le détournement d’objets et d’affiches publicitaires.

Ali Guessoum, Franco-algérien, est la tête d’une agence de communication, « Sansblanc », dont le nom en dit beaucoup sur sa personnalité et son engagement. Il met en forme, avec humour, une vision décalée des stéréotypes et préjugés les plus répandus sur les immigrés en France. A travers l’exposition Attention Travail d’Arabe, cet artiste dédramatise un passé encore sensible et pousse le visiteur à réfléchir sur la vision qu’il a de l’Autre. Sa dernière exposition, qui a eu lieu à la Bellevilloise, à Paris, s’est achevée le 27 février dernier. A cette occasion, il a répondu à nos questions.

Afrik.com : Comment vous est venue l’idée d’un tel projet ?

Ali Guessoum : L’idée m’est venue il y a 3 ans, pendant le festival Tactikollectif, à Toulouse, organisé par les membres du groupe Zebda, entre autres. Ayant une entreprise de communication, j’ai assuré la leur pour le festival. J’avais envie de monter un projet, une exposition sur ma vision de l’immigration, et ils m’ont donné carte blanche.

Afrik.com : Quel message souhaitez-vous faire passer ?

Ali Guessoum : Dans ce genre de message, il y a toujours des doubles fronts ! J’en avais marre d’entendre des tas de clichés sur les Arabes et les Noirs. Nous sommes sans cesse pointés du doigt, stigmatisés. Le vrai fond du problème en France est d’ordre économique et social, il faut arrêter de se réfugier derrière les immigrés pour cacher les vrais problèmes. Il faut bien trouver un bouc-émissaire à tous les maux de la France ! Autrefois, la France était bien contente d’aller la chercher, cette main d’oeuvre bon marché, pour développer le pays. Maintenant qu’elle s’est développée, eh bien, on n’en veut plus de ces étrangers, ni de leurs enfants français !

Afrik.com : Ne craignez-vous pas, en caricaturant ces clichés, de vexer cette population d’immigrés qui justement en a marre des stéréotypes ?

Ali Guessoum : Pas du tout, au contraire ! La réaction du public est très positive. Les gens éclatent de rire quand ils découvrent cette exposition. Les commentaires sont du genre : « merci de traiter cette image comme vous le faites et d’avoir envie d’en rire ! » Mon but n’était pas de la faire à l’image des misérables, en référence à « Cosette » ! Je voulais créer une autodérision. Les Arabes aussi peuvent « s’auto-dériser ! » Et je trouve inadmissible que des gens qui naissent sur le territoire français soient encore pointés du doigt et doivent encore se justifier…

Afrik.com : Qu’attendez-vous au juste ? Pensez-vous que cette exposition va faire évoluer cette situation ?

Ali Guessoum : J’ai juste besoin de m’exprimer et les choses suivent leur cours. Si ça peut aider, pourquoi pas.

Afrik.com : Il y a, dans votre exposition, certains sujets qui traitent de la religion musulmane. Et c’est avec humour que vous abordez ce terrain, à l’image de ce tableau nommé « AbsolutBurka » qui met en scène une bouteille de Vodka avec une burka à la place du bouchon. N’avez-vous pas peur d’énerver les musulmans qui n’acceptent pas que l’on rit de leur religion ?

Ali Guessoum : Je m’en fous complètement et j’assume totalement ce que je fais ! Ce qui me fait peur, à moi, c’est plutôt les guerres, la pauvreté… Le reste, ça m’est égal.

Afrik.com : quelle est votre position sur la nouvelle loi française visant à interdire la burka dans les lieux publics ?

Ali Guessoum : Je trouve minable et désespérant de créer une loi qui ne concerne que 300 personnes en France. Il y a des problèmes beaucoup plus grave à régler. C’est vraiment détourner l’attention des français sur les réels problèmes de la société (…) Le gouvernement ne fait que ce qui l’arrange. Comme par exemple aider l’ancien dictateur du Gabon, tout simplement parce qu’il avait le pognon pour pouvoir s’intéresser à lui. »

Afrik.com : Vous avez aussi exposé, au Boulevard, à Casablanca en 2010. Tout s’est bien passé ?

Ali Guessoum : Très bien, les gens ont adoré et ont beaucoup ri.

Afrik.com : Et en Algérie ?

Ali Guessoum : Pareil. En Algérie il faut savoir qu’il y a trois richesses : le pétrole, l’humour, et le désespoir. A défaut de pouvoir partager le pétrole, le public partage l’humour et le désespoir. C’est ce qui nous lie. »

Afrik.com : Ali Guessoum vous êtes algérien. Au vu des révoltes actuelles dans les pays arabes, que souhaiteriez-vous pour l’Algérie ?

Ali Guessoum: J’aimerais que ce soit le cas en Algérie. Que ce vieillard qui dirige le pays décide enfin de partir… C’est pas possible d’avoir 150 millions ou milliards de dollars d’excédant et de ne pas être fouttu de redistribuer rien que le quart à la population ! »

Afrik.com : Vous aimeriez que Bouteflika quitte la présidence du pays ?

Ali Guessoum : J’aimerais surtout le voir tomber d’un tabouret, même s’il n’est pas très grand. Beaucoup de dirigeants et de dictateurs ont été formés en France, donc ça arrange tout le monde que ces gens-là dirigent nos pays.

Afrik.com : Vous avez une idée de votre prochain projet ?

Ali Guessoum : J’aimerais faire une exposition où l’on pourrait mettre en place une scénographie avec des espaces en volume, en abordant 4 grandes thématiques
·1) Histoire et mémoires:
Cette première partie introduira la question de la mémoire de la colonisation et de l’immigration en France
·2) De l’indigène à l’immigré:
Le second thème du parcours retracera le passage de l’indigène, soldats ou travailleurs coloniaux, à l’immigré.
·3) L’immigré, sujet politique:
Peu à peu, les immigrés sortent de leur statut d’invisibles pour devenir militants et affirment leurs droits à vivre sur le sol français
·4) L’immigré « made in France »: La question de l’Islam en France a suscité bien des débats et des controverses (Visuel « Pour en revenir à nos moutons »). Ces dernières années, l’islamophobie gagne du terrain provoquant hostilités et amalgames (Visuel « Absolut Burka »)

Ce parcours sera jalonné d’espace ludique telle une cabine téléphonique appelée téléphone arabe d’où l’on pourrait entendre une chanson de l’immigration en décrochant le combiné…

Afrik.com : Le mot de la fin ?

Ali Guessoum : Qu’on ne pédale pas dans la semoule mais qu’on veille au grain…

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