Analyse de l’aide alimentaire monétisée


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L’association caritative américaine CARE International a fait les gros titres de la presse le mois dernier, lorsqu’elle a déclaré qu’elle refuserait l’aide accordée par le gouvernement des Etats-Unis en vue de vendre des produits alimentaires américains dans les pays en voie de développement. En effet, les fonds générés par les programmes de « monétisation » étaient généralement réinvestis dans d’autres projets.

Les Etats-Unis sont l’un des très rares pays à vendre leur aide alimentaire dans les pays bénéficiaires ; la plupart des bailleurs donnent de la nourriture en nature ou accordent des fonds aux agences des Nations Unies ou aux ONG pour leur permettre d’acheter des produits alimentaires sur les marchés nationaux ou internationaux.

Pour CARE, la monétisation risque de déséquilibrer les marchés des pays en voie de développement et a globalement un effet négatif. La monétisation, ou aide alimentaire monétisée, désigne l’achat de denrées alimentaires à prix subventionnés dans le pays donateur et la vente de ces denrées dans le pays bénéficiaire, en vue de générer des fonds pour financer des projets de développement.

Dans cette analyse en deux parties, IRIN examinera le débat sur la monétisation et la question, liée, de la demande croissante en denrées alimentaires destinées à la production de biocarburant.

Le « triangle de fer »

« La décision de CARE est de la plus haute importance car elle marque la fin de la Coalition des ONG pour l’aide alimentaire [Coalition for Food Aid] ainsi nommée, qui s’associait à l’industrie [agricole] et aux intérêts des [sociétés] de fret (formant ainsi le triangle de fer ainsi nommé) pour soutenir l’aide alimentaire américaine », a expliqué Edward Clay, associé de recherche principal à l’Overseas Development Institute, une cellule de réflexion britannique.

L’expression « triangle de fer » désigne ici la coalition des commerces agricoles, des sociétés de fret et des ONG qui fait pression en faveur de l’aide alimentaire.

« Au cours des négociations qui ont lieu à l’OMC [Organisation mondiale du commerce], des pressions considérables sont exercées sur les Etats-Unis pour les amener à mettre un terme à la monétisation ; fait notable, les Etats-Unis ont joui d’un soutien particulièrement anémique de la part des gouvernements africains. En effet, si la monétisation n’est généralement pas utilisée comme aide d’urgence en cas de famine, en tant qu’aide au développement, elle est inefficace et déséquilibre le commerce ».

Malgré tout, dans un article publié sur Internet, Alliance for Food Aid, un groupe en faveur de la monétisation qui compte 15 membres, dont Africare et World Vision, deux ONG américaines, a réfuté l’idée que la monétisation détruirait l’agriculture locale et affirmé que la vente des denrées alimentaires s’effectuait en toute transparence.

Les produits alimentaires sont vendus dans des pays pauvres qui dépendent des importations ; celles-ci représentent en effet une part importante de leurs réserves alimentaires.

En mai 2007, néanmoins, le Government Accountability Office (GAO), organe d’investigation indépendant et organisme de contrôle du Congrès, chargé d’auditer et d’évaluer les programmes mis en place par le gouvernement, a rapporté que le taux de monétisation de l’aide alimentaire hors-urgence avait dépassé de beaucoup le minimum requis de 15 pour cent, puisqu’il s’était élevé à près de 70 pour cent en 2001, avant de diminuer pour atteindre environ 50 pour cent en 2005.

La monétisation « détourne les ressources »

La décision de CARE est intervenue au moment où le rapport du GAO critiquait la monétisation, la qualifiant d’inefficace, et appelait à revoir la manière dont l’aide alimentaire était distribuée.

« La monétisation engendre non seulement des coûts d’approvisionnement, d’expédition et de manutention des denrées alimentaires, mais aussi les coûts de marketing et de vente de ces denrées dans les pays bénéficiaires », a expliqué le GAO.

« En outre, le temps et l’expertise nécessaires pour commercialiser et vendre des denrées alimentaires à l’étranger exigent des ONG qu’elles détournent les ressources de leurs missions principales. De plus, les organisations américaines n’ont pas constitué et n’entretiennent pas de base de données électronique sur les revenus de la monétisation, et le manque de données de ce type empêche les organisations de pleinement contrôler dans quelle mesure les revenus peuvent couvrir les coûts engendrés par la monétisation ».

Depuis trois ans, l’administration Bush propose que 25 pour cent de l’aide alimentaire accordée par le gouvernement américain soit versée sous forme de fonds afin de permettre l’achat, à l’échelle locale ou régionale, de nourriture destinée aux pays bénéficiaires ; selon George Odo, un responsable de CARE au Kenya, cette proposition n’a fait que renforcer la position de CARE.

« Nous avons également été encouragés par le choix de l’administration Bush de promouvoir cette proposition dans le cadre du projet 2007 de loi sur l’agriculture, qui doit être soumis à révision cette année […] et même le gouvernement reconnaît que des réformes doivent être mises en place pour rendre l’aide alimentaire plus efficace », a déclaré M. Odo. Le projet de loi sur l’agriculture, qui détermine la politique agricole des Etats-Unis et structure les programmes d’aide alimentaire du pays, est soumis à révision tous les cinq ans.

