Annulation d’un mariage musulman en France : de la pertinence d’une polémique


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La justice française a annulé en avril un mariage musulman « pour erreur sur les qualités essentielles ». L’époux s’était rendu compte, au moment de consommer le mariage, que sa compagne n’était plus vierge. La décision indigne les politiques et la société civile alors que les juristes expliquent que ce n’est pas la question de la virginité, mais le mensonge qui a motivé le jugement.

Il s’était marié, espérait-il, à une femme vierge. Le soir des noces, le 8 juillet 2006, il découvre que sa nouvelle épouse l’a trompé. Dès le lendemain de l’incident, le jeune homme porte l’affaire devant la justice : il souhaite l’annulation du mariage musulman qu’il a contracté. Le tribunal de grande instance de Lille a donné raison à l’ingénieur trentenaire, de confession musulmane, en avril en accédant à sa requête « pour erreur sur les qualités essentielles » de sa compagne. La décision s’appuie sur l’article 180 du code civil. Il prévoit que « s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne (elles renvoient aux qualités qui déterminent le consentement de l’autre, ndlr), l’autre époux peut demander la nullité du mariage » dans un délai de cinq ans. La justice française a estimé que le jeune homme s’était engagé « sous l’empire d’une erreur objective » qui était « déterminante dans son consentement ».

Un verdict motivé par le mensonge et non la virginité

Depuis jeudi, où elle a été révélée à un large public par le journal Libération d’après des informations du Receuil Dalloz, la décision de justice fait polémique. Valérie Létard, la secrétaire d’Etat au droit des femmes, s’est dite « consternée de voir qu’aujourd’hui en France certaines dispositions du code civil conduisent, par l’interprétation qui peut en être faite, à une régression du statut de la femme ». La philosophe Elisabeth Badinter, «inquiète», considère que le jugement poussera les jeunes femmes musulmanes à recourir de plus en plus à la reconstruction chirugicale de leur hymen.

Un jugement « parfaitement logique » pourtant selon l’avocat de l’époux, Me Labbée, car « l’épouse a reconnu qu’elle avait menti ». « On aurait pu faire un divorce par consentement mutuel (…) J’ai opté pour la procédure de « « nullité relative » car c’est celle qui correspond le mieux » à la situation, a–t-il expliqué à l’AFP. Ici, il y a un vice dès le départ ». Afin de recadrer un débat qu’il juge focalisé à cause de la question de la virginité, le procureur de Lille Philippe Lemaire a également rappelé que le verdict était « assez conforme à la jurisprudence classique ». « La question, ce n’est pas la virginité, c’est la liaison qu’elle a eue avant et qui a été cachée. (…) C’est le mensonge qui motive la décision du juge », a confié le magistrat à l’AFP. Rachida Dati, la garde des sceaux, est aussi montée au créneau pour défendre un jugement qu’elle analyse comme « un moyen de protéger la personne ».

Eviter tous les amalgames

Nadine Morano, la secrétaire d’Etat à la famille, a encore insisté samedi sur le fait que « ce qui a été jugé par le TGI de Lille ne porte pas sur la virginité ou non, mais sur le vice du consentement du conjoint ». «Il ne faut pas qu’il y ait un mélange avec les religions », a-t-elle par ailleurs jugé bon de souligner. « Là on dit (que) c’est une famille musulmane, mais je connais aussi beaucoup de familles catholiques pratiquantes où cet élément reste (…) un atout ». « L’islam n’exige pas que l’épouse soit vierge et des musulmans peuvent s’ils le souhaitent épouser des femmes divorcées déjà mères », avait également tenu à préciser quelques jours auparavant Abdelkader Assouedj, le vice-président du conseil régional Nord-pas-de-Calais. Cependant rapporte L’Express, « cette dame a caché des choses. C’est un mariage basé sur le mensonge. C’est pour cela que la justice a tranché, ce n’est pas par rapport à la religion ».

« Choqué en tant que citoyen » par la décision de justice, le ministre de l’Immigration Brice Hortefeux a estimé, à l’instar de nombreux responsables politiques, que la Cour de cassation devait être saisie. « Je comprends qu’on puisse être choqué à notre époque que pour trouver un mari il faut faire la preuve de sa virginité », a-t-il déclaré ce dimanche lors du « Grand Jury » RTL-Le Figaro-LCI. Cependant, « en matière de droit, c’est à la cour de la cassation de le dire ».

De nombreux juristes ont réaffirmé ces derniers jours le bien-fondé juridique d’un verdict qui en définitive fait la preuve que le droit français garantit les libertés individuelles. Celui par exemple, même s’il est discutable de souhaiter convoler avec une femme vierge, une coutume et non une prescription réligieuse. Engagée dans un mariage dans lequel elle a été peut-être été contrainte, la nouvelle célibataire se voit offrir aujourd’hui la possibilité d’y échapper légalement. La chute d’un article sur la question, publié vendredi sur le site de L’Express résume bien ce que l’on devrait penser de toute cette polémique. Il met en avant la « réaction d’un internaute, frappée au coin du bon sens : « Excellente décision de justice qui sauve cette jeune femme d’un véritable abruti aux idées rétrogrades. » CQFD. La Justice mérite bien un baiser de la Liberté.

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