
Le tribunal judiciaire de Grasse, en France, a mis un terme à un projet de trafic de stupéfiants aussi ambitieux qu’illégal, impliquant un groupe franco-marocain installé dans les Alpes-Maritimes. Leur objectif était de récupérer directement en mer Méditerranée de grandes quantités de drogue en provenance d’Espagne, du Maroc et même du Sénégal. Après plusieurs mois d’enquête, les autorités ont démantelé le réseau avant qu’aucune cargaison n’atteigne les côtes françaises. Les peines prononcées sont pourtant particulièrement lourdes, preuve de la détermination de la justice à enrayer ce type de trafic.
Chef d’un groupe organisé pour contourner les contrôles terrestres
L’affaire débute en octobre 2023, lorsqu’un renseignement parvient à la brigade mobile de recherche de la Police aux frontières de Nice. Les enquêteurs identifient alors Abdelmajid Oufkir, un Belgo-marocain de 47 ans, déjà connu pour des activités de trafic dans son pays de résidence. Il apparaît rapidement comme le chef d’un groupe organisé, structuré et prêt à investir massivement dans du matériel nautique pour contourner les contrôles terrestres.
Plusieurs complices gravitent autour de lui, installés en France, notamment à Cannes, Mandelieu, Nice, La Ciotat ou encore au Grau-du-Roi. Leur idée est simple : traverser la Méditerranée à bord d’embarcations rapides pour récupérer, au large, des chargements de cannabis ou de cocaïne. Pour donner corps à ce projet, les membres du réseau déploient une logistique minutieusement préparée. Certains disposent d’une solide expérience maritime, à l’image de Sofiane Allalou, gérant d’un snack à Cannes et présenté comme un véritable spécialiste nautique.
Permettre de longues traversées sans escale
Tom-Mohand Ouakli joue pour sa part le rôle de logisticien principal. Imad L., ancien pêcheur reconverti en videur de boîte de nuit, met ses compétences de marin à disposition du groupe. Ensemble, ils investissent dans le « Diva One », un semi-rigide de près de dix mètres acheté 59 000 euros. Très rapidement, l’embarcation est transformée : les banquettes sont retirées, les moteurs optimisés, et l’équipement complété avec GPS, sondeurs et téléphone satellite. Jusqu’à 50 jerricans d’essence sont prévus à bord pour permettre de longues traversées sans escale.
Le réseau ne s’arrête pas là et vole même un second bateau pneumatique à Cannes Marina, preuve de sa volonté de multiplier les tentatives. Malgré ces préparatifs, les opérations virent au fiasco. Le 6 février 2024, le « Diva One » tombe en panne au large des côtes espagnoles à la suite d’une avarie moteur. Cela ne suffira pas à décourager les trafiquants. Quelques semaines plus tard, un nouveau bateau, baptisé « Le Giulia », est acheté et amarré au Grau-du-Roi.
Important trafic derrière les traversées nocturnes
Le 15 juillet 2024, l’embarcation prend la mer pour une nouvelle tentative d’approvisionnement. Mais là encore, l’opération échoue. Le bateau est finalement abandonné sur une plage près de Tarragone, en Espagne. C’est à partir de ce moment que les autorités passent à l’action. Les membres du réseau sont interpellés les uns après les autres à l’été 2024. Lors de leur comparution devant le tribunal de Grasse, les prévenus tentent de minimiser leur rôle.
Certains affirment qu’ils pensaient participer à un trafic d’essence. D’autres reconnaissent avoir compris qu’un trafic plus important se cachait derrière ces traversées nocturnes. La présidente du tribunal, Stéphanie Lochon-Dallet, détaille les faits avec précision, tandis que le procureur souligne l’absence notable d’Oufkir, toujours en fuite. Pour lui, le Belgo-marocain demeure le véritable chef d’orchestre et poursuit vraisemblablement ses activités grâce à ses réseaux au Maroc.
Lourdes peines d’emprisonnement et amendes
Le verdict rendu par le tribunal est particulièrement sévère. Abdelmajid Oufkir est condamné à sept ans de prison et 50 000 euros d’amende, assortis d’un mandat de recherche. Sofiane Allalou et Tom-Mohand Ouakli reçoivent chacun une peine de quatre ans de prison et une amende de 15 000 euros. Sabri Bisshili est condamné à quatre ans, dont un avec sursis probatoire, ainsi qu’à 10 000 euros d’amende. Yassin Moutakif écope de trois ans et 5 000 euros d’amende.
D’autres membres, parmi lesquels Jawad B., Imad L. et Kevin G., reçoivent des peines allant de six mois à un an de prison ferme. En revanche, Ali B. et Saad H. bénéficient de peines plus clémentes, respectivement huit et six mois de prison avec sursis. Rappelons que plusieurs enquêtes récentes en Afrique occidentale et du Nord ont également mis au jour des réseaux exploitant la voie maritime pour contourner les contrôles terrestres. Dans le golfe de Guinée, les autorités constatent depuis plusieurs années une multiplication des « go-fast » opérant entre les côtes sénégalaises, bissau-guinéennes et cap-verdiennes.
Saisies record de cannabis au large des côtes atlantiques
Ces embarcations, similaires à celles utilisées en Méditerranée, servent notamment à transporter de grandes quantités de cocaïne acheminées depuis l’Amérique du Sud avant d’être redistribuées vers l’Europe. Le littoral mauritanien et les plages reculées du Sahara occidental sont parfois utilisés comme points de dépose discrets, profitant de zones faiblement surveillées. Au Maroc, plusieurs saisies record de cannabis ont également eu lieu au large des côtes atlantiques, où des trafiquants utilisent des bateaux rapides pour rejoindre les archipels des Canaries, d’où les cargaisons sont ensuite redirigées vers l’Espagne ou le Portugal.
Les réseaux criminalisés misent désormais sur la mobilité, la vitesse et la discrétion maritime pour s’adapter aux dispositifs renforcés de surveillance terrestre. Dans les Alpes-Maritimes comme en Afrique, les autorités renforcent désormais leur coopération pour anticiper ces nouvelles formes de trafic. Le démantèlement du réseau jugé à Grasse confirme que la lutte contre les filières internationales passe plus que jamais par la surveillance en mer, devenue un enjeu central dans la lutte contre les stupéfiants.