Insuffisance croissante de l’aide alimentaire

Le choix de CARE intervient à l’heure où l’aide alimentaire « gratuite » se fait de plus en plus rare, en raison de la hausse du prix du pétrole, qui engendre une demande croissante en biocarburant.

« L’aide alimentaire devient rare et coûteuse ; nous devons l’utiliser de manière stratégique […] quand elle est la plus nécessaire, c’est-à-dire dans les situations d’urgence », a estimé M. Odo de CARE. « Il faut que nous repensions, que nous réinventions l’aide alimentaire ».

« CARE a tout à fait raison », selon Christopher Barrett, qui enseigne l’économie du développement à l’université Cornell de New York, et a co-écrit le livre Food Aid After Fifty Years: Recasting Its Role [L’Aide alimentaire, 50 ans après : Un autre rôle]. « La demande accrue en maïs et en sucre nécessaires à la fabrication de biocarburant fait grimper les prix des denrées alimentaires et des produits qui composent l’aide alimentaire », a-t-il ajouté.

Dans leur ouvrage, M. Barrett et son collaborateur Daniel Maxwell, un ancien responsable de CARE, estiment qu’il en coûte plus de deux dollars au contribuable américain d’acheminer un dollar d’aide alimentaire en nature.

Selon M. Barrett, étant donné que le budget consacré, aux Etats-Unis et dans le monde, à l’aide alimentaire « ne sera pas augmenté de telle sorte qu’il puisse, de près ou de loin, approcher la hausse du prix des denrées et du fret – si toutefois il augmentait – le tonnage disponible pour l’expédition des marchandises diminuera certainement. Il est plus que jamais important que cette ressource, de plus en plus rare, soit réservée aux situations où elle aura l’impact le plus important : dans ce cas-ci, il s’agit de l’aide alimentaire d’urgence ».

Changement à l’horizon

La décision de CARE de dire « non » à l’aide monétisée a fourni des « munitions supplémentaires » à ceux qui cherchent à réformer l’aide alimentaire américaine, car l’organisation « rejette ainsi une source de revenu importante, qui permet de financer bon nombre de ses projets dans les pays en voie de développement », a noté Nicholas Minot, attaché de recherche principal à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), une cellule de réflexion américaine.

Mais, à court terme, le poids des intérêts agricoles au Congrès américain, « au sein duquel les Etats agricoles peu peuplés sont surreprésentés », l’emportera sur toute tentative de changement, a-t-il estimé.

« En outre, selon un des principes de base de l’économie politique, un petit groupe dont les membres ont de gros intérêts dans une décision politique (ex : les agriculteurs) se fera davantage entendre qu’un grand groupe dont les membres ont peu d’intérêts dans la décision (ex : les contribuables qui ne pratiquent pas l’agriculture) », selon M. Minot.

Pour M. Barrett, de l’université Cornell, il est « trop tôt pour dire ce qui en sortira », le projet de loi sur l’agriculture n’ayant pas encore été approuvé par le Congrès. « Il est peu probable, malheureusement, que la proposition de M. Bush sur les 25 pour cent [versés sous forme de fonds] pour permettre l’achat aux niveaux local et régional passera ; il est probable qu’un programme pilote, plus modeste, sera autorisé ».

M. Clay a observé qu’USAID avait tenté d’impulser le changement il y a cinq ans, au cours de la dernière révision du projet de loi sur l’agriculture. Andrew Natsios, qui administrait l’organisation à cette époque, avait suggéré qu’USAID utilise 25 pour cent des fonds consacrés à l’aide alimentaire pour acheter et expédier de la nourriture obtenue soit localement dans le pays bénéficiaire, soit dans la région, dans le cadre des secours prévus en cas de famine ou d’urgence. « Cette proposition, apparemment raisonnable, a bénéficié d’un soutien anémique de la part des ONG américaines, et a été rejetée par le Congrès ».

L’OMC est un point de pression supplémentaire qui pourrait forcer le changement. « Les membres de l’OMC, et particulièrement l’Union européenne, considèrent l’aide alimentaire conditionnée par la production dans le pays d’origine comme une forme de subvention aux exportations agricoles », a commenté M. Minot.

D’après le Programme alimentaire mondial (PAM), certains bailleurs ont cessé d’accorder des aides alimentaires sous forme de denrées, privilégiant les fonds, et près de 15 à 25 pour cent de l’aide alimentaire dans son ensemble est actuellement achetée dans le pays ou la région où elle est nécessaire.

Selon John Hoddinott, attaché de recherche principal à l’IFPRI, il s’agit pour les Etats-Unis de se mettre au diapason des tendances mondiales. « Le débat [aux Etats-Unis] est ouvert au niveau technique, mais il faut qu’il remonte jusqu’au niveau politique ».

CARE tente actuellement de faire pression sur les bailleurs privés afin de compenser la perte de revenus destinés au financement de ses projets développement et espère que « nous pourrons montrer l’exemple aux autres ONG », a déclaré M. Odo.

Voir le site de CARE

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